« Nous avons presque tous été contaminés par des papillomavirus… et c’est normal. » Anatomo-cyto-pathologiste à l'hôpital européen Georges Pompidou (APHP), le Pr Cécile Badoual a longtemps ouvert ainsi ses interventions en colloque. Rien de provoc dans cette affirmation, juste un constat visant à rétablir la vérité et faire tomber les a priori sur les HPV, ces virus à tropismes muqueux ou cutanés, transmis par voies sexuelles (pénétration vaginale/anale, caresse génitale ou contact orogénital). Sans incidence sur l'organisme dans 80 % des cas, ils se révèlent quelques 15 années plus tard, à l'origine de 5 à 10 % des cancers (col de l'utérus, anus et voies aérodigestives supérieures) dans le monde. Des tumeurs associées à la sexualité et « vécues comme une double-peine par les patients, confrontés à la maladie et à la stigmatisation de la société. »
D'où la volonté de Cécile Badoual de « libérer la parole et discuter sans ambages d'un phénomène qui nous concerne tous ». Expliquer, sensibiliser, éduquer, pour mieux comprendre et rationaliser un sujet qui fait encore l'objet d'une défiance forte, 12 ans après l’autorisation de mise sur le marché des premiers vaccins en France (voir encadré). En témoignent les controverses et débats suscités par les HPV sur le web. « La non-immédiateté entre la contamination et le cancer éloigne la nécessité de se prémunir », analyse l'anatomo-cyto-pathologiste. « Certes, les vaccins provoquent très exceptionnellement des effets secondaires mais, en l'état actuel des savoirs, on n’a rien trouvé de mieux pour prévenir certaines maladies. » Et de rappeler que 60 ans plus tôt, son père a grandi avec « l'interdiction stricte de se baigner dans les eaux des ruisseaux par peur de la poliomyélite et que l'ombre de la coqueluche faisait trembler les parents. » Pas dogmatique, elle accepte la part de doute et d'humanité inhérente à la santé. À l'heure de vacciner sa fille contre l’HPV, elle-même a appelé son mari, médecin également, pour conforter sa décision.
Anti-langue de bois
Étudiante, cette fille d'hospitalo-universitaire s'imaginait « pédiatre sans frontières », dans la tradition d'une « médecine tournée vers l'autre et les plus démunis ». Une ambition professionnelle difficile à concilier avec ses aspirations personnelles et son envie de maternité. Alors que son mari, rencontré sur les bancs de la fac, réalise son internat à Paris, elle décroche Tours et enchaîne les allers-retours quotidiens entre la capitale et le Val de Loire. Un emploi du temps contraint qui lui offre des « parenthèses de culture scientifique », à la faveur de ses trajets en train.
Dans ce contexte, une rencontre cruciale avec un « super anapath, Patrick Michenet », va l'orienter vers cette spécialité méconnue, centrée sur l’analyse des tissus. « On nous imagine coincés derrière un microscope, plus intéressés par nos lames que par nos patients. » Un autre préjugé que cette anti-langue de bois s'emploie à déboulonner par une approche humaniste de son métier, au cœur des diagnostics, et un goût affirmé pour l'échange.
De retour sur Paris, elle ne tarde pas à être nommée chef de clinique et à enseigner, « une activité endogène, tant j'aime raconter des histoires et transmettre ce que j'ai moi-même reçu ». Elle estime en être arrivée là où elle est, grâce aux figures tutélaires, croisées au fil de son parcours. Son bureau à l’hôpital européen Georges Pompidou (HEGP), rallié dès l'ouverture de cet établissement en 2000, abrite d’ailleurs une citation de Paul Eluard : « Il n’y a pas de hasard, que des rendez-vous. » Au début des années 2000, elle se tourne vers la recherche en immunologie et la cancérologie ORL, dans les pas des professeurs Wolf-Hervé Fridman et Eric Tartour, dont elle intègre l’équipe de recherche INSERM. Elle a alors l’opportunité de travailler sur le micro-environnement tumoral et la recherche de nouveaux biomarqueurs, thérapeutiques, tests diagnostiques et pronostiques applicables en routine : un « vrai défi » face au scepticisme ambiant. « Nous étions les fous qui observaient les lymphocytes autour des tumeurs », se souvient-elle. « Depuis les immunothérapies sont devenues incontournables. »
Après l'HEGP, Bichat
À l’identique, elle espère que la prise en compte du rôle prégnant des HPV dans les cancers atteigne le même niveau de maturité dans la société. Avec ses collègues, elle n’hésite pas à prêcher la bonne parole, auprès de ses pairs, des patients, des médias, des pouvoirs publics… Un engagement qui commence à payer. « La situation a nettement évolué depuis deux ans », constate celle qui a monté une consultation multidisciplinaire papillomavirus (COMPap) pour assurer le suivi médical (urologue, gynécologue, ORL, proctologue, pathologiste) et psychologique des patients, tous profils confondus, ayant eu un cancer associé à une infection par un virus HPV. Le but : donner des éléments de compréhension et évaluer le risque de développer un cancer viro-induit dans une localisation autre. Car, hormis le frottis pour le col de l’utérus, difficile de détecter les cancers ORL avant leur stade métastasique, par manque d’outils diagnostiques, « les tests salivaires se révélant insatisfaisants et la sérologie peu informative ».
Après l’HEGP, une consultation similaire a été mise en place à Bichat. Et Cécile Badoual rêve de multiplier le dispositif sur d’autres hôpitaux, tout comme elle aimerait qu’un « réseau de sachants » s’empare du web pour contrer les « fake news » sur les HPV, « même si de plus en plus d’initiatives sont menées par les pouvoirs publics, l’INCa et les médecins ». Elle regrette aussi que la société ne se saisisse pas d’un problème encore associé aux femmes et aux homosexuels. Une affaire philosophique pour cette partisane d’un « féminisme impliquant l’engagement des hommes » : « Il ne s’agit pas de faire sans eux, mais avec eux ». Prévention du HPV comprise.
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