« À ma mère, gynécologue malgré elle. » La dédicace en exergue de la thèse du Dr François Mouchel, fils et frère de ses pairs Jack et Thomas Mouchel, résume bien l’atavisme familial : « La médecine de la femme, de la première contraception à la ménopause… et au-delà ».
Patriarche du clan, le père, Jack, a participé à la formidable évolution de sa spécialité à partir des années 1970, impulsée par « la légalisation de l’IVG, le développement de la contraception, la généralisation de la péridurale, puis plus tard, l’émergence des FIV ». Cette diversité, tant médicale que chirurgicale, c’est tout l’intérêt du métier pour les trois hommes. Une polyvalence comme une assurance contre la routine, technique ou intellectuelle. « Je pense que je me serais rapidement lassé d’une activité unique », confirme François Mouchel. Une conviction de famille.
Étudiant en médecine à Caen, son père complète sa formation par une résidence dans un centre anticancéreux. Une compétence qui va lui ouvrir les portes d’une clinique du Mans, alors réputée pour son fonctionnement novateur et collégial, avec « une semaine off pour deux travaillées ». Expert en chirurgie vaginale et pionnier de l’incision sus-pubienne avec section des muscles droits, Jack Mouchel y côtoie des pédiatres, des anesthésistes, rejoints dans les années 1980 par des biologistes et des généticiens : une collaboration féconde, tant pour les patientes que pour les praticiens : « À l’époque, les formations étaient encore informelles, basées sur le compagnonnage. » L’homme en profite pour élargir ses champs d’intervention, en se spécialisant notamment dans la physiopathologie des incontinences urinaires. Puis, dans les années 1990, il rallie le groupement européen de périnéologie : « Une sacrée aventure humaine et médicale ! »
Libre arbitre
Passionné, il transmet le virus à ses fils aînés. Étudiants en médecine, tous deux optent pour la gynécologie-obstétrique. « Pourtant je leur ai toujours laissé le libre arbitre quant à leur orientation », assure Jack Mouchel. Et son fils François d’opiner : « J’ai fait ce choix en toute lucidité, avec la volonté de ne pas me laisser contaminer par le modèle paternel. » Idem pour son frère cadet, Thomas, séduit « par la dimension humaine de la spécialité, avec la possibilité de suivre des patientes dans la durée ».
À la fin des années 1990, « la formation permet encore d’apposer plusieurs cordes à son arc ». Comme son père, François passe six mois dans un centre anticancéreux à Caen, tout en étudiant la stérilité et la sénologie. Plus axé sur la recherche universitaire, Thomas planche un an au laboratoire INSERM de Rennes et consacre sa thèse à l’endométriose et à l’infertilité. Mais pas question pour celui-ci de se « cantonner à l’aide à la procréation ». Trop étroit pour ce partisan d’une « vision globale des pathologies de la femme ».
Après leur internat, quelques années de clinicat et de remplacements, les deux frères retrouvent leur père au Mans : « On connaissait bien la clinique pour y avoir assisté à de nombreuses opérations et son fonctionnement spécifique offrait des conditions très attractives. » Contrairement à certains de leurs condisciples en fac de médecine, les frères n’ont jamais vu leur père appelé en pleine nuit pour un accouchement sur sa semaine off : un confort de vie et de travail appréciable, avec l’opportunité d’une activité diversifiée, du classique suivi de grossesse au traitement de FIV.
La relève ?
Au tournant des années 2000, l’hyperspécialisation commence à émerger en gynécologie, associée à « une désaffection pour le métier, renforcée par la montée en puissance du risque médico-légal et l’augmentation des assurances professionnelles », déplore François Mouchel. « Désormais les jeunes ont peur de s’installer », abonde son frère. Sur le terrain, cette crise des vocations alourdit bientôt la part des gardes, des consultations et du travail administratif, « rendant difficile la participation à des congrès ou des programmes de recherche ». Une dynamique à l’encontre du projet des deux frères. Fidèles à la doctrine familiale, eux préfèrent « la prévention à la gestion, la pluridisciplinarité à l’activité ciblée ».
En mars 2014, ils décident de reprendre leur indépendance en « abandonnant l’acte technique au profit des consultations ». Quelques mois plus tard, ils rejoignent à temps plein leur père au sein du cabinet où il exerce depuis son départ en retraite de la clinique en 2012. À 70 ans, ce dernier ne semble pas prêt à raccrocher définitivement la blouse même s’il estime que « le métier a bien changé en 40 ans ». Révolu le temps où il emmenait ses fils assister à des dissections le week-end en Belgique. Et de tenter dans un sourire : « J’aurais peut-être dû les dissuader de suivre ma voie… » Un scrupule vite balayé par son fils Thomas. Malgré le contexte actuel, ses propres enfants âgés de 8, 13 et 16 ans ne semblent pas opposés à l’idée de prendre un jour la relève.
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