« Mais
si vraiment, il ne peut plus supporter ce pays, qu’il en change ! » Le 17 février, soit une semaine après la publication de la tribune du Pr Abdel-Rahmène Azzouzi dans « Le Monde des Religions », Alain Finkielkraut, invité de l’émission « Bourdin Direct » sur RMC, qualifie les propos du médecin angevin d’« inacceptables » et l’invite à « changer » de pays. Qu’a donc pu écrire cet urologue pour susciter une saillie d’une telle violence ? Sa parole serait-elle disqualifiée parce qu’émanant d’un musulman, comme le pense ce praticien ? Pourquoi tant d’incompréhension entre un philosophe, qui critique ceux qui « plaident pour une relaxation des exigences républicaines », dont ferait partie Abdel-Rahmène Azzouzi, et ce médecin qui appelle à « plus de République » et à une République moderne, ouverte, attentive à tous les citoyens, musulmans comme non-musulmans ?..
Quand on entre dans le bureau du chef de service d’urologie du CHU d’Angers, on ignore encore que c’est un véritable flot de questions et de mots qui nous attend. Première certitude : le professeur aime le verbe. Son cheval de bataille, sujet de sa tribune : la place des musulmans en France. Des musulmans à qui l’on demanderait, selon lui, d’être invisibles. « Le risque de tensions inter-communautaires existe bien. Cela serait un échec de la République. Pour l’éviter, il faudrait regarder le pays tel qu’il est et avec son histoire coloniale. Alors on ne peut pas se réveiller un beau matin et faire semblant de découvrir qu’il y a cinq millions de musulmans en France ! Encore moins tenter de passer pour des victimes d’une situation qu’on a créée soi-même… »
« Enlève ta barbe, tu es plus beau sans »
Désormais, pour lui, il y a urgence : « Les événements dramatiques de janvier nous ont frappés en plein cœur. Des Français ont tué des Français. Nous avons atteint là une limite de ce qui est supportable pour notre cohésion sociétale. Accepter plus, c’est le cautionner », avait-il expliqué le 13 février sur le site du « Quotidien ». Lui, né à Saint-Ouen en 1966 de parents algériens, dernier de sept enfants, quittant les 4 km2 sur lesquels il a vécu, « très heureux », pour étudier à Bichat (« mon premier choc : franchir le périph’ ») puis pour faire son internat de chirurgie à Nancy, la République chevillée au corps.
L’histoire commence par la rencontre avec son patron à Nancy, le Pr Philippe Mangin. Son « père urologique », qui l’a, dit-il, « peut-être plus transformé que (son) père biologique ! ». « À l’époque, en signe de rébellion contre la guerre du Golfe, je portais la barbe, raconte Abdel-Rahmène Azzouzi. Philippe Mangin aurait pu m’exclure mais il a préféré faire un pas vers moi en me disant simplement : enlève-la, tu es plus beau sans… C’était très intelligent parce que ça a marché et, surtout, il me transmettait ainsi la grille de lecture. C’est ça la République ! Il m’a porté jusqu’à ce que je devienne professeur d’urologie, le premier en France de confession musulmane. Il m’a aidé à faire exploser des plafonds de verre. »
Extirpé du système politique
Les sujets s’enchaînent et s’entrechoquent dans un enthousiaste tourbillon de mots. Pour Abdel-Rahmène Azzouzi, le sujet commun à toutes ces digressions, sur l’importance de l’histoire pour comprendre la réalité ou la nécessité d’une Europe des régions et non des nations, serait en réalité « un système politique à bout de souffle », dont il s’est « extirpé », en donnant sa démission début 2015 du conseil municipal d’Angers. La question de la place des musulmans illustrerait parfaitement l’incapacité du gouvernement et des élus en général à regarder la réalité en face et à répondre aux aspirations des Français. « La preuve ? Quels sont les Français qui sont contents actuellement ? »
Mais le Pr Azzouzi, que fait-il ? Pyromane ou « lanceur d’alerte » ? Pour le moment, il parle, pourrait-on dire, et montre un incontestable intérêt pour les problématiques qui secouent la société française. Mais encore ? Certains lui prêtent des ambitions politiques. Lui jure que s’il a quitté la politique, ce n’est pas pour y revenir un jour. Il va même jusqu’à reprendre à son compte le slogan de Jean-Luc Mélenchon : « Qu’ils s’en aillent tous ! » tout en glissant : « Je ne m’interdis rien… On a un rôle à jouer, plus important que nos politiques. » On n’en saura pas plus.
Trouver un chemin de traverse
Pour l’heure, il faut donner du poids à cette décision radicale. Quitte à dévaloriser son activisme d’avant, au Club XXIe siècle, qui entend valoriser la « diversité » d’origines de la population française, comme au Centre de réflexion des musulmans d’Anjou, par ce commentaire amer : « Des années de luttes et d’avertissements sans succès. » Pour autant, au bout de trois heures d’entretien et malgré ses protestations plus ou moins vigoureuses, il est difficile de le voir s’en « retourner » à son épouse, à ses enfants et ses deux ânes, comme il l’a écrit en guise de conclusion de sa tribune. Comme il est difficile de croire que, définitivement, il se « lave les mains » de l’avenir de cette République qu’il pourrait, avec son sens des formules coup-de-poing, prier cinq fois par jour tant il lui doit.
La question pourrait être : quel chemin empruntera désormais le professeur Azzouzi ? Un chemin nouveau semble-t-il, pour ne plus avoir, comme il l’annonce à ses anciens collègues élus et amis dans sa tribune, « à faire semblant de partager un chemin commun avec vous (…) car beaucoup trop nous sépare ». Un chemin de traverse probablement pour défendre sa vision d’une République non-communautariste et conciliante, assure-t-il, de la même manière qu’il a su, par le passé, saisir la chance d’être nommé à La Pitié-Salpêtrière pour, reconnaît-il, « sortir du lot et avoir une voix ». Une voix dont il n’entend pas se défaire.
Article précédent
Elsa Cayat : « La psy de Charlie » ou la passion des mots et des gens
Article suivant
Jean-Christophe Rufin : médecin caméléon
Dr Olivier Véran : du syndicalisme à l’Assemblée, la fulgurante ascension
Dr Frédéric Tissot : la tête à Paris, le cœur à Erbil
Jack, François et Thomas Mouchel : la gynéco en héritage
Denis Mollat : un médecin en librairie
Catherine Bonnet : une lanceuse d’alerte au Vatican
Elsa Cayat : « La psy de Charlie » ou la passion des mots et des gens
Abdel-Rahmène Azzouzi : contre l’invisibilité, le verbe
Jean-Christophe Rufin : médecin caméléon
Pr Sadek Beloucif : un réanimateur pour déchoquer la société française
Mathieu Coulange : l'effet subaquatique
Jean Abitbol : la voix des autres
Florence Cortot : anesthésiste le jour, humoriste le soir…
Pr Cécile Badoual : la croisade d'une femme contre le HPV
Dr Albert-Claude Tahar : en arrêt de travail malgré lui
Dr Borhane Ferjani : d'une élection l'autre, les sirènes de la politique
Muguette Bastide : diptyque polychrome d’une femme médecin
Petit Bertrand et Docteur Virieux : un cardiologue contre un cardinal
Michel Bénézech : médecin du crime
Devi Shetty : chirurgien cardiaque low-cost
Patrick René-Corail : aux petits soins pour la santé martiniquaise
Maryline Salvetat avec son peloton vers Rio
Jannie du Plessis : un médecin en première ligne
Louis Lareng : de l’hôpital « au pied de l’arbre » à la télémédecine
Michel Aupetit : l’ex-généraliste « bizarre » devenu évêque de Nanterre
Dominique Martin : le parcours atypique d’un médecin touche à tout
Matthias Lambert : chercheur et myopathe
Ibrahima Maïga : pratiquer la médecine sous la coupe d’Aqmi
Aaron Carroll : Dr YouTube
Wilfredo Martinez : un médecin sous pression
Pr Jean-Pierre Neidhardt, la mémoire vivante
Mariam Rastgar : l'étonnante Odyssée d'une étudiante en médecine hors norme
Pierre Duterte : homme de l'Art, médecin de l'être
Védécé : planches de vie
Laurent Seksik : le médecin-star malgré lui
Pr Alain Serrie : humaniste ambitieux contre la douleur
Pierre Corvol : grand diffuseur de savoir
Agnès Buzyn : une féminité assumée dans un monde de mandarins
Cécile Colavolpe : Un choix de vie majeur
Dr Raphaël Pitti : soigner et témoigner
Dr Stella Verry : in Memoriam
Dr Roberto Anfonsso : la médecine de campagne... c'est son dada !
Kurt Matthaus : des villageois mosellans aux expat’ de Shanghai, il n’y a qu’un pas
Gérard Maudrux : l’inoxydable patron de la CARMF tire sa révérence
Dr Jérémy Saget : le chant de Mars
Dr Giulia Grillo : une ministre de la Santé 5 étoiles !
Henri Borlant : et après Auschwitz, il y eut la médecine générale
Dominique Stoppa-Lyonnet : prédisposée aux débats d’idées
Jean-Baptiste Grisoli : pilier de la santé du XV de France
Patrick Bouet : la discrète ascension d’un praticien déterminé
Chris Murray : le médecin qui mesure la santé du monde entier
Michel Polak : le fœtus est devenu son patient
Milad Aleid : péril en la famille
Borée, docteur blogueur en campagne
Dr « Fanch » Le Men : médecin de famille depuis 13 lustres
Robin Ohannessian : au cœur de la télémédecine
Dr Philippe Grimaud : héraut d'une mort plus civile
Jérôme Marty : ascension à front renversé
Patricia Vaduva : Miss prévention
Virginie Maincion : soigner mais pas seulement
Anandibai Joshi : les histoires les plus courtes sont parfois les meilleures
François Desgrandchamps : en marche
Ghada Hatem-Gantzer : militante pro-femmes
Franck Le Gall soigne les Bleus et les bosses
Stéphane Clerget : un psy passe à table
Jean-Marie Le Guen : un médecin pour soigner les crises parlementaires
Dr Baptiste Beaulieu : l'humanité à fleur de peau
Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil : la possibilité d'une écoute
Christine Janin : première de cordée
Dr Francis Hermitte : il y a un an, sur l'épicentre médiatique du monde
Pr Philippe Touraine : elle c'est elle, lui c'est lui
Stéphane Delajoux, Bashing doctor
Alexandre Fuzeau : Docteur Ice, champion de nage en eau glacée
Pr Bernard Bioulac : une vie entre Science et Humanisme
Dr Jean Denis : les chemins de traverse d'un médecin de campagne
Dr Jochen Walza : « deutsche Qualität » à Marseille
Maladie de Charcot : les troubles du sommeil précéderaient l’apparition des symptômes moteurs
Recherche
Cohorte ComPaRe : cinq ans d’enseignements tirés des patients
Traiter l’obésité pédiatrique améliore la santé cardiométabolique à long terme
Moins d’épisiotomies ne signifie pas plus de lésions des sphincters de l’anus