La vocation du Pr Jean-Pierre Neidhardt, 85 ans aujourd'hui, lui est venue très tôt : « Il y avait plusieurs médecins généralistes dans ma famille. Entre 5 et 6 ans, suite à une fièvre continue, au fin fond d’un hameau des Vosges, j’ai été envoyé dans un sanatorium, pour me faire soigner de la tuberculose. En voyant les médecins manier l’appareil de pneumologie, j’ai aussitôt voulu devenir pneumologue », se souvient-il avec une étonnante précision, l’œil vif. Mais ses projets sont bousculés, quand il doit suivre ses parents en Algérie, à l’instar de centaines de milliers d’autres Alsaciens, fuyant les Allemands qui avancent dangereusement vers l’Alsace.
Passionné d’histoire, il poursuit : « Avant de nous installer en Algérie, nous avons vécu un an dans le Jura, à Saint-Claude, la capitale de la pipe, mais nous n’avions pas de quoi vivre. Le gouvernement de Vichy avait une politique assez dure envers les réfugiés alsaciens, présumés être en lien avec les Allemands. Ils étaient envoyés dans des camps de rééducation. On peut faire le parallèle entre le statut local de l’Alsace et ce qui était alors le département français d’Algérie. »
La famille Neidhardt s’installe à Alger, où le jeune Jean-Pierre suit sa scolarité primaire et secondaire. Le Pr Neidhardt effectue l’intégralité de son internat sous le signe de la guerre d’Algérie, ce qui ne semble pas l’avoir dérangé : « On ne se sentait pas menacés. J’ai beaucoup appris pendant cette période. Il y avait souvent des Américains à la maison, ils nous parlaient des techniques de la chirurgie. C’est alors que j’ai voulu apprendre les maladies vénériennes aux soldats, après avoir interrompu l’internat. Je suis devenu chirurgien, beaucoup de soldats revenaient d’Indochine et j’ai été confronté à des réalités très dures. »
Un début de carrière mouvementé
Devant faire face aux urgences, aussi bien pour les civils que les soldats, le Pr Neidhardt a toujours eu une conception humaniste de la médecine : « Quand la presse titrait que les hôpitaux étaient réservés aux blancs, je considérais que j’étais là pour soigner des malades, peu importe leur origine et couleur de peau. Ce contexte était difficile, vu que la France faisait tout pour empêcher les Français vivant en Algérie d’apprendre l’arabe, et que dans le même temps les équipes médicales ne parlaient souvent qu’arabe, comme ce chirurgien avec lequel j’avais travaillé, M. Senor. »
Le jeune Neidhardt contacte le directeur de la clinique d’urologie de Bordeaux, le Pr Ducassou. Ce dernier lui indique qu’il sera le prochain agrégé, mais l’Histoire en décide autrement : alors qu’il aurait dû être nommé au concours d’urologie de la faculté d’Alger, les accords d’Évian aboutissent à l’indépendance de l’Algérie puis à la guerre civile. « Je me suis retrouvé sans rien, l’université auprès de laquelle je devais être nommé n’existait plus. Je suis alors rentré en Alsace. »
Le Pr Neidhardt venait d’être nommé chef de travaux d’anatomie. À l’époque, pour être chirurgien, il fallait avoir fait de l’anatomie. Commence un casse-tête administratif : « En juillet 1962, j’étais allé à Paris, pour voir trois ministres, celui de la Santé publique, celui de l’Éducation nationale et le ministre d’Algérie. Ils m’ont tous rejeté. Le ministre de la Santé publique m’a répondu qu’il n’y avait pas de titre des hôpitaux, le ministre d’Éducation nationale se référait au général Katz, officier d’Oran, qui venait de se faire assassiner, et enfin le ministère d’Algérie m’a demandé ce qui se passait là-bas. Après leur avoir expliqué la situation, ils m’ont proposé de prendre la nationalité algérienne ! »
Se tournant finalement vers l’Ordre des Médecins, il se voit formuler la réponse suivante : s’il veut être chirurgien, il lui faut acheter une part dans une clinique privée. Indiquant qu’il n’avait pas de revenus suffisants, on lui suggère alors de changer de métier, de se tourner vers l’agriculture par exemple. À force de persévérance, l’Ordre finit par lui délivrer le caducée, en lui proposant un remplacement de médecine générale en banlieue parisienne, à Ris-Orangis.
Un nouveau départ : Lyon
À l'époque, avec son expérience chirurgicale, il n’était pas rare que ses connaissances soient supérieures à celles du chirurgien qui lui envoyait des patients, lui donnant à l’occasion des petits précis d’anatomies sur les tendons par exemple. Un jour, Jean-Pierre Neidhardt reçoit deux courriers. Le premier émane du ministère d’Algérie et lui signifie qu’il n’y a pas de solution. L’autre lettre, venue de l’Éducation nationale, l’affecte à Lyon, au laboratoire d’anatomie Latarges, en tant que maître d’anatomie. Ravi, même s’il ne s’agit pas de chirurgie, il prend sa 2 CV et commence l’enseignement de l’anatomie au sein du bâtiment Rockfeller.
Deux ans plus tard, en 1964, le ministre de la Santé fait suite à sa demande d’intégration de 1962, il est alors nommé chirurgien assistant des hôpitaux au CHU. « Le chirurgien doit avoir de bonnes mains et une bonne tête. Être chirurgien est un métier extraordinaire car la dimension humaine est fondamentale y compris quand il faut apprendre la mort du patient aux proches », commente-t-il. Quand le Pr Neidhardt évoque l’opération d’un enfant qui s’est mal déroulée, entraînant son décès, ses yeux s’embuent. « Je me mettais toujours à la place du malade, et m’asseyais sur son lit, pour être à sa hauteur », ajoute-t-il.
Au sein des Hospices Civils de Lyon, il participe au développement du service d’urgence centralisé, avec celui qu’il considérait comme son maître à penser, le Pr Liaras. Jean-Pierre Neidhardt coordonnait les urgences du pavillon A, avant que Jean-Pierre Tairas ne le rejoigne, en tant que premier chef de clinique. Ce sera également à cette époque qu’il passera l’agrégation d’anatomie chirurgicale.
Une carrière consacrée aux urgences
« En 10 ans, nous avons opéré 510 traumatismes du foie, avec 35 % de mortalité dans les années 1970 », se souvient celui qui a toujours été passionné par les maladies infectieuses et les grands traumatismes. Aujourd’hui, le Pr Neidhardt continue à transmettre son savoir, à travers des cours d’histoire de la médecine (il est par ailleurs président de la Société de Médecine de Lyon) ainsi que des cours d’histoire des grandes épidémies. Celui qui n’a jamais cherché le prestige se reconnaît volontiers à travers la chanson d’Edith Piaf : « Non, je ne regrette rien. »
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