Il faut un courage certain pour aller jusqu’au bout de ses rêves. Il faut aussi une forte dose de détermination, celle qui vous pousse hors de la zone du confort quotidien, pour affronter les peurs et les jugements. Mars est l'enjeu placé en toile de fond de la vie du Dr Jérémy Saget.
Un besoin d’espace qui vient de loin
Le Dr Saget prend place à la table d’un café parisien enveloppé de l’effluve discret du parfum Kenzo. Habillé de noir de pied en cap, la stature athlétique, le jeune scientifique de 38 ans cultive une sobre élégance. À première vue, le médecin bordelais – il a grandi à Saint Médard en Jalles, ville tournée sur l’industrie aérospatiale – n’a rien d'un professeur Tournesol prêt à tutoyer les corps célestes au détriment de la réalité.
Son enthousiasme et sa sincérité débordent. Son projet d’aller dans l’espace remonte à l’enfance. Jérémy décide d’être astronaute à cinq ans. Inspiré peut-être par un grand-père pilote de chasse lui-même candidat dans les années soixante ? Le Dr Saget est persuadé que l’avenir est contenu dans les rêves les plus consistants. « Il faut essayer de regarder un peu au-delà de ce que nous avons et plus près de ce que nous sommes », dit-il en citant Saint- Exupéry.
« La mission Mars One a du sens pour moi, bien au-delà des accroches sensationnelles qui heurtent. » Le ton de la voix est doux. Il révèle une maîtrise et un calme, voire une sérénité, qui étonnent. L’humain curieux par essence doit pouvoir se risquer vers l’inconnu et s’autoriser l’exploration, même s’il y a là une prise évidente de risques. L’Homme est un explorateur-né, « un sapiens spaciens » prêt à découvrir l'espace. Même si la propension à la découverte s’éteint parfois, étouffée par le « formatage » du quotidien, juge le Dr Jérémy Saget, « il faut écouter l’enfant qui est en soi, le capitaine de son vaisseau intérieur ».
La génération Mars
Jusqu’à l’âge de vingt ans, il souhaite avant tout connaître et comprendre rationnellement par le prisme scientifique. Son rêve d’espace est réactivé par un article sur Pathfinder, sonde spatiale arrivée en 1997 sur Mars. « Je me suis dit, incroyable, c’est ma génération qui va pouvoir atteindre une autre planète. C’est une ère nouvelle qui s’ouvre à nous ! »
Le médecin admet avoir pris du temps pour assumer sa part plus originale, plus farfelue. Celle justement qui entre en résonance dans des projets comme Mars One (voir encadré). Son intuition lui sert de GPS pour ses grands choix de vie. « Il s’agit finalement d’assumer ce que l’on sait de soi en taquinant un peu ses limites. En prenant le risque de se dépasser. »
Un père mentor et confrère de cabinet
« Mon "héros", c’était mon père. Il a permis beaucoup de ce que je suis aujourd’hui. Il m’a dit des choses qui résonnent encore. » Une très forte admiration émane des propos du jeune médecin. « Serait- ce un complexe d’Œdipe non résolu ? », relève-il en souriant. Pour découvrir ce qui passionne cet homme brillant, altruiste, au génie discret et… médecin, Jérémy Saget suit la même voie professionnelle. Il va jusqu’à partager le même cabinet avec ce père-confrère. Le tandem prendra fin en 2011 avec le décès soudain du père. Jérémy venait de lui offrir le livre « Embrasser le ciel immense » de Daniel Tammet.
Vols paraboliques chez Novespace
Si la médecine générale est sa colonne vertébrale et ses consultations ses fondamentaux, le Dr Saget est déterminé à vivre toutes ses passions. Il passe une capacité de médecine aérospatiale au MEDES*. Il saisit l’opportunité inouïe de rejoindre en tant que médecin, l’équipe de Novespace, filiale du CNES spécialisée dans les vols paraboliques. En 2013, l’expérience de l’apesanteur s’ouvre au grand public et « fait retomber les plus sérieux d’entre nous en enfance ». « Je suis devenu instructeur des nouveaux touristes de l’apesanteur. Voir leurs yeux qui pétillent est une sensation inédite et euphorisante. On vole, on flotte, on s’arrache à la gravitation. C’est un petit morceau d’espace qui arrive sur terre ! », glisse-t-il à la fois heureux et espiègle. Son intérêt pour la planète rouge ne faiblit pas et le pousse à s’inscrire en 2013, au programme de sélection pour la mission Mars One.
Partir pour Mars, les pistes pour comprendre
Le projet Mars One peut paraître très contradictoire sur le plan humain. On touche là au sensible, à la zone délicate de la sphère privée. La problématique de l’absence est très prégnante pour notre candidat.
En février 2015 à l’issue de la troisième sélection (100 candidats choisis sur les quelque 200 000 du début), le Dr Saget est le seul Français encore en lice.
Mission suicidaire ! Égoïsme sans limites pour un père et un époux ! Les réactions fusent. Il est cependant surpris par sa patientèle. « Je me voyais mal leur expliquer toutes les cinq minutes pourquoi leur médecin était assez fou pour envisager d’aller sur Mars. » S’il comprend qu’un jugement initial négatif est plutôt légitime, il exprime la nécessité d’échanger autour de cela. « Je me suis fait gronder par des mamies ! Vous voulez abandonner tout le monde pour partir sur Mars ? Les enfants sont davantage curieux. Ils posent des questions extraordinaires. Les patients qui me connaissent, ont essayé d’aller au-delà. Ils ont tenté de me comprendre. » Certains sans doute ne viennent plus le voir. D’autres en revanche, ont rejoint son cabinet car son projet les enchante. D’autres encore, sont passés du stade de la curiosité à celui d’un intérêt réel pour Mars One.
Conscient d’exprimer un paradoxe il argumente : « Il y a des tas de choses que l’on peut transmettre au-delà de la simple présence. Je sais que l’on peut être très proche physiquement et très absent et à l’inverse être ailleurs, mais très relié malgré tout. » Il explique aussi former une belle équipe avec son épouse. « Nous avons grandi ensemble. Ma femme me connaît par cœur. Je la bassine avec Mars depuis 20 ans. Elle sait à quel point je suis fidèle à tous mes engagements, mes idéaux, et le sens que cela a pour moi. »
Un moment donné, ses enfants prendront leur envol pour trouver leur propre voie. « Aujourd’hui, ils ont encore besoin de moi. Si on me demandait de partir sur Mars demain, ce ne serait pas le moment. » Ses quatre frères et sœurs portent des regards différents : « Cela passe de la bienveillance à un soutien plus actif. »
Jérémy est un idéaliste et un optimiste. « Lorsque j’ai compris qu’il n’y aurait qu’un aller simple et un plan média, cela m’a questionné comme tout le monde, en particulier sur les défis psychologiques. » Malgré tout, le médecin poursuit son rêve. Sa conviction, fascine ! On se surprend, un petit espace de temps, à partager un bout de ce rêve, un morceau de Mars. Il nous entraîne vers « l’overview effect », mélange d’euphorie, d'interconnexion et d’élargissement du champ de conscience, ressenti par les astronautes au moment où ils surplombent la terre. On l’aura compris, le Dr Jérémy Saget veut ouvrir notre horizon de manière assez radicale. Cela interpelle et ne laisse pas indifférent. Ne pas juger, mais constater comme Oscar Wilde, qu'« il faut toujours viser la lune, car au pire si on rate son objectif on se retrouve dans les étoiles ». Et puis, comme le souligne le médecin, c’est le chemin qui est intéressant, bien plus que la destination.
* MEDES depuis 1989, œuvre pour contribuer à développer une compétence française en médecine et physiologie spatiales et promouvoir les applications de la recherche spatiale dans le domaine de la santé.
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