VIES DE MEDECIN

Michel Aupetit : l’ex-généraliste « bizarre » devenu évêque de Nanterre

Publié le 02/10/2014
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Crédit photo : DR

« Bizarre. » C’est ainsi que Michel Aupetit qualifie lui-même son parcours, avec un large sourire. « Autrefois, résume-t-il, j’étais médecin pour me battre pour la vie. Aujourd’hui, je suis au service de la vie éternelle. »

Il a de quoi s’avouer « le premier surpris » par les événements. C’est que le nouvel évêque de Nanterre n’a pas du tout le profil sociologique de la fonction épiscopale. Né à Versailles, mais originaire de Chaville, fils de cheminot, il a grandi dans une famille peu pratiquante ; il n’a été ni scout, ni enfant de chœur et il n’a pas fréquenté l’école catho. Un cas parmi les évêques français. Et s’il a eu très tôt la vocation, ce fut celle de la médecine : « En lisant les romans de Cronin, j’ai découvert le plus beau des métiers, médecin ; avec sa trousse noire, arpentant à vélo la campagne, proche de ceux qui souffrent, il a nourri mes rêves d’enfant. Je ne supportais pas de les voir malades. »

Le rêve a pris corps à la faculté de Bichat-Beaujon. « Michel était un étudiant à la fois consciencieux et décontracté », se souvient le Dr Sylvain Lainé, son condisciple et ami, qui a suivi les mêmes stages. Et partagé les mêmes breaks : « Au "Caducet", le bar de la rue des Saints-Pères, entre deux TP d’anatomie, nous jouions au flipper. Dans des soirées de carabins, Michel venait avec sa guitare et chantait du Brassens, ou des tubes des Beatles. Ou sur les routes : nous avons effectué en duo deux tours de France, 2 000 km en trois semaines à chaque fois, dormant à la belle étoile. Il m’appelait Alonzo et je l’appelais Ramon… » Sport, musique, fête (mais « pas dévergondée ») et bien sûr bachotage sur le calcul intégral et les principes de la thermodynamique, sélection oblige. La philo en prime : lectures et échanges théologiques à la veillée.

Car dès la fac, Michel Aupetit se plonge dans les textes de la tradition chrétienne. « À vingt ans, raconte-t-il, j’ai acheté ma première Bible. Je l’ai lue comme un roman, ce qu’il ne faut pas faire… Je potassais en même temps l’encyclopédie catholique et je suivais des cours du soir. Mais bon, mon projet de vie, clairement, c’était l’exercice de la médecine, avec une femme et des enfants. Chrétien fervent, mais médecin et marié. »

« Une espèce de pif diagnostic »

Son maître de stage, à Colombes, le Dr Claude Béguin, confirme. « Étudiant en sixième année, Michel a été un stagiaire formidable par sa gentillesse avec les patients, et déjà il avait une espèce de pif diagnostic. J’ai trouvé qu’il présentait toutes les qualités pour faire un associé dans mon cabinet de groupe. De fait, pendant onze ans, notre collaboration a été une sorte de communion professionnelle et amicale. Et nous n’avons pas seulement exercé la médecine, nous avons aussi suivi à deux des cours de sculpture sur bois. Moi le non-croyant, je taillais des animaux et lui, il faisait des vierges ou des croix. On le mettait en boite gentiment en l’appelant le cureton, car tout le monde connaissait ses penchants spirituels. » Prosélyte, le jeune Dr Aupetit ? « Jamais, il respectait trop les mécréants comme moi, assure le Dr Béguin, et un jour qu’on parlait religion, moi qui n’en ai aucune, je l’ai entendu me lancer : "tu es plus chrétien que moi !". »

Autre associé de cabinet de Colombes, le Dr Guy Coquelin évoque avec autant de nostalgie ces « années d’harmonie » : « C’est Michel qui a vissé ma plaque, toujours attentif et disponible. Vingt-cinq ans après son départ, les patients que nous nous partagions me parlent toujours de lui, de ses consultations où il pratiquait la mésothérapie, ou la phytothérapie, toujours très empathique. »

Alors, quand, en février 1990, il annonce qu’il va arrêter la médecine pour entrer au séminaire, ses associés seront surpris sans l’être. « J’avais le pressentiment qu’un jour il nous quitterait », confie le Dr Béguin. « J’ai tout fait pour éviter d’abandonner ma vie de médecin, j’étais heureux comme ça, reconnaît l’intéressé. Pendant quelques années, accompagné par un directeur spirituel, faisant des temps de retraite, de plus en plus attiré par la spiritualité, suivant des cours de théologie, j’ai lutté. Jusqu’au jour où j’ai dit : que ta volonté soit faite ! Sans ajouter : et surtout la mienne… »

Un déclic, au chevet d’un patient, l’aurait fait basculer d’une vocation vers l’autre, dévoile-t-il au « Quotidien ». « J’allais soigner tous les jours un patient vraiment rébarbatif qui risquait l’amputation pour une artérite ulcéreuse. Je n’y allais pas la fleur au fusil ! Et puis un jour, j’ai entendu une voix intérieure me demander : "Et si c’était moi que tu soignais ?" Je me suis alors découvert une délicatesse nouvelle dans mes gestes de médecin, j’étais rasséréné, le patient a cessé de maugréer. Notre relation était changée. Ce fut un signal fort. »

La « providence » du gastro-entérologue

Formé au séminaire des Carmes, à Paris, il poursuit après le baccalauréat canonique, avec un DU de bioéthique médicale au CHU Henri Mondor de Créteil. Et dans son parcours de jeune prêtre, il ne lâche pas totalement la clinique, s’investissant en particulier auprès des sans-logis de l’Île Saint-Louis. Le médecin ecclésiastique s’attelle aux grandes interrogations où la médecine et la religion s’interpellent : la contraception, l’embryon, le sexe, la mort. Livres, cours, prises de parole médiatiques se succèdent. « Le médecin est dans le cas particulier, estime-t-il. Le prêtre a la possibilité de prendre de la hauteur et de poser des questions fondamentales, à mesure que la science avance. » Le cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris, le repère et en fait son vicaire général. « Quand il avait à gérer les parcours de 575 ecclésiastiques, la paperasse et les procédures l’accablaient », témoigne le Dr Lainé. Au management des ressources humaines, « Ramon » préfère les camps de jeunes. La guitare et les chants à la veillée. Cet été, le nouvel évêque a ainsi rejoint « Holy Beach », à Carnac, une mission d’évangélisation pour les 18-30 ans.

« C’est que Michel a une faculté d’écoute à toute épreuve, témoigne cet autre ancien praticien de Colombes, le Dr Patrice Pelen, gastro-entérologue. Il en sait quelque chose. Un soir, confie-t-il, j’ai sonné à sa porte. Nous nous sommes confiés l’un à l’autre et mon destin a tout à coup basculé. À mon tour, j’ai fini par quitter la médecine pour la prêtrise. Je peux dire que Michel a été ma providence. »

Les anciens de Colombes rejouent régulièrement les copains d’abord avec leur ex-confrère que le pape a promu l’été dernier évêque de Nanterre. Certains soirs, le prélat les invite à dîner à l’évêché « et il fait le service, enjoué comme avant », rapporte le Dr Coquelin. « Quand j’ai vu sur la sonnette "Monseigneur Aupetit", ça m’a fait un choc, dit son ancien maître de stage. Mais il est resté le même pour nous. » D’aucuns le voient déjà cardinal. « Et pourquoi pas plus ? », demande carrément le Dr Lainé. Lui n’oublie pas qu’il est médecin. Toujours inscrit à l’Ordre, prêt à intervenir quand il le faut, avec son ECG dans la boîte à gants.

Bibliographie : « Contraception, la réponse de l’Église » (Pierre Téqui, 1999), « La mort et après ? » (Salvator, 2009), « L’Embryon, quels enjeux ? » (Salvator, 2011), « L’Homme, le sexe et Dieu » (Salvator, 2001).

Christian Delahaye
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Source : Le Quotidien du Médecin: 9353
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