« Bizarre. » C’est ainsi que Michel Aupetit qualifie lui-même son parcours, avec un large sourire. « Autrefois, résume-t-il, j’étais médecin pour me battre pour la vie. Aujourd’hui, je suis au service de la vie éternelle. »
Il a de quoi s’avouer « le premier surpris » par les événements. C’est que le nouvel évêque de Nanterre n’a pas du tout le profil sociologique de la fonction épiscopale. Né à Versailles, mais originaire de Chaville, fils de cheminot, il a grandi dans une famille peu pratiquante ; il n’a été ni scout, ni enfant de chœur et il n’a pas fréquenté l’école catho. Un cas parmi les évêques français. Et s’il a eu très tôt la vocation, ce fut celle de la médecine : « En lisant les romans de Cronin, j’ai découvert le plus beau des métiers, médecin ; avec sa trousse noire, arpentant à vélo la campagne, proche de ceux qui souffrent, il a nourri mes rêves d’enfant. Je ne supportais pas de les voir malades. »
Le rêve a pris corps à la faculté de Bichat-Beaujon. « Michel était un étudiant à la fois consciencieux et décontracté », se souvient le Dr Sylvain Lainé, son condisciple et ami, qui a suivi les mêmes stages. Et partagé les mêmes breaks : « Au "Caducet", le bar de la rue des Saints-Pères, entre deux TP d’anatomie, nous jouions au flipper. Dans des soirées de carabins, Michel venait avec sa guitare et chantait du Brassens, ou des tubes des Beatles. Ou sur les routes : nous avons effectué en duo deux tours de France, 2 000 km en trois semaines à chaque fois, dormant à la belle étoile. Il m’appelait Alonzo et je l’appelais Ramon… » Sport, musique, fête (mais « pas dévergondée ») et bien sûr bachotage sur le calcul intégral et les principes de la thermodynamique, sélection oblige. La philo en prime : lectures et échanges théologiques à la veillée.
Car dès la fac, Michel Aupetit se plonge dans les textes de la tradition chrétienne. « À vingt ans, raconte-t-il, j’ai acheté ma première Bible. Je l’ai lue comme un roman, ce qu’il ne faut pas faire… Je potassais en même temps l’encyclopédie catholique et je suivais des cours du soir. Mais bon, mon projet de vie, clairement, c’était l’exercice de la médecine, avec une femme et des enfants. Chrétien fervent, mais médecin et marié. »
« Une espèce de pif diagnostic »
Son maître de stage, à Colombes, le Dr Claude Béguin, confirme. « Étudiant en sixième année, Michel a été un stagiaire formidable par sa gentillesse avec les patients, et déjà il avait une espèce de pif diagnostic. J’ai trouvé qu’il présentait toutes les qualités pour faire un associé dans mon cabinet de groupe. De fait, pendant onze ans, notre collaboration a été une sorte de communion professionnelle et amicale. Et nous n’avons pas seulement exercé la médecine, nous avons aussi suivi à deux des cours de sculpture sur bois. Moi le non-croyant, je taillais des animaux et lui, il faisait des vierges ou des croix. On le mettait en boite gentiment en l’appelant le cureton, car tout le monde connaissait ses penchants spirituels. » Prosélyte, le jeune Dr Aupetit ? « Jamais, il respectait trop les mécréants comme moi, assure le Dr Béguin, et un jour qu’on parlait religion, moi qui n’en ai aucune, je l’ai entendu me lancer : "tu es plus chrétien que moi !". »
Autre associé de cabinet de Colombes, le Dr Guy Coquelin évoque avec autant de nostalgie ces « années d’harmonie » : « C’est Michel qui a vissé ma plaque, toujours attentif et disponible. Vingt-cinq ans après son départ, les patients que nous nous partagions me parlent toujours de lui, de ses consultations où il pratiquait la mésothérapie, ou la phytothérapie, toujours très empathique. »
Alors, quand, en février 1990, il annonce qu’il va arrêter la médecine pour entrer au séminaire, ses associés seront surpris sans l’être. « J’avais le pressentiment qu’un jour il nous quitterait », confie le Dr Béguin. « J’ai tout fait pour éviter d’abandonner ma vie de médecin, j’étais heureux comme ça, reconnaît l’intéressé. Pendant quelques années, accompagné par un directeur spirituel, faisant des temps de retraite, de plus en plus attiré par la spiritualité, suivant des cours de théologie, j’ai lutté. Jusqu’au jour où j’ai dit : que ta volonté soit faite ! Sans ajouter : et surtout la mienne… »
Un déclic, au chevet d’un patient, l’aurait fait basculer d’une vocation vers l’autre, dévoile-t-il au « Quotidien ». « J’allais soigner tous les jours un patient vraiment rébarbatif qui risquait l’amputation pour une artérite ulcéreuse. Je n’y allais pas la fleur au fusil ! Et puis un jour, j’ai entendu une voix intérieure me demander : "Et si c’était moi que tu soignais ?" Je me suis alors découvert une délicatesse nouvelle dans mes gestes de médecin, j’étais rasséréné, le patient a cessé de maugréer. Notre relation était changée. Ce fut un signal fort. »
La « providence » du gastro-entérologue
Formé au séminaire des Carmes, à Paris, il poursuit après le baccalauréat canonique, avec un DU de bioéthique médicale au CHU Henri Mondor de Créteil. Et dans son parcours de jeune prêtre, il ne lâche pas totalement la clinique, s’investissant en particulier auprès des sans-logis de l’Île Saint-Louis. Le médecin ecclésiastique s’attelle aux grandes interrogations où la médecine et la religion s’interpellent : la contraception, l’embryon, le sexe, la mort. Livres, cours, prises de parole médiatiques se succèdent. « Le médecin est dans le cas particulier, estime-t-il. Le prêtre a la possibilité de prendre de la hauteur et de poser des questions fondamentales, à mesure que la science avance. » Le cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris, le repère et en fait son vicaire général. « Quand il avait à gérer les parcours de 575 ecclésiastiques, la paperasse et les procédures l’accablaient », témoigne le Dr Lainé. Au management des ressources humaines, « Ramon » préfère les camps de jeunes. La guitare et les chants à la veillée. Cet été, le nouvel évêque a ainsi rejoint « Holy Beach », à Carnac, une mission d’évangélisation pour les 18-30 ans.
« C’est que Michel a une faculté d’écoute à toute épreuve, témoigne cet autre ancien praticien de Colombes, le Dr Patrice Pelen, gastro-entérologue. Il en sait quelque chose. Un soir, confie-t-il, j’ai sonné à sa porte. Nous nous sommes confiés l’un à l’autre et mon destin a tout à coup basculé. À mon tour, j’ai fini par quitter la médecine pour la prêtrise. Je peux dire que Michel a été ma providence. »
Les anciens de Colombes rejouent régulièrement les copains d’abord avec leur ex-confrère que le pape a promu l’été dernier évêque de Nanterre. Certains soirs, le prélat les invite à dîner à l’évêché « et il fait le service, enjoué comme avant », rapporte le Dr Coquelin. « Quand j’ai vu sur la sonnette "Monseigneur Aupetit", ça m’a fait un choc, dit son ancien maître de stage. Mais il est resté le même pour nous. » D’aucuns le voient déjà cardinal. « Et pourquoi pas plus ? », demande carrément le Dr Lainé. Lui n’oublie pas qu’il est médecin. Toujours inscrit à l’Ordre, prêt à intervenir quand il le faut, avec son ECG dans la boîte à gants.
Bibliographie : « Contraception, la réponse de l’Église » (Pierre Téqui, 1999), « La mort et après ? » (Salvator, 2009), « L’Embryon, quels enjeux ? » (Salvator, 2011), « L’Homme, le sexe et Dieu » (Salvator, 2001).
Article précédent
Louis Lareng : de l’hôpital « au pied de l’arbre » à la télémédecine
Article suivant
Dominique Martin : le parcours atypique d’un médecin touche à tout
Dr Olivier Véran : du syndicalisme à l’Assemblée, la fulgurante ascension
Dr Frédéric Tissot : la tête à Paris, le cœur à Erbil
Jack, François et Thomas Mouchel : la gynéco en héritage
Denis Mollat : un médecin en librairie
Catherine Bonnet : une lanceuse d’alerte au Vatican
Elsa Cayat : « La psy de Charlie » ou la passion des mots et des gens
Abdel-Rahmène Azzouzi : contre l’invisibilité, le verbe
Jean-Christophe Rufin : médecin caméléon
Pr Sadek Beloucif : un réanimateur pour déchoquer la société française
Mathieu Coulange : l'effet subaquatique
Jean Abitbol : la voix des autres
Florence Cortot : anesthésiste le jour, humoriste le soir…
Pr Cécile Badoual : la croisade d'une femme contre le HPV
Dr Albert-Claude Tahar : en arrêt de travail malgré lui
Dr Borhane Ferjani : d'une élection l'autre, les sirènes de la politique
Muguette Bastide : diptyque polychrome d’une femme médecin
Petit Bertrand et Docteur Virieux : un cardiologue contre un cardinal
Michel Bénézech : médecin du crime
Devi Shetty : chirurgien cardiaque low-cost
Patrick René-Corail : aux petits soins pour la santé martiniquaise
Maryline Salvetat avec son peloton vers Rio
Jannie du Plessis : un médecin en première ligne
Louis Lareng : de l’hôpital « au pied de l’arbre » à la télémédecine
Michel Aupetit : l’ex-généraliste « bizarre » devenu évêque de Nanterre
Dominique Martin : le parcours atypique d’un médecin touche à tout
Matthias Lambert : chercheur et myopathe
Ibrahima Maïga : pratiquer la médecine sous la coupe d’Aqmi
Aaron Carroll : Dr YouTube
Wilfredo Martinez : un médecin sous pression
Pr Jean-Pierre Neidhardt, la mémoire vivante
Mariam Rastgar : l'étonnante Odyssée d'une étudiante en médecine hors norme
Pierre Duterte : homme de l'Art, médecin de l'être
Védécé : planches de vie
Laurent Seksik : le médecin-star malgré lui
Pr Alain Serrie : humaniste ambitieux contre la douleur
Pierre Corvol : grand diffuseur de savoir
Agnès Buzyn : une féminité assumée dans un monde de mandarins
Cécile Colavolpe : Un choix de vie majeur
Dr Raphaël Pitti : soigner et témoigner
Dr Stella Verry : in Memoriam
Dr Roberto Anfonsso : la médecine de campagne... c'est son dada !
Kurt Matthaus : des villageois mosellans aux expat’ de Shanghai, il n’y a qu’un pas
Gérard Maudrux : l’inoxydable patron de la CARMF tire sa révérence
Dr Jérémy Saget : le chant de Mars
Dr Giulia Grillo : une ministre de la Santé 5 étoiles !
Henri Borlant : et après Auschwitz, il y eut la médecine générale
Dominique Stoppa-Lyonnet : prédisposée aux débats d’idées
Jean-Baptiste Grisoli : pilier de la santé du XV de France
Patrick Bouet : la discrète ascension d’un praticien déterminé
Chris Murray : le médecin qui mesure la santé du monde entier
Michel Polak : le fœtus est devenu son patient
Milad Aleid : péril en la famille
Borée, docteur blogueur en campagne
Dr « Fanch » Le Men : médecin de famille depuis 13 lustres
Robin Ohannessian : au cœur de la télémédecine
Dr Philippe Grimaud : héraut d'une mort plus civile
Jérôme Marty : ascension à front renversé
Patricia Vaduva : Miss prévention
Virginie Maincion : soigner mais pas seulement
Anandibai Joshi : les histoires les plus courtes sont parfois les meilleures
François Desgrandchamps : en marche
Ghada Hatem-Gantzer : militante pro-femmes
Franck Le Gall soigne les Bleus et les bosses
Stéphane Clerget : un psy passe à table
Jean-Marie Le Guen : un médecin pour soigner les crises parlementaires
Dr Baptiste Beaulieu : l'humanité à fleur de peau
Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil : la possibilité d'une écoute
Christine Janin : première de cordée
Dr Francis Hermitte : il y a un an, sur l'épicentre médiatique du monde
Pr Philippe Touraine : elle c'est elle, lui c'est lui
Stéphane Delajoux, Bashing doctor
Alexandre Fuzeau : Docteur Ice, champion de nage en eau glacée
Pr Bernard Bioulac : une vie entre Science et Humanisme
Dr Jean Denis : les chemins de traverse d'un médecin de campagne
Dr Jochen Walza : « deutsche Qualität » à Marseille
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature