Ouste, dehors ! Après un repas familial où il fallait quand même jouer un peu des coudes pour se servir du plat unique posé au centre de la table – soupes, pot-au-feu, couscous ou pâtes au beurre, 100 % fait maison – les six enfants Clerget allaient jouer à l’extérieur.
« On mangeait, on mangeait pas, tout le monde s’en fichait. » Il n’était pas non plus question de prendre un paquet de gâteau dans un placard ou de se servir dans le frigo. Il y avait une discipline. Aucun des gamins n’a jamais eu de troubles du comportement alimentaire. Le bon vieux temps. Heureusement, la télévision, les jeux vidéo, l’accès permanent à la nourriture, les plats industriels ou les obsessions alimentaires parentales ont chahuté tout ça. Les troubles du comportement alimentaire sont souvent au centre des consultations du Dr Stéphane Clerget, pédopsychiatre à Paris et auteur de « Bien dans son assiette, bien dans sa tête » (Fayard).
Soigner et prévenir certaines pathologies en privilégiant des aliments, des cuissons ou des associations de produits et d’épices n’est certes pas nouveau, mais conseiller cette méthode de soins complémentaires pour réguler nos émotions – dépression, phobie, anxiété, échec scolaire… – est presque révolutionnaire. « On est aux prémices de cette nouvelle voie thérapeutique », explique le Dr Clerget qui n’hésite pas à recourir parfois au café pour ses jeunes patients atteints de troubles de l’attention et de l’hyperactivité (TDHA) en place de médicaments dérivés d’amphétamines non dénués d’effets indésirables.
Un cabinet sur le chemin du paradis
Le pédopsychiatre, chemise blanche, costume noir et belles baskets chamarrées (on ne voit qu’elles), reçoit entre une girafe en raphia, un château fort, un panier de poupées et une mini-cuisine-dînette. Son cabinet se trouve sur les Champs-Élysées. Qui, dit-il, mènent au paradis et sont fort pratiques pour les correspondances en métro, et puis, « à l’époque » (le Dr Clerget préfère ne donner aucune date, il est « méfiant »), les Champs n’étaient pas ce qu’ils sont, « c’était moins luxe ».
Sa patientèle se compose de nourrissons, d’enfants (avec des pics à 3 et 12 ans, périodes de conflit avec les parents) et d’adolescents pouvant parfois aller jusqu’à 25 ans. Elle provient de tous les milieux sociaux et de diverses nationalités, française, portugaise ou nord-africaine. Qu’importe. Mange trop, pas assez, pas bien ou quasiment de rien, le mal de vivres revient sans cesse sur le tapis. Même si ce n’est pas l’objet premier de la consultation. « Ici, on a du temps. Il faut le prendre pour questionner sur les habitudes alimentaires. Les parents, partenaires de soins, sont réceptifs. Je suis prudent, jamais péremptoire. Ce sont des pistes, comme l’action des laits fermentés sur certaines phobies sociales ou l’impact des aliments riches en vitamine B12 (palourdes, foies, rognons…) sur les difficultés scolaires. »
Le médecin, s’il ne met guère la main à la pâte en cuisine, – « Je n’ai pas été formé à ça. Cela m’ennuie » –, a épluché expériences et études médicales et scientifiques sur le sujet et décortiqué les livres d’histoire de la médecine. Car créditer les aliments d’une influence sur notre humeur et nos émotions ne date pas d’hier. Au Moyen Âge, l’essentiel des thérapeutiques étaient issues des aliments et des plantes (voir encadré).
Amour pour la médecine... et pour les médecins
L’histoire, c’est le dada de ce docteur. La grande et les autres, les nôtres. Enfant, il fut tenté par une carrière de prof d’histoire. Mais sa réelle admiration pour le médecin de famille – « Il n’était pas familier, juste très pro, cela me plaisait » – et une sœur aînée déjà carabin, ont emporté le morceau. Ce fils de soudeur a fait des études « très faciles, très agréables » à la faculté de médecine Xavier-Bichat à Paris et n’a jamais regretté son choix : « J’ai un amour très fort pour la médecine et un respect énorme pour les médecins. J’ai tout de suite de la sympathie pour quelqu’un qui est médecin. » N’empêche, l’histoire, jamais, n’est remisée pour autant chez ce grand amateur de théâtre. Une thèse sur l’aspect de la maladie mentale dans le théâtre de Charles Beys, auteur du XVIIe siècle repéré dans « Histoire de la folie à l’âge classique » de Michel Foucault, le transporte au sein de l’un des tout premiers asiles et lui permet de plonger dans la psychiatrie populaire sous Louis XIV. Stéphane Clerget passe ensuite un diplôme universitaire de l’histoire de la médecine et enchaîne avec un mémoire sur Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676) et ses fameux « Visionnaires », les gentiment dérangés d’alors.
Ce pédopsychiatre n’est pas un ogre. Il se nourrit sainement, du saumon deux fois par semaine pour les fameux oméga 3 qui filent un moral du tonnerre, des noix bourrées de phytomélatonine chaque soir et il évite « de manger des mammifères par éthique ». Mais il mange vite, trop vite car il a mieux à faire. Ce qu’il dévore avec gourmandise, ce sont les biographies. George Sand, Greta Garbo, Marie Curie, Françoise Dolto… Que des femmes ! « Elles sont plus intéressantes, elles galéraient plus… » Le Dr Clerget participe à l’émission « Sous les jupons de l’histoire » de Christine Bravo sur Chérie 25. De Pauline Bonaparte, Agnès Sorel ou La Goulue, il recueille les symptômes et pose des diagnostics. « Sans avoir la vérité, bien sûr, mais c’est l’occasion d’aborder les grossesses, les accouchements ou la sexualité de ses femmes, domaines dont on ne sait quasiment rien. »
Et puis il y a les petites histoires. Celles de ses patients, de leurs parents, des secrets de famille… L’anamnèse, c’est son truc. Il rit et se souvient qu’externe, quand il y avait un suicidaire, ça ennuyait tout le monde. « Vas-y, toi, t’as le contact », lui disait-on, et ça se passait bien. Contact qu’il a avec les enfants depuis longtemps. Stéphane Clerget a fait des baby-sitting dès l’âge de onze ans et a ensuite financé ses études en animant des colonies de vacances et des centres de loisirs. « Pour repérer un enfant qui va mal, il faut d’abord parfaitement connaître tous ceux qui vont bien », explique le médecin aux trois référents : Anna Freud, Françoise Dolto et le pédopsychiatre Philippe Jeammet.
La cuisine, couteau suisse
Aujourd’hui, Stéphane Clerget en est sûr : « Faire la cuisine, c’est bon pour tout. » C’est un outil de cohésion familiale, cela développe la réflexion, le jugement, l’imaginaire et permet aussi à l’enfant de savoir ce qu’il mange. Car, confirme-t-il, de nombreux enfants n’ont pas la moindre idée de ce qu’ils avalent. Le poisson carré est toujours d’actualité.
Certes le Dr Clerget n’a pas la recette du bonheur, il en donne néanmoins un certain nombre d’ingrédients qu’il a lui-même testés avec ses enfants. À commencer par remettre le repas au centre de la vie familiale et particulièrement le petit-déjeuner. Ce repas est essentiel pour la lutte contre l’obésité et, pris en famille, il est aussi à l’origine de meilleurs résultats scolaires : « L’enfant "mange" ses parents en même temps que son petit-déjeuner et les emporte avec lui à l’école, il est plus confiant. »
L’insatiable Dr Clerget rédige ses très nombreux ouvrages (plus d’une soixantaine) pendant les vacances, son « activité de loisirs » qui lui permet de « demeurer un éternel étudiant ». C’est aussi et surtout « un formidable anxiolytique ». Aussi efficace qu’un foie de veau-haricots beurre. Ouste, au boulot !
Article initialement publié le 9 mai 2017
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