Tee-shirts imprimés, pantalons souples, bracelets grigri au poignet. Elles partagent une allure bohème. Et un même franc-parler. Un même intérêt aussi pour le vécu des patients. Précoce et affirmé chez la Parisienne Anne Révah-Lévy, qui en a fait son métier, pédopsychiatre. Quand Laurence Verneuil, dermatologue et oncologue au CHU de Caen, s’y est immergée progressivement par le biais de la recherche qualitative.
Un virage amorcé suite à un « constat de mal-être croissant des patients à l’hôpital » et une prise de conscience personnelle : « Quand on est jeune, on nous apprend la maladie. On ne prend pas la mesure de l’écoute. Je pense avoir parfois manqué de bienveillance », confesse-t-elle. Et de se demander : « Dans le contexte de technicisation et de rentabilité actuel, où est la place du sujet ? » Une question éthique au cœur de leur ouvrage commun « Docteur, écoutez ! », publié en mars chez Albin Michel. Un livre au titre impératif, pourtant rédigé sans intention de culpabiliser ou de stigmatiser qui que ce soit, si ce n’est les pouvoirs publics, promoteurs selon elles d’une « vision entrepreneuriale de l’hôpital ». Non, cette injonction tient plutôt à l’urgence de réformer le système, en misant sur des valeurs humanistes et sur la dynamique patient-médecin comme premier levier de changement. Une thèse née de leurs convictions intimes et de leurs expériences professionnelles, au contact de soignés et de soignants en souffrance, faute d’un espace d’écoute suffisant.
En France, la durée de consultation varie de 15 à 18 minutes (1), avec une redirection des propos du patient après 23 secondes en moyenne (2). Une réalité qui ne reflète pas (nécessairement) le ressenti : « Une bonne séance donne toujours au patient l’impression d’avoir duré longtemps. Nul besoin donc de la prolonger à l’excès pour lui donner le sentiment d’avoir été entendu et augmenter ainsi sa satisfaction. »
Inviter, écouter, résumer
Outre des études scientifiques sur le sujet, les huit chapitres de leur livre intègrent des scènes de la « vraie vie », glanées au hasard des rencontres. C’est par exemple l’histoire de Michelle et sa migraine, décédée d’une rupture d’anévrisme, ou de Liliane, isolée face à son angoisse de la mort. Une matière sensible, à la fois illustration et démonstration, traduite en mots par Anne Révah-Levy, déjà auteur de quatre romans (voir encadré). Le reste de l’ouvrage est le résultat de deux ans de réflexion croisée et d’écriture à quatre mains. « On en parlait ensemble, on structurait des chapitres, puis on fonctionnait par aller-retour jusqu’à trouver une version qui nous convienne à toutes les deux. »
Un exercice passionnant, exigeant aussi, qui prend ses racines au début des années 2000, quand elles se rencontrent autour d’une étude commune sur le suicide cellulaire (apoptose). Un thème, entre recherche fondamentale et clinique, au cœur de la thèse de Laurence Verneuil. Cette spécialiste de la peau, conçue comme une « interface entre le dehors et le dedans, le soi et l’étranger », est de longue date attentive aux « choses du sujet ». Au contact de sa consœur, elle s’ouvre encore davantage à la psychiatrie et à la psychanalyse. Une perspective qui « modifie [sa] manière d’être en consultation ». Rien de très complexe : « C’est une attention, une reconnaissance, un regard… » Une approche explicitée en quelques mots-clés : « Inviter, écouter – sans interrompre – et résumer, pour prioriser », souligne la pédopsychiatre, convaincue que « l’écoute est un élément fondamental du diagnostic et que le vécu du patient et sa manière de le raconter priment sur tout ».
Reste à accueillir cette parole : une démarche pas toujours simple pour les médecins, confrontés à leurs propres émotions. « Il ne s’agit pas de tomber dans une trop grande proximité », prévient Anne Révah-Lévy. « Mais de créer les conditions d’une relation. Sans elle, pas de médecine, mais des erreurs médicales, de l’errance, de la surconsommation médicamenteuse… »
Enjeu de société
Les deux auteurs parlent en connaissance de cause. La pédopsychiatre a consacré sa thèse de sciences à l’évaluation de la dépression à l’adolescence : un travail réalisé sur la base d’une recherche qualitative, étayée d’interviews de jeunes patients. Une méthodologie reprise par Laurence Verneuil dans le cadre de son groupe de recherche, fondé en 2010 à l’hôpital Saint-Louis et axé sur « l’évaluation des soins en médecine, à partir du vécu des patients ».
Leur livre participe de la même démarche : une volonté de « transmettre leur expérience et de se battre contre une médecine désincarnée ». D’où leur souhait d’être publiées chez un éditeur généraliste, pour toucher le plus large public possible. « Au quotidien, on nous parle d’économie, pas de patients. Finalement, tout le monde s’habitue à dire que l’hôpital va mal. » Malgré des désaccords sur certains points, les deux femmes refusent de croire en cette fatalité et regrettent d’une seule voix que « les politiques ne s’emparent pas davantage du sujet de la santé qui est pourtant un véritable enjeu de société ». En cette période pré-électorale, Anne Révah-Lévy et Laurence Verneuil entendent bien ne pas baisser la garde. Elles réfléchissent déjà à un nouvel ouvrage commun, « toujours sur la médecine et ses fondements éthiques ».
(1) Enquête de la drees (n° 481, avril 2006) auprès des généralistes libéraux.
(2) Marvel M.K., Epstein R.M., Flowers K., Beckman H.B., « Soliciting the patient’s agenda : have we improved ? », JAMA, janvier 1999.
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