C’est toujours entre le dessert, patchwork misérabiliste des spécialités du chef, et le « café-cuvette » , moelena pestilentiel prétentieusement accompagné de sa crotte de cacao, que les conversations du banquet évoquent les délicieux frissons des premières fois.
Plus le temps passe, plus l’évocation de cet Hésiodique paradis perdu nous met la larme à l’oeil et la paille au... Est « vieux » celui qui commence à dire que c’était mieux avant. Ce n’était pas mieux, c’était simplement différent. Chacun, alors, postillonne son « histoire de chasse », le regard embué, adouci par le souvenir et l’alcool, l’air niais d’une poupée qui aurait « les yeux tournés vers l’intérieur ».
Chose étonnante, la plupart des apprentis morticoles ont débuté leur ministère, honteusement éloignés de l’Alma Mater, dans de robustes campagnes, plus aptes, semble-t-il, à supporter leurs errements diagnostiques et thérapeutiques. Nous ne remercierons jamais assez la Natura Medicatrix d’avoir doté nos paysans d’une constitution si résistante.
Dès l’arrivée, déposé par une micheline, aussi éloigné des T.E.R actuels que Bernadette Soubirous de Brigitte Lahaie (quoiqu’elles aient l’amour en commun), l’impécunieux impétrant, scotché sur le quai, regrette amèrement d’avoir laissé la 2CV à sa femme. Cette mie, encore tendre, dont le zèle bienveillant lui a dégoté dès le résultat des cliniques, son premier remplacement chez ces bouseux. Le médecin lui ayant rapidement expliqué au téléphone le chemin à suivre de la gare au cabinet. Un ou deux kilomètres, pas plus. Il se retrouve donc, perdu, un dimanche à 15 heures, sous un soleil d’août, dans un trou paumé au milieu de nulle part, aussi fréquenté qu’une exposition de Buren au New Jimmy’s disco bar de Rebirechioulet (tu prends par L’Isle-en-Dodon, et c’est juste avant Escarnecrabes).
Suivent 35 minutes de marche en milieu hostile, à éviter des bouses dysentériques, éparpillées comme des mines entre les deux Corées, en tentant, par une DCA choréiforme, de repousser les raids en piqué de taons gros comme des B.52.
Les soulagements offerts par les Bovary rurales
C’est donc ruisselant dans son costume de premier communiant, qu’il frappe d’un doigt mollement moite, à la bourgeoise porte du cabinet-habitation. Curieusement, l’image gardée de cette maison reste souvent empreinte d’un mélange d’angoisse, de joie et d’envie. Il est évident pour chacun qu’en ce temps là , « ils » se faisaient des « couilles en or », que les patients n’avaient pas d’autre exigence que celle d’être soignés mais pas obligatoirement guéris, et que le percepteur faisait un excellent mort au bridge. Ceci sans compter les furtifs soulagements généreusement offerts par de béates Bovary rurales.
Après avoir visité un « home sweet home », hésitant entre Roche-et-Bobois et le Henri 3 néo-rustique, constaté avec dépit que la porte des pièces stratégiques lui est irrémédiablement fermée (cave pour les bouteilles, chambre du chef pour les préservatifs), il se fait présenter une « Marie » chargée de son entretien et surveillance, dont le sourire dérobé lui fait comprendre qu’il n’aura pas intérêt à vérifier ses heures d’arrivée et de départ.
En général, les remplacés sont plus fiers de leur lieu de travail, dont ils gèrent seuls l’aménagement, que de leur domicile. Celui-ci, est en général « décoré » par une épouse oisivement emperlousée sur des seins bronzés à la lampe, généreusement offerts par un balconet dont le décolleté plonge avec l’âge. Lectrice assidue de Rustica, spécialement commandé par le buraliste indigène, elle gonfle son mari, attise la jalousie de ses copines femmes de libéraux, en changeant tous les 3 ans les chaises de la salle à manger.
Le « vrai » médecin ayant pris soin de faire tous les renouvellements systématiques (« Vous savez, docteur, on peut vous appeler docteur ?, y les a bien mérité ses vacances ! Qu’est ce qu’il a eu comme travail avant de partir ! »), d’hospitaliser les sub-claquants et les mamies abandonnées par les congés payés, à la SPA de l’hôpital local, il peut d’une phrase effondrer le rêve eldoradesque du remplaçant fauché : « vous inquiétez pas, ce sera calme ! »
Le tour du propriétaire se termine par la présentation du véhicule de fonction. Même à cette époque bénie, jamais un médecin de campagne n’affiche sa réussite en roulant. Il réserve le capot étoilé pour les week-end Relais et Châteaux ou les vacances à la villa d’Hossegor. C’est donc les 3 clefs, porte, contact, bouchon d’essence, d’une poubelle tapissée d’échantillons médicaux éventrés et périmés, qu’on lui confie.
Les valises prétentieusement siglées enfournées dans le coffre toujours trop petit de l’austère allemande, le bizuth voit s’éloigner enfin, l’image d’une réussite où la réalité dépasse souvent l’affliction...
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