Ce qui n’était au départ qu’une « simple intuition » a finalement tourné à l’engagement citoyen. C’était en 2012. Très vite, les trois généralistes sont sollicités par les riverains pour les aider à prouver l’existence d’un lien entre les problèmes de santé et l’épandage de pesticides dans la région. Après « avoir gratté » dans la littérature scientifique, ces derniers finissent par « trouver des preuves ». En mars 2013, une première pétition est lancée à l’échelle régionale dans le cadre de la semaine sans pesticides. Fort de son succès, 160 signatures ont été recensées, mais le Dr Pierre-Michel Perinaud s’aperçoit qu’il va falloir taper plus fort et plus haut pour se faire entendre. Les promesses faites par l’ARS du Limousin de réunir tout le monde autour d’une table sont, en effet, restées « lettre morte ». Le généraliste de Limoges ne se laisse pas abattre. Il réitère en lançant une deuxième pétition à la mi-septembre et récolte un peu plus de 600 signatures. « On compte remettre en 2014 la pétition aux trois ministères : Santé, Environnement et Agriculture », prévient le généraliste.
Le Dr Perinaud, à l’initiative de la pétition « Zéro pesticides », fait partie de ce qu’on appelle « les lanceurs d’alerte ». Comme lui, ils sont de plus en plus nombreux à alerter les pouvoirs publics des dangers sanitaires qui nous entourent. Souvent intimidés par leurs employeurs ou les industriels, ces médecins doivent faire face à de multiples embûches avant de se faire entendre. C’est dans ce contexte que la sénatrice Europe Ecologie Les Verts (EELV), Marie-Christine Blandin, a déposé une proposition de loi en avril dernier qui a, depuis, été votée par le Parlement. Alors que les décrets d’application doivent paraître dans les jours à venir, le texte prévoit la création d’une Commission nationale de déontologie et des alertes (CNDA) prévue pour recenser toutes les « alertes » d’ordre sanitaire.
Le pionnier d’Evreux
En attendant, sur le terrain, le « combat » continue pour le Dr Joël Spiroux de Vendômois, l’un des premiers généralistes à avoir démontré les risques sanitaires liés à l’environnement. Après des études agricoles, ce jeune Normand décide de faire médecine. Installé en 1981 à Evreux, le généraliste découvre dans son exercice beaucoup de « similitudes » entre les problèmes des champs et ceux de ces patients. Sa première alerte sur la présence de résidus médicamenteux dans les effluents du CHU de Rouen est un pavé dans la mare. La prise de conscience sur ces sujets prend corps. Il organise en 2005, puis en 2009, les premiers Congrès sur les pathologies environnementales à Rouen.
à plusieurs centaines de kilomètres de là, en Corse, le Dr André Rocchi, installé depuis trente ans dans un petit village à Prunelli di Fiumorbo, en Haute-Corse, a lui aussi prévenu les pouvoirs publics de deux phénomènes inquiétants liés au réchauffement climatique. Ce sont des chasseurs qui, en 2003, au cours de consultations, l’ont averti de piqûres infligées par des moustiques à l’allure assez inhabituelle. Intrigué, le généraliste se rend sur place et constate, en effet, que ces moustiques ne sont pas « tout à fait comme les autres ». Il s’agit de moustiques-tigres, vecteurs du chikungunya. Très vite, le Dr Rocchi prend conscience du danger et signale la présence de ces « bestioles » à la DASS en 2004. Comme ces confrères, le généraliste essuie, lui aussi, les plâtres de l’administration qui reste silencieuse face à ces alertes. Finalement ce n’est que deux ans plus tard, alors que La Réunion est frappée par une épidémie de Chikungunya, que les autorités sanitaires se réveillent et déclarent la présence du moustique-tigre sur l’Ile de Beauté. Mais le généraliste ne s’arrête pas là. Il s’est déjà mobilisé sur le danger des cyanobactéries, organismes très toxiques également appelés « algues bleu-vert », présentes dans des plans d’eaux, et s’inquiète du manque de sensibilisation du corps médical à ces problématiques. « En cas d’intoxication, le monde médical non préparé ne pourrait établir un diagnostic rapide et serait dépourvu de traitements efficaces ».
Un si néfaste incinérateur
Si certains combats comme celui du Dr Rocchi et du moustique-tigre finissent par être entendus, ce n’est pas le cas de tous. Le Dr Jean-Michel Calut en a fait l’expérience. Après plusieurs années de lutte contre la construction d’un incinérateur d’ordures ménagères au centre de l’agglomération de Clermont-Ferrand, il n’a pas pu empêcher ce projet. Tout commence au début des années 2000 lorsqu’une association environnementale contacte le généraliste installé depuis 1983 à Lempdes. « Ils m’avaient demandé de faire une synthèse des risques liés à ce projet », se souvient-il. Mais son intérêt pour la cause environnementale ne doit rien au hasard. Interne en pneumologie, le futur généraliste relève qu’un certain nombre de ses patients décédés du cancer de la plèvre avaient été exposés à l’amiante. « à ce moment là, j’ai compris qu’il y a avait une forte distorsion entre le discours des industriels et des pouvoirs publics, d’un côté, et ce qui se passait sur le terrain aux côtés des malades ». Déjà sensibilisé aux pathologies environnementales, le Dr Calut s’engage alors tout naturellement contre la construction de cet incinérateur. Petit à petit le mouvement se met en marche et parvient à la création d’un collectif de 527 médecins. De manifestations en réunions, le généraliste se fait connaître. Rapidement, il est reçu par le préfet de région, ce qui lui permet « d’obtenir une certaine crédibilité auprès des industriels et de la population ».
Des pressions ? Il y a bien eu quelques tentatives, mais rien de très important selon lui car « nous avons très vite été pris en considération par les pouvoirs publics ». Le médecin revendique toutefois son rôle de « lanceur d’alerte ». « Prévenir, c’est à la fois alerter et faire de la prévention », explique-t-il. Malgré une médiatisation importante, le collectif n’aura pas réussi à stopper le projet.
S’il n’a pas gagné cette guerre, le médecin considère qu’il au moins remporté une bataille. Un conservatoire de molécules prélevées aux abords de l’incinérateur va être créé et permettra de « prouver que nous avions raison ». Et les petites victoires comme celles-ci, les lanceurs d’alerte les savourent tant elles sont rares.
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