Avancée conceptuelle
Aujourd'hui, il est beaucoup plus facile de dire à un patient : « Je vous donne un traitement pour que vous soyez moins en difficulté avec votre maladie ». Il y a dix ans, lorsqu’on souffrait d'une maladie mentale, il fallait la soigner, l'ôter, faire disparaître les symptômes. Cette nouvelle vision des pathologies psychiatriques découle des progrès de la neuroscience et d'une meilleure compréhension du fonctionnement du cerveau. C'est une avancée conceptuelle importante, qui a permis de sortir d'un réel obscurantisme. Bien évidemment, les médicaments dont nous disposons permettent de soigner des pathologies psychiatriques ; mais ce sont aussi, via l’adaptation des posologies ou des stratégies thérapeutiques, des modulateurs d'ajustement à ce que vit le patient dans sa relation avec l'environnement et avec lui-même. Le traitement de la schizophrénie en est un exemple. Nous avons une meilleure compréhension physiopathologique de ce qui passe au niveau neurobiologique lorsque les patients ont des hallucinations auditives, des troubles du jugement ou des difficultés d'ajustement à l'autre. Il ne s’agit pas seulement d’un dysfonctionnement des synapses, mais d’un problème dans l'organisation globale du fonctionnement du cerveau. On sait désormais qu’avant même la survenue de la maladie mentale, il existe un processus neurodéveloppemental, débutant parfois in utero, qui favorisera ultérieurement l'expression de la maladie.
Responsabilité pénale et réalité biologique
Le double meurtre d'une infirmière et d'une aide-soignante dans un établissement psychiatrique à Pau en 2004 a de nouveau posé la question du jugement et de la responsabilité des malades mentaux, écartée du champ pénal au XIXe siècle par les aliénistes français. Le débat est devenu particulièrement houleux en 2007, lors du jugement en appel de la première conclusion de non lieu. La responsabilité des malades mentaux est désormais davantage prise en compte dans les affaires civiles ; les patients ne sont plus protégés par la loi, ce qui est à la fois désolant pour eux, mais signe également leur participation à la vie citoyenne. Avec cependant un corollaire problématique : l’entretien d’une ambiguité, notamment chez les politiques, autour du concept de maladie mentale, cette dernière étant à la fois subie mais aussi non maîtrisée par le patient… Un peu comme si sa pensée ne venait que de « lui », et non des cellules de son cerveau. Mais les pensées erronées ont aussi une origine biologique ; et ce qui concerne la psychiatrie ne relève pas seulement d'une logique « psychosociale ».
Vers une cognition sociale ?
Le fonctionnement du cerveau devrait être envisagé d'une manière beaucoup plus globale, en interaction permanente avec les autres. Il faudrait davantage réfléchir et travailler sur la dynamique cérébrale, plus que sur les réseaux de neurones ; nos stratégies de pensée, notre activité cellulaire doivent être considérées comme un système qui s'active dans une représentation du monde. C'est ce qu'on pourrait appeler une « cognition sociale », qui est fonction de ce que sont les autres pour soi. Autrement dit : « Ce qui fonde ma pensée, c'est ce que représentent les autres pour moi...»
L’essentiel pour le Dr Philippe Nuss
Service de Psychiatrie, hôpital Saint-Antoine, Paris
L’avancée majeure :
2007 Le débat autour de la responsabilité pénale des malades mentaux
Objectif 2020 :
« Changer de paradigme vis-à-vis du fonctionnement du cerveau, le considérer comme un système dynamique, en interaction avec les autres. »
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