L’impact du jeûne sur la perte pondérale mais aussi le cancer fait débat. En oncologie, l’idée que « s’affamer affame la tumeur » se répand ces dernières années. Une étude très médiatisée parue en février 2012* et peu contestable sur le plan scientifique a éveillé l’attention du grand public sur l’éventuel intérêt du jeûne en cancérologie. Ce travail de l’équipe du Pr Walter Longo (université de Californie du Sud) suggère que de brefs jeûnes au cours d’une chimiothérapie pourraient ralentir le développement du cancer du sein, du mélanome, du gliome, chez la souris et limiteraient les effets secondaires du traitement. Mais la prudence s’impose.
Même si l’explication physiopathologique tient la route – il existe des voies intracellulaires communes entre l’anabolisme protéique et la croissance tumorale, etc. – des chercheurs du monde entier ont souligné les biais potentiels de cette étude. « Elle appuie le fait que la nutrition est une arme thérapeutique dans le processus tumoral, commente un spécialiste français, le Dr Sami Antoun, médecin nutritionniste à l’institut Gustave-Roussy (Villejuif). Néanmoins, le pouvoir métabolique de la tumeur est plus important chez l’animal que chez l’homme et l’extrapolation des effets du jeûne observé chez la souris à l’être humain est
dangereuse. »
S’affamer n’affame pas forcément la tumeur
À l’opposé, de nombreuses études ont établi que certaines tumeurs évoluent indépendamment des apports alimentaires. L’amaigrissement observé au cours de certains cancers évolués est un argument indirect de la croissance tumorale indépendamment des apports alimentaires : la tumeur va puiser les nutriments dans l’organisme pour croître, même si les apports alimentaires sont réduits.
Ce concept de la nutrition cyclique n’est pas à rejeter en entier mais il n’existe aucune preuve scientifique formelle de son intérêt au cours d’une chimiothérapie. « Aucun nutritionniste à l’heure actuelle et sur
des données animales ne cautionnera l’attitude de jeûner avant une chimiothérapie?», explique le
Dr Antoun.
En revanche, ce qui est prouvé par de nombreuses publications scientifiques est qu’il existe un lien entre dénutrition et évolution négative de la tumeur, entre dénutrition et diminution de la qualité de vie, entre dénutrition et complications post-opératoires ainsi qu’entre dénutrition et toxicité des agents anticancéreux. «?Notre équipe a présenté au congrès de l’European Society of Parenteral & Enteral Nutrition (8-11 septembre 2012) le résultat de plusieurs de nos études montrant que plus la masse musculaire était diminuée, moins la tolérance de la chimiothérapie était bonne : les effets secondaires étaient plus fréquemment observés en présence d’une diminution de la masse musculaire.?», rapporte le Dr Antoun. Une étude clinique récente, menée dans le cancer de l’œsophage, a aussi montré qu’une nutrition entérale enrichie en oméga 3 réduit la toxicité de la chimiothérapie. Selon les recommandations internationales, européennes et françaises, un patient dénutri qui doit subir une intervention carcinologique complexe doit bénéficier d’une nutrition assistée entérale ou parentérale dans les sept à dix jours précédant l’intervention chirurgicale.
Plusieurs études ont prouvé que cette prise en charge nutritionnelle diminue les complications post-opératoires. « Aujourd’hui en l’état des connaissances chez l’homme, les médecins doivent donc déconseiller le jeûne avant une chimiothérapie et, en cas d’intervention chirurgicale lourde, chez un patient cancéreux, conclut le Dr Antoun ».
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