Alors que la France a pendant longtemps été en tête des classements européens en matière de santé périnatale, elle occupe aujourd’hui respectivement les 20e et 21e places quant à la mortinatalité et la mortalité infantile. Des chiffres alarmants, qui pourraient être améliorés par une réorganisation en profondeur des soins périnataux.
« En nous penchant, en 2019, sur la démographie des gynécologues-obstétriciens (GO), nous nous sommes aperçus que si le nombre de spécialistes a significativement augmenté depuis 2012, les tensions sur le terrain sont majeures, voire se sont aggravées », note le Pr Olivier Morel (CHRU Nancy).
Un des premiers constats est l’absence de pilotage du système de santé, avec un manque cruel de données sur qui sont et ce que font les spécialistes formés. « Qu’il s’agisse du Conseil de l’Ordre, de la Fédération hospitalière de France ou des ARS, personne ne sait qui fait quoi, à temps plein ou à temps partiel, avec ou sans gardes, etc. », poursuit le secrétaire d’obstétrique du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et past-président du Collège des enseignants en gynécologie-obstétrique (Cego). Selon la grille de tension démographique établie par le CNGOF, il faut statutairement au moins cinq équivalents temps plein pour faire une liste d’astreintes, sept pour une liste de gardes. Des chiffres que n’atteignent pas 90 % des maternités réalisant moins de 1 000 accouchements par an, et seulement la moitié de celles en faisant moins de 2 000. En Lorraine, une enquête flash avait pointé que moins de la moitié des équivalents temps plein nécessaires pour assurer la permanence des soins étaient disponibles sur le territoire.
Le problème des « petites maternités »
Où sont donc les GO ? Une enquête menée dans le cadre d’un travail de thèse apporte des éléments de réponse très inquiétants : à l’âge de 45 ans, ce qui est très jeune eut égard à l’âge de début de carrière, à peine la moitié des GO ont toujours une activité de garde, quasi aucun n’exerce dans une maternité assurant moins de 1 000 naissances et très peu ont un profil mixte, comme cela était courant dans les générations antérieures.
Un autre travail de thèse réalisé dans la région lilloise auprès des anciens internes, en cours de publication, montre qu’ils sont très nombreux à abandonner la permanence des soins et qu’aucun ne travaille dans une maternité réalisant moins de 1 000 accouchements par an. Des données corroborées par une enquête de 2022 de l’Association des gynécologues-obstétriciens en formation, selon laquelle seuls 30 % des internes envisageaient de poursuivre l’obstétrique en raison des conditions de travail offertes en France, et aucun n’envisageait de travailler dans une maternité de type 1 ou avec moins de 1 000 naissances par an.
Travailler dans de bonnes conditions
« Les jeunes médecins ont conscience du problème des déserts médicaux. Beaucoup sont d’accord pour assurer des consultations avancées, mais ils veulent travailler dans de bonnes conditions pour ce qui relève d’un plateau technique (accouchements et urgences chirurgicales), dans de grosses maternités leur assurant une qualité de travail, le maintien des compétences et le respect des repos de sécurité », souligne le Pr Morel. Le taux de burn-out est supérieur à 30 % chez les obstétriciens qui travaillent encore, en lien notamment avec le rythme des gardes et les difficultés d’organisation entre vie professionnelle et vie personnelle. En Lorraine, cela fait plus de vingt ans qu’aucun GO formé en France ne s’est installé dans une maternité réalisant moins de 1 000 accouchements. Ces établissements tournent aujourd’hui, de fait, grâce aux médecins à diplôme étranger, dont la formation initiale et la mise à niveau à leur arrivée en France sont inégales et dont les conditions de travail les exposent à un exercice en insécurité.
Les intérêts des élus et des professionnels de santé divergent
« Il y a donc actuellement une inadéquation totale entre les souhaits, légitimes, des professionnels de santé, qui veulent bénéficier du soutien technique et de la sécurité des grandes structures, avec un respect des temps de repos, et ceux des élus qui veulent conserver leur maternité de proximité par peur de l’impact électoral d’un regroupement sur un plus grand plateau technique, résume le Pr Morel. Maintenir quoi qu’il en coûte les petites maternités en grande difficulté a des conséquences majeures : les soins y sont assurés par des équipes instables, en surcharge de travail, avec une activité ne permettant pas le maintien correct des compétences. Les équipes sont trop restreintes pour offrir la possibilité d’un recours à un collègue pour un avis ou une entraide en cas de difficulté. Une part importante des femmes en ont conscience, avec des « taux de fuite » (il s’agit du terme administratif consacré) vers de plus grandes maternités souvent supérieurs à 50 %. Sous prétexte de maintenir de la proximité, on expose les soignants à des conditions de travail inadaptées, ce qui ne peut pas concourir à améliorer la qualité des soins. »
Pourtant, pour réduire la morbimortalité périnatale, et comme le préconise le rapport du Sénat de septembre 2024, il est urgent de réorganiser l’offre de soins, en assurant une sécurisation accrue des accouchements tout en renforçant, parallèlement, le suivi de proximité durant la grossesse et après la naissance. L’offre de soins doit être replanifiée, et l’attractivité des métiers repensée (conditions de travail, rythme des gardes).
Parallèlement, le morcellement des données disponibles en matière de périnatalité impose la mise en place d’un registre national des naissances et de la mortalité néonatale.
« Il est plus que temps d’agir, en s’inspirant par exemple des pays les plus performants en santé périnatale, tels que les pays scandinaves (en adaptant les modèles à nos spécificités nationales). Leur expérience montre bien que le principal facteur de risque de complications n’est pas la distance de la maternité mais la fragilité sociale. Elle montre également qu’on peut concentrer les plateaux techniques tout en ayant finalement moins d’accouchements extrahospitaliers qu’en France », conclut le Pr Morel.
Entretien avec le Pr Olivier Morel, CHRU Nancy
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