En 2021, la loi de bioéthique a autorisé l’autoconservation ovocytaire sans raison médicale et décidé qu’elle serait prise en charge à 100 % par l’Assurance-maladie (hormis le renouvellement annuel de la conservation, de l’ordre de 40 euros), faisant de la France une exception en la matière, mais tout en posant des limites qui rendent sa réalisation complexe pour les femmes : nous sommes le seul pays avec des limites d’âge étroites (à partir de 29 ans et avant le 37e anniversaire) et une restriction à certains centres d’assistance médicale à la procréation (AMP) publics.
Si le président de la République a annoncé, au printemps 2024 dans la presse féminine, vouloir lever ces restrictions, les centres privés ne sont toujours pas autorisés ! De fait, faute d’obtenir un rendez-vous dans les centres d’AMP, nombre de candidates continuent à devoir aller à l’étranger.
Des délais qui s’allongent
Lors du dernier comité ministériel de suivi de l’application de la loi, en 2024, le chiffre de 15 550 demandes de rendez-vous a été annoncé : une information approximative car il est impossible de savoir combien de femmes ont tenté de joindre les secrétariats ou Doctolib ! Donnée plus fiable : le nombre de premières consultations serait de 6 510, et seules 5 127 femmes ont fait une ponction. Le délai moyen entre la prise de rendez-vous et la tentative, de 10 mois en 2023, est passé à 13 mois en 2024. Et 54 % des demandes enregistrées viennent d’Île-de-France.
Concrètement, 41 centres ont été autorisés en 2021. Malgré trois autorisations supplémentaires, données par l’ARS d’Île-de-France en 2023 pour faire face à l’afflux de demandes, seuls 42 centres ont été actifs en 2024.
Une demande qui augmente
Pourquoi tant de femmes sont-elles candidates à l’autoconservation ovocytaire ? Initialement, les études montraient que 80 % y étaient poussées par l’absence de conjoint. Désormais, on voit de plus en plus de femmes en couple mais qui souhaitent reporter l’âge de devenir parent, pour de multiples raisons : la crise économique, la peur de perdre leur emploi, l’accès difficile au logement, le manque de places en crèche… ou à cause du climat.
L’âge du désir d’enfant ne cesse de reculer : selon l’Institut national d'études démographiques, l’âge moyen à l’accouchement est passé à 31,1 ans en 2024, alors qu’il était de 28,8 ans en 1994 (1). Ce recul est aussi une des conséquences inattendues de l’allongement de la durée de la vie, qui a entraîné un redéploiement du calendrier biographique des individus. La période 20-30 ans, où jadis les femmes et les hommes s’engageaient tant dans la vie privée que professionnelle, s’est ainsi reportée sur la période 30-40 ans.
S’ajoutent à cela les femmes qui affirment ne pas vouloir d’enfant mais qui veulent ne pas regretter si elles changeaient d’avis !
Naissances en berne
Les naissances ne cessent de diminuer en France. En cinquante ans, nous sommes passés de 888 000 naissances pour 1973 à 663 000 pour 2024 (1).
Les conséquences immédiates de la chute de la natalité commencent à se faire sentir : fermeture de classes, réaménagement des maternités (lire p. XX), suppressions d’emploi. À plus long terme, les économistes redoutent les problèmes socio-économiques que posera une population vieillissante : moins de travailleurs en activité, baisse des recettes fiscales, diminution de la consommation, augmentation des dépenses publiques, etc.
Il est trop tôt pour affirmer que l’autoconservation compensera à l’avenir le report de l’âge de procréation
Le fonds des Nations unies pour les activités en matière de population soulignait en 2019 que l’accessibilité de l’AMP pourrait n’avoir qu’un petit effet correcteur sur les taux de fécondité… tout en ajoutant que son importance pourrait augmenter à l’avenir pour compenser le report de l’âge de procréation, grâce à l’autoconservation ovocytaire (2). L’autoconservation est peut-être une des solutions à la chute des naissances, si elle permet des grossesses plus tardives, mais il est trop tôt pour l’affirmer.
Combien de femmes reviendront chercher leurs ovocytes ? Nous avons peu de données pour répondre : pour des raisons évidentes, celles sur la préservation pour raison carcinologique ne sont pas utilisables, et on manque de recul pour la conservation sans indication médicale. Les premières études faisaient état d’un taux d’utilisation de 5 à 6 % de ses ovocytes par la femme. Les études plus récentes, avec un recul de dix ans, avancent des chiffres bien supérieurs : 44 % dans une étude belge présentée au congrès 2023 de l’European Society of Human Reproduction (42 % de celles-ci ayant obtenu une naissance) ; elles étaient 38 % dans une étude américaine de 2021 (3).
(1) Thelot H. Bilan démographique 2024. Insee Première. 2025(2033);14:1-4
(2) Sobotka T et al. Policy responses to low fertility: How effective are they? Working Paper No. 1. United Nations Population Fund. 2019; 98 p.
(3) Blakemore JK et al. Fertil Steril 2021;115:1511-20
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