Noël polonais

Publié le 21/12/2012
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Interne de garde dans un SMUR breton le 24 décembre 1981, j’avais opté pour les transferts secondaires : il s’agit d’une astreinte à domicile avec des missions prenant au maximum 2 heures, vers le CHU voisin. Savant calcul me permettant d’envisager de passer le réveillon de Noël avec mes tous jeunes enfants (3 et 1 ans) ; vu l’âge de l’aînée, son premier vrai Noël qui allait la marquer… et moi aussi.
Ce qui n’arrive « jamais », c’est ce matin du 24, un appel pour un transfert à Paris, 500 km en raison de l’indisponibilité partout ailleurs d’un laser pour un traitement endo-bronchique urgent. En ces temps préhistoriques, il s’agissait de transporter une jeune fille de 16 ans menacée par une insuffisance respiratoire aiguë pour laquelle l’intubation était impossible et la trachéotomie inopérante : mon accompagnement médical était donc plus d’ordre réglementaire car en cas de décompensation j’étais totalement démuni.
Dans ce contexte le prescripteur souhaitait un transport par route en l’absence d’hélicoptère disponible car l’avion était jugé à risque du fait des problèmes de pressurisation. Sapin de Noël familial à l’eau ! Nous avons pris la route dont les 2/3 du parcours sont sans segment autoroutier, avec à chaque bosse du revêtement une reprise inspiratoire sifflante de ma « protégée ». Après les bouchons du périph qui existaient déjà à l’époque nous avons réussi à passer le relais à l’équipe destinataire qui nous attendait pour ce traitement urgent (réalisé avec succès) avant d’aller réveillonner.
L’ambulancier me demande si je veux reprendre la route d’emblé ; un rapide calcul : tout le monde sera endormi quand j’arriverai à la maison. Je pense qu’il souhaite se reposer un peu avant de reprendre le volant, mais il me propose de passer dire bonjour à sa belle-famille. Nous voilà dans une tour au sein d’une barre d’immeubles de banlieue, dans une ambiance de fête ternie par l’actualité : pour cette famille polonaise, ce Noël 1981 coïncidait avec l’état d’urgence instauré en Pologne 15 jours auparavant par le général Jaruzelski.
On n’allait pas pour autant renoncer aux agapes ; « tiens toi le Breton, tu sais ouvrir les huîtres » ; je me suis payé la bourriche. Après, j’ai eu le droit à la remise des cadeaux aux enfants autour du sapin, cruel supplice, j’en aurais détesté ces gamins innocents ! Puis le repas dont je garde peu de souvenirs si ce n’est que tout le monde était triste (ou était-ce mon état d’âme ?), j’avais un voisin de table nain bossu et sympathique rajoutant à l'ambiance surréaliste.
Au bout du compte je suis certain d’un accueil chaleureux mais dans ce contexte particulier j’étais comme un chien dans un jeu de quilles. Après le repas et un dernier café nous avons repris la route. L’ambulancier, fatigué m’a proposé le volant et je me suis retrouvé à rouler à tombeau ouvert au volant d’un puissant fourgon Mercedes, tandis que mon compagnon de route roupillait comme un bienheureux sur le brancard ! Au bout de 300 km, je l’ai réveillé car je ne sentais pas bien la route qui était une véritable patinoire ; je lui ai laissé le volant craignant de casser sur le verglas son outil de travail que je n’étais sans doute en rien habilité à piloter…
Au petit matin je me suis retrouvé à l’internat dans une salle de garde désertée avec quelques cotillons sur les tables, un ragoût de chevreuil en train de se figer dans sa sauce froide et des restes de pâtisseries. Joyeux Noël !
Depuis, je savoure chaque fois où je passe une soirée dite de Noël (parfois à contre-temps du calendrier) en famille, entouré des enfants. Petit repas festif mais simple que j’apprécie au plus haut point, avec toujours un pincement au cœur en souvenir de mon Noël « polonais ». 

Médecin vasculaire.


Source : lequotidiendumedecin.fr