De plus en plus d’études expérimentales et épidémiologiques suggèrent avec force le rôle délétère des polluants organiques dans l’apparition de certains diabètes. En attendant confirmation, le Congrès de la Société francophone du diabète (Nice, 20-23 mars) a été l’occasion pour les experts de tirer la sonnette d’alarme. Un écho au récent rapport accusateur du Réseau Environnement Santé.
?Troubles de la reproduction, cancers, et maintenant?maladies métaboliques ! Une nouvelle fois, les polluants organiques sont montrés du doigt. Et sont désormais fortement suspectés de favoriser diabète et obésité. Avec notamment, de plus en plus de données concernant les organostanniques (contenus dans les peintures), le bisphénol A, les pesticides (PCB), les substances bromées (phtalates) et le DES (diethylstilbestrol).
Le bisphénol à nouveau incriminé
Pour le bisphénol A, une étude épidémiologique (1) a montré en 2008, « un lien net entre les taux de bisphénol A les plus élevés d’une part et les maladies cardiovasculaires (angor, maladie ischémique, IDM) et le diabète de type 2 (DT2) d’autre part, indique le Pr Luc Van Gaal, du département endocrinologie-diabétologie & métabolisme d’Anvers (Belgique). Dans cette étude, le risque de développer un DT2 s’accroît de 38 % chez les personnes dont les taux de bisphénol A sont les plus élevés ». Chez l’animal, des souris adultes traitées pendant 4 jours au bisphénol A développent une insulinorésistance, un hyperinsulinisme et une intolérance au glucose. Une hyperglycémie est aussi retrouvée chez la progéniture de souris enceintes traitées au bisphénol A. « En outre, le bisphénol A est responsable d’une dyslipidémie, d’une adipogenenèse, d’une prise de poids, d’une réduction des taux d’adiponectine et d’une augmentation de l’adiposité viscérale, explique Luc Van Gaal. En somme, toutes les composantes d’un syndrome métabolique !?»
Des effets obésogènes
Concernant les polluants organiques persistants, une corrélation négative entre PCB (CB 153, chlorobiphényle) et concentration en adipocytokines a été démontrée in vitro. Autre élément, au sein d’une cohorte slovaque constituée de 2047 personnes connues pour être sévèrement contaminées par un cocktail de POP, les chercheurs ont pu démontrer que l’Odd ratio de développer un prédiabète est fortement augmenté du deuxième au cinquième quintile. Ces effets surviennent même à des doses faibles. Par exemple, à petites doses, un organostannique, la tributyltine (TBT), en se liant à des récepteurs nucléaires du préadipocyte (RXR et PPAR gamma) favorise l’adipogenèse. A haute dose, la TBT induit une diminution des taux d’aromatases intracellulaires avec une modification des taux œstrogéniques. « Or le récepteur œstrogénique dans le préadipocyte joue un rôle clé dans la prolifération adipocytaire, fait remarquer Luc Van Gaal. Par ailleurs, l’activité des enzymes 11-bêta HSD 1 et 2, impliquées dans le métabolisme cortisonique intracellulaire s’en trouve diminuée, stimulant le comportement métabolique de l’adipocyte. Chez des rats traités par tributyltine, ce n’est pas tant une augmentation de poids qui est constatée qu’une localisation du tissu adipeux au niveau épidydimal, ce qui pourrait avoir un effet préliminaire et prédisposant sur la répartition graisseuse. »
De plus, les études ont démontré un effet obésogène des pesticides organochlorés et du bisphényl polychloré par un impact sur le métabolisme glucidique mais aussi sur l’indice HOMA d’insulinorésistance (IR), reflétant une répartition des graisses plutôt intra-abdominale que sous-cutanée.
Autres données à charge contre les polluants chimiques?: les taux de métabolites urinaires des phtalates au sein d’une population tout venant d’environ 2?000 personnes ont pu être corrélés avec une augmentation de la circonférence de la taille et de l’indice HOMA-IR mais pas, en revanche, avec le poids ou l’indice HOMA insulino-sécrétoire (2).
Quant à l’influence des dioxines, on dispose de données issues des vétérans de la guerre du Vietnam exposés à l’Agent Orange, dont le sang contenait de fortes teneurs en 2,3,7,8-tetrachlorodibenzo-p-dioxin. Chez eux, la prévalence de diabète est de 20 à 25 % plus élevée comparée à la population générale. Des taux élevés d’une autre dioxine, le TCDD ont pu être inversement corrélés à une sensibilité à l’insuline (3).
Les retardateurs de flamme bromés ne sont pas en reste et leur association avec de plus fortes prévalences de diabète et de pré-diabète dans la population américaine en 2003-2004 est désormais implacable (4).
Responsabilité politique
Il existe donc aujourd’hui des preuves épidémiologiques et expérimentales solides sur le fait que les polluants environnementaux – plastifiants et polluants organiques persistants – peuvent être responsables de pathologies métaboliques.
Mais la preuve définitive demandera une recherche sur des milliers de personnes, suivies pendant des dizaines d’années. « Serons-nous jamais capables de cet effort et faut-il vraiment attendre cette preuve pour prendre des mesures protectrices ? », s’interroge le Pr Van Gaal.
Pour ce chercheur, « il en va de la responsabilité de nos politiciens d’élaborer des lois et des règlements qui imposent une recherche radicale sur ces produits ». Par ailleurs, « les fœtus et les enfants semblant être les plus vulnérables, il est aussi crucial de contrôler les matériaux avec lesquels ils sont en contact au quotidien?». Enfin, « il est important de réaliser que ce ne sont pas uniquement les pays qui produisent et utilisent ces polluants qui sont affectés. Des régions comme le Pôle Nord sont parmi les plus atteintes car les polluants véhiculés par les courants d’eaux et d’air sont extrêmement persistants et difficiles à dégrader. L’effort politique et scientifique doit donc être mondial ».
(1)Lang et al. JAMA 2008.
(2) Environ Health Perspect 2007,
115 : 876-82.
(3) Kern Pa et al. J clin
endocrinol metab 2004.
(4) Lim JS et al. Diabetes Care
2008, 31 : 1802-7.