A l’initiative de l’Urml de Haute-Normandie, le Zénith de Rouen organise aujourd’hui, et jusqu’à demain, le premier congrès européen de médecine environnementale. Quelque six cents professionnels de santé sont attendus. Mais sur le terrain, un peu partout en France, un nombre croissant de médecins, souvent généralistes, ont pris la tête de croisades citoyennes. Au-delà du colloque singulier, ces confrères se mobilisent sur des questions nouvelles qui mêlent santé des populations et environnement. Le Généraliste leur a donné la parole.
Lorsque à la fin du mois de juillet dernier, le Dr Pierre Philippe récupère dans son service des urgences le cavalier d’un cheval décédé sur la plage de Saint-Michel-en-Grève, le médecin a déjà une sérieuse idée du responsable de l’intoxication mortelle de l’animal : les émanations d’hydrogène sulfuré (H2S) s’échappant des algues en décomposition. Ces fameuses algues vertes qui prolifèrent, ces dernières années, sur le littoral breton des Côtes-d’Armor.
« J’ai été confronté à un premier cas en 1989, se souvient le praticien. Il s’agissait d’un joggeur de 26 ans qui courait sur cette même plage. Jeune, a priori en bonne santé, la piste de la toxicité des algues m’apparaissait comme une explication plausible ». Le Dr Philippe demande donc à ce que des analyses soient effectuées et essaye aujourd’hui, de les récupérer. Dix ans plus tard, en 1999, c’est un employé d’une quarantaine d’années, qui s’écroule, victime de mal convulsif. L’homme était au volant de sa chargeuse, en train de nettoyer la plage de ces algues inopportunes. Cette fois-ci toute une batterie de tests, de l’IRM aux analyses sérologiques est déployée. Toutes parviennent à la même conclusion : l’employé ne présentait ni facteurs de risques, ni antécédents qui expliqueraient son malaise.
Le Dr Philippe alerte alors les autorités sanitaires. Mais il faudra attendre l’été 2009, après le décès du cheval, le malaise de son cavalier et, peu de temps après, la mort suspecte d’un salarié qui charriait ces algues vertes, toujours dans les Côtes d’Armor, pour que les autorités nationales se saisissent du dossier.
Les porcheries en accusation
Aujourd’hui, c’est un comité interministériel qui planche sur un plan d’action. Objectif : trouver un moyen pérenne de lutter contre la prolifération de ces algues, une lutte dans laquelle les collectivités locales engloutissent des sommes colossales depuis des années. La date de la remise de copie est, elle, déjà connue : le 8 décembre prochain. Et pourrait entraîner un sérieux branle-bas dans le Landerneau breton et même au-delà. Car de l’avis des écologistes, ce sont les rejets de l’agriculture intensive et des porcheries industrielles qui sont les premiers responsables de la situation.
Le Dr Pierre Philippe ne se prononce pas. Mais relève, sobrement, « qu’heureusement qu’il travaille sur le même secteur depuis vingt ans ». C’est ce qui lui a permis de recouper immédiatement les similitudes entre les différents cas qu’il a observés. « Car les médecins en général ne connaissent pas très bien les pathologies qui pourraient provenir de l’environnement. Moi, pas plus qu’un autre d’ailleurs. Mais en cas de doute, je pense qu’il nous appartient de chercher à savoir ».
A ce titre, l’enfant du pays n’a pas bénéficié de beaucoup de soutien de la part de ses confrères avoisinants. Son hôpital de Lannion, lui a, semble-t-il, clairement fait comprendre qu’il était libre… d’agir en solo. Tandis que côté libéraux, quelques jours après une manifestation de plusieurs milliers de bretons, inquiets des risques que font courir les algues vertes pour leur santé, les généralistes que nous avons contacté ont joué la réserve, nous renvoyant gentiment, pour toute question, sur… le Dr Philippe.
Colloque euuropéen à Rouen
L’Union régionale des médecins libéraux de Haute-Normandie, prend, quant à elle, très à coeur ces questions liant l’environnement et la santé. A tel point qu’elle organise, ce vendredi et ce samedi, un colloque européen sur les pathologies environnementales. Et le thème fait recette, puisque le Zénith de Rouen attend quelque six cents congressistes. « Les médecins ont, en la matière, un véritable rôle de sentinelles à jouer. Il s’agit en l’occurrence, autant de prévention que de santé publique », explique ainsi le président de l’Urml, le Dr Jean-Luc Martinez. Est-ce par ce que sa région présenterait des taux de pathologies cancéreuses supérieures à la moyenne nationale ? « Nous avons certes le triste privilège d’avoir le record de sites Seveso sur l’estuaire de la Seine, mais statistiquement, il est difficile d’établir des corrélations, nous avons cependant constaté, avec les services de médecine de la MSA, et d’autres organismes avec lesquels nous avons échangé que nous avions, en matière de cancer de la vessie par exemple, des chiffres et des fréquences un peu plus élevés, en rapport avec des industries particulières », répond le généraliste.
« Génotoxicité, cancérotoxicité… notre travail de médecin est de poser de vraies questions de santé publique avant que ne soient lancés des produits de consommation courante composés d’additifs dont on ne connaît pas l’impact sur la santé », résume pour sa part le Dr Pierre Souvet, fondateur de l’association Santé environnement France, l’un des participants au colloque de Rouen (voir article en page XXX).
Pour autant où s’arrête cette fonction ? Est-ce véritablement le rôle du médecin que de se transformer en croisé écologique ? « Il ne s’agit pas de cela. En organisant ce congrès, nous ne voulons pas nous faire taxer d’écologisme mais entamer une réflexion sur les relations entre la santé et l’environnement. Mais j’observe que c’est une réflexion qui prend de l’ampleur Il existe une chaire de santé-environnement à Strasbourg
et des commissions de santé-environnement sont en train de naître ou sont déjà nées dans la plupart des Urml », insiste le Dr Martinez.
Généralistes sur le qui-vive
Cette réflexion médicale, bien souvent, trouve son origine dans l’expérience personnelle des praticiens. Comme en Corse du Sud, où c’est son inquiétude initiale, transformée après étude des dangers potentiels en opposition frontale, qui a conduit le Dr Sauveur Merlenghi à mener un combat pour que la centrale qui jouxte son cabinet de médecine générale soit équipée de filtres à particules (voir article en page XXX).
En Auvergne, c’est le projet de construction d’un incinérateur dans l’agglomération clermontoise qui a mobilisé, il y a deux ans, plus de cinq cents médecins emmenés par un généraliste, le Dr Jean-Michel Calut. Ces derniers ont forcé les autorités publiques à renoncer au projet (voir article en page XXX). Ce qui n’empêche pas le généraliste de rester sur le qui-vive. « Nous avions demandé au préfet, à l’époque, que soit créé un registre des cancers ». Afin de mesurer, sur de solides données scientifiques, l’existence ou non, d’un sur-risque pour les personnes vivant à proximité de l’un des 130 incinérateurs déjà en fonctionnement en France. La préfecture n’a pas donné suite, mais qu’importe.
L’expérience acquise a permis au Dr Calut et à ses confrères d’indiquer la meilleure marche à suivre aux médecins qui seraient confrontés à la même situation. Ou, le cas échéant de passer le relais. Comme en matière de téléphonie mobile et d’ondes électro-magnétique où, dans le Rhône, l’expert qui suit ce dossier, le Dr Alex Rafalovitch, est généraliste. Et l’association France santé environnement du Dr Souvet qui s’est entre autres illustré par des analyses de qualité de l’air dans des crèches lyonnaises, revendique déjà 2 500 professionnels de santé adhérents.
« Nous avons tous constaté dans notre pratique quotidienne une augmentation des cancers, des troubles de la fécondité, et des pathologies respiratoires et allergiques sur les 20 dernières années. Les médecins doivent maintenant faire le lien entre ces pathologies et l’environnement », conclut pour sa part le Dr Joël Spiroux, médecin généraliste expert en santé environnementale, auprès de l’Urml de Haute-Normandie. A l’évidence, un solide premier bataillon s’y emploie déjà. Des précurseurs ?