Vous avez été plus de 600 à répondre à notre enquête. Entre vous et vos correspondants, l’ambiance est plutôt à la détente. Incontestablement, le dispositif du médecin traitant a recentré les rôles des uns et des autres. Pour le meilleur. Et parfois pour le pire… Analyse de vos réponses et extraits de vos courriers.
Le couple généralistes-spécialistes a-t-il évolué ces dernières années ? A l’évidence oui, et notre grande enquête 2009 confirme qu’entre les deux acteurs du tandem les polarités ont incontestablement bougé. Les quelque 631 questionnaires qui nous été retournés, ainsi que la centaine de courriers qui les accompagnait (voir notre Blog sur www.legeneraliste.fr) donnent l’image de relations globalement apaisées, même si, évidemment, nombre de généralistes déplorent une inégalité persistante entre deux catégories de praticiens.
Trois ans après l’entrée en vigueur effective du parcours de soins, et alors même que l’accès direct est devenu un vrai luxe depuis le 1er février, notre coup de sonde permet aussi de conclure que le système du médecin traitant reste plutôt apprécié par la profession, puisque entre cinq et six praticiens sur dix s’en dit satisfait. Par rapport à notre enquête 2006, la proportion n’a pour ainsi dire pas changé : il faut croire que, pour les généralistes, la première impression fût donc la bonne. Pour autant, ce n’est pas un soutien massif, sans doute, parce que le poids croissant de la paperasse pollue un peu le dispositif. Un coup d’œil sur les commentaires que nous avons reçus montre que cet aspect « bureaucratie » est encore très mal vécu. « Avec ce concept de "médecin traitant", beaucoup trop de patients nous considèrent comme des secrétaires, juste formés pour faire le courrier pour le spécialiste ! », juge le Dr Hugues Moreau, qui exerce dans le département du Nord, alors que sa consoeur, Isabelle Thomas-Suty décrit en Meurthe-et-Moselle « un cricuit horripilant ».
Un coup de fil plutôt qu’un courriel
Le parcours est entré dans les mœurs, mais il n’aurait pas changé grand chose aux relations des généralistes avec les spécialistes, si l’on en croit d’ailleurs une immense majorité des répondants. On pourrait faire le même constat, s’agissant de la révolution informatique : à peine 15% de nos lecteurs considèrent qu’elle a facilité « beaucoup » ou « énormément » les échanges avec leurs confrères. Comme quoi, le téléphone ou le bon vieux courrier restent les vecteurs de communication préférés entre médecins. Enfin, on relèvera que la participation à un réseau de soins associant les uns et les autres n’est pas majoritaire : un généraliste sur quatre s’y investit.
En apparence, la façon de travailler des uns et des autres n’a donc pas tant que ça évolué. Et pourtant, quand on creuse un peu le sujet, on s’aperçoit que les généralistes ont quelque part intériorisé la philosophie du parcours de soins. Reprenant les définitions de la médecine générale par la Wonca, on leur a ainsi demandé de définir ce qui la caractérisait le plus au regard des autres disciplines. Pour une majorité relative de la profession (42%), c’est clairement « le suivi du patient au long cours » qui arrive en tête, devant « la coordination des soins » ou « le premier contact du patient avec le système de soins », qui l’un comme l’autre ne recueille que 23% des suffrages. De manière symétrique, pour 80% des répondants, le rôle du spécialiste est d’être un recours pour « certains cas complexes ». En creux, se dessine donc un médecin traitant chargé du long terme, avec un spécialiste cantonné à un rôle de consultant. Dans les courriers que nous avons reçu, cette façon de voir son correspondant revient souvent. « Le role des spécialistes est de nous aider lors de questionnements, de prendre rapidement un patient qui devient problématique. Surement pas d'assurer le suivi de pathologies minimes, » explique par exemple le Dr Nicolas Meyer, de Grenoble.
On ne demande pas la même chose au cardio et au rhumato
En réalité, les généralistes définissent leurs besoins de façon sensiblement différente selon les disciplines concernées. D’abord, on retiendra qu’en tête des disciplines dont ils ont le plus besoin figure de très loin le cardiologue, suivi du gastroentérologue et du rhumatologue. C’est un des enseignements majeurs de notre enquête, qui s’explique sans doute à la fois par la fréquence des pathologies dans les spécialités concernées et par la technicité croissante des prises en charge. Ensuite, on se rend compte que les attentes varient de façon significative suivant les pathologies ou les symptômes (voir en pages médicales). Ainsi, on demandera surtout un bilan initial au pédiatre (pour une douleur osseuse chez l’enfant), au cardiologue (dans l’HTA), au gastroentérologue (dans le RGO), à l’ORL (en cas de vertige), à l’ophtalmologiste (dans la DMLA) ou au gynécologue (dans les méno-métroragies). Mais c’est plutôt en cas d’aggravation que l’on passera la main à l’endocrinologue (dans le diabète de type 2), au psychiatre (dans la dépression), à l’urologue (pour l’hypertrophie bénigne de la prostate) ou au dermatologue (dans le psoriasis). Enfin, c’est la complexité du traitement dans la polyarthrite rhumatoïde, qui justifie que, dans ce cas précis, on attende d’abord du rhumatologue qu’il « initie le traitement ».
Faut-il voir dans cette clarification des rôles de chacun, la clé de la bonne entente entre les uns et les autres ? Peut-être. A moins qu’il ne faille en chercher les causes dans le relâchement de la pression démographique. Quoiqu’il en soit, la perception des seconds par les premiers apparaît globalement positive. A quelques exceptions près, cette impression favorable est sensible dans les courriers reçus. « Globalement, les spécialistes répondent facilement à mes questions, » souligne le Dr Nadia Lécluse, installée dans le Val-de-Marne. « Cela fait 10 ans que je suis installé. Je n’ai jamais eu de problèmes relationnels avec les médecins spécialistes, sauf bien sûr avec quelques rares mauvais coucheurs », abonde Béatrice Duperou depuis les Pyrénées-Atlantiques. « Ils sont en général toujours attentifs à mes préoccupations », confirme Jean-François Hittos, qui exerce en milieu rural, à Saint-Sever, dans les Landes. Quantitativement, cette embellie est sensible aussi dans les réponses reçues. Quand ils orientent un patient, 63% des généralistes lui donnent le choix entre plusieurs confrères. Et ces derniers jouent plutôt bien le jeu, puisque respectivement 38% et 51% des généralistes estiment avoir « toujours » ou « souvent » un retour d’informations de leurs correspondants. D’ailleurs, en dépit de la réforme Douste-Blazy qui recentre le protocole de soins des ALD sur le généraliste, un petit tiers de la profession avoue que, « parfois », le spécialiste les aide quand même à remplir ce document. Inversement, vous êtes 76% à déclarer corriger «un peu» les prescriptions de vos confrères. Mais seule une minorité (7%) regrette de devoir le faire «souvent».
Quelques points noirs dans l’accès aux soins
On tempèrera bien sûr, cette impression d’harmonie, en ajoutant que certains courriers de lecteurs se plaignent du partenariat avec telle ou telle discipline et notamment avec le psychiatre. Nombre de commentaires montrent aussi du doigt les spécialistes hospitaliers. A l’évidence, quand on est médecin traitant, on se sent plus proche d’un spécialiste libéral que d’un PH… Pourtant, même en ville, le début de pénurie dans certaines disciplines commence à compliquer l’accès aux soins des patients. C’est confirmé par notre enquête, notamment dans les réponses concernant l’accès des patients aux consultations des ophtalmologistes, psychiatres et gynécologues. « On parle toujours de la PDS des généralistes, mais il est presque impossible d'avoir en journée un rendez-vous chez un ophtalmo en dehors des urgences hospitalières, par exemple pour une suspicion de décollement de rétine, » relève par exemple, à Bondy en Seine-Saint-Denis, le Dr Yves Chandeson.
A ces quelques exceptions près, ressort pourtant de cette enquête 2009 davantage une impression d’interdépendance que de concurrence entre généralistes et spécialistes. Par rapport à la situation des années 80, c’est la grande nouveauté. La preuve tient aux réactions à la question 15 de notre questionnaire, qui visait à désigner les disciplines dont la disparition en ville paraîtrait la moins gênante. Le pédiatre arrive en tête, ce qui de la part des généralistes n’est guère étonnant. Mais la surprise vient plutôt de la réaction indignée d’une partie de nos lecteurs qui ont jugé carrément incongrue que la rédaction du généraliste leur pose une telle question. Décidemment, les temps ont bien changé…