Poignardé par un schizophrène qui avait entendu des voix lui intimant l’ordre de tuer un médecin, j’ai pris conscience que nul n’était à l’abri d’un déséquilibré. D’autant que cette agression s’est déroulée dans un restaurant où je dînais avec des confrères, lors d’un tour de garde. J’ai eu la malchance d’être en bout de table… Mais dans mon malheur, j’ai quand même eu de la chance, puisque j’ai survécu. Au final, cette agression m’a rendu plutôt fataliste.
Et je dois dire que depuis mon installation, en 1981, je n’ai pas l’impression que le nombre d’agressions aient véritablement explosé. Il est clair que les médecins ont perdu de leur aura, mais pas au point de se faire plus souvent agresser. La cause de ces violences est plutôt à rechercher dans l’évolution de notre société. Plus qu’une dégradation des relations entre médecins et malades, il me semble que la perte des repères et la dilution des valeurs conjuguées à l’émergence des phénomènes de bandes chez les jeunes sont à l’origine d’un regain de la violence.
Je ne peux pas dire non plus que mon agression ait fondamentalement bouleversé mon exercice professionnel ; si ce n’est que, depuis, je ne suis plus jamais totalement serein, lorsque j’ai un patient schizophrène face à moi. Je suis peut-être devenu juste plus prudent. Par exemple, je vérifie systématiquement que j’ai bien fermé la porte lorsque j’entre où je sors du cabinet. Mais rien que de très normal au final ! Seul changement notable : l’installation d’un portier avec interphone pour filtrer si besoin.
Hormis une certaine appréhension à demeurer seul, dans ma pratique quotidienne, rien n’a donc véritablement changé. J’avais d’ailleurs déjà opté pour un exercice en cabinet de groupe avant mon agression. Je finis ainsi mes consultations à 20h/20h30 comme auparavant et je continue d’assurer mes gardes. Je reste convaincu que chacun pourra toujours trouver une bonne raison pour ne pas assumer ses obligations. Aussi me semble-t-il nécessaire de poursuivre sa vie comme avant. C’est d’ailleurs ce qui m’a incité à reprendre mon exercice quinze jours après avoir été poignardé. Je dois toutefois admettre que le soutien de mes confrères et de mes patients a été une véritable aide et m’a certainement permis de surmonter plus facilement l’épreuve.
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