Édition du génome : l'OMS propose des outils pour encadrer une révolution scientifique

Par
Publié le 13/07/2021
Article réservé aux abonnés

Crédit photo : Phanie

Comment prévenir des modifications du génome humain non éthiques, sans se priver d'un outil thérapeutique prometteur ? L'Organisation mondiale de la santé (OMS) publie ce 12 juillet des recommandations pour aider les autorités internationales, mais aussi nationales et locales, à poser les cadres juridiques, législatifs et éthiques appropriés.

« C'est une révolution médicale qui est en marche, nous sommes au début d'une vague qui va bouleverser des pratiques de soin : l'on commence déjà à traiter grâce à l'édition du génome des cancers (CAR-T), des maladies graves comme la drépanocytose, la bêtathalassémie, des pathologies rares comme l'amyloïdose à transthyrétine…, commente le Dr Hervé Chneiweiss, neurologue, président du comité d'éthique de l'Inserm et membre du groupe de travail de l'OMS. Mais compte tenu du potentiel de ces techniques, il faut un encadrement efficace, qui puisse en outre permettre au plus grand nombre d'y accéder. La médecine personnalisée ne peut être une médecine de riches. »

Proposer un schéma d'action valable pour tous les pays

L'instance internationale a mis sur pied un groupe de 18 experts en 2018, à la suite de l'annonce de la manipulation du génome de jumelles chinoises via les ciseaux moléculaires Crispr-Cas9, par le généticien He Jiankui.

« Nous venions des quatre coins du monde et avons sollicité des scientifiques et chercheurs, mais aussi des groupes de patients et des représentants religieux et des populations indigènes (le Conseil des Maoris, les San d'Afrique du Sud…) », précise Hervé Chneiweiss.

« L'objectif n'était pas d'être le reflet d'une opinion, mais de proposer un schéma d'action valable pour le plus grand nombre, afin d'élaborer une gouvernance de ces techniques en tenant compte du fait que les Britanniques n'auront pas la même vision que les Thaïlandais, ou que l'Ukraine n'a pas la même capacité d'encadrement que la France », poursuit-il. 

Est d'abord rappelé le principe énoncé par le directeur général de l'OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus, dès 2019 : « Il est irresponsable à ce stade de procéder à des applications cliniques de l'édition du génome des cellules germinales humaines, tant que les implications techniques et éthiques n'auront pas été convenablement examinées. »

« Mais il ne suffit pas de dire qu'on ne peut pas faire n'importe quoi, sur les cellules germinales, comme sur les cellules somatiques, d'ailleurs, estime Hervé Chneiweiss, il faut surtout des processus d'autorisations et de suivi des autorisations, de review et d'oversight. » 

Des registres sur les essais mais aussi sur les recherches cliniques 

Concrètement, le groupe d'experts mise sur des registres. Un premier existe déjà, depuis 2019, enregistrant les essais cliniques impliquant des modifications du génome. Les experts demandent à l'OMS de s'assurer que les travaux ont bien été approuvés par des comités d'éthique sérieux avant de les inscrire et de mettre en place un comité d'experts restreints pour préciser les standards internationaux. En parallèle, ils souhaitent aller plus loin en demandant un second registre, dédié aux recherches précliniques. « Le principe du registre a déjà prouvé son efficacité et conduit par exemple le gouvernement russe, mais aussi ukrainien ou turc à interdire des expérimentations hasardeuses », fait valoir Hervé Chneiweiss.

Les experts suggèrent aussi de doter les essais impliquant l'édition du génome humain de mots-clés spécifiques permettant de les repérer plus facilement, et de détecter ceux qui pourraient poser problème. 

En outre, ils appellent l'OMS à développer un mécanisme de signalement confidentiel des activités illégales et non éthiques d'édition du génome. « Après l'annonce de He Jiankui, nous nous sommes rendu compte que beaucoup de monde était au courant, sans avoir osé parler. Il faut encourager les lanceurs d'alertes, prévenir, plutôt que punir », explicite Hervé Chneiweiss. 

En attendant que l'OMS (la division science notamment) définisse un appareil de valeurs et de principes éthiques internationaux, les autres recommandations visent à aider les autorités nationales à construire leur propre gouvernance d'une recherche responsable, transparente et intègre, éthique, et soucieuse de justice sociale. Des scénarios très concrets sont proposés pour illustrer des dérives autres que celles portant sur l'embryon humain, par exemple, dans le sport. Les experts invitent aussi l'OMS à encourager les propriétaires de brevets à assurer un accès équitable aux innovations et à travailler en concertation avec les pays défavorisés. Ils insistent enfin sur l'importance de l'information et de l'éducation sur ces sujets. 

Qu'en est-il de la France ? « L'encadrement est clair, à travers la loi de bioéthique, la convention d'Oviedo dont nous sommes signataires (l'article 13 interdit toute modification du génome humain ayant pour but d'introduire une modification dans le génome de la descendance), ou encore des instances de gouvernance comme l'agence de la biomédecine », considère le Dr Chneiweiss. En mars 2020, le Comité consultatif national d'éthique français (CCNE) avait consacré son avis 133 à l'édition du génome, et appelé, avec ses homologues allemands et anglais, à se concerter sur des règles de portée universelle. 


Source : lequotidiendumedecin.fr