Donne-t-on trop d'antidépresseurs ou de psychostimulants aux enfants français ? La polémique émerge depuis plusieurs semaines, après le rapport très médiatisé du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) publié en mars. Si les psychiatres sont unanimes à constater l'insuffisance dramatique de l'offre de soins, certains redoutent la stigmatisation des traitements efficaces.
« Loin de toute diabolisation de ces médicaments dont l'efficacité est attestée, il est urgent de réfléchir à la place qu'ils prennent parmi l'ensemble des mesures thérapeutiques du champ de la santé mentale et de la psychiatrie des mineurs », écrivent dans un communiqué commun daté du 11 avril sept sociétés savantes et associations professionnelles*, dont la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et disciplines associées (SFPEADA).
La société savante avait déjà réagi après la publication du rapport, avant qu'un reportage au journal de 20 heures de France 2 diffusé le 5 avril ne remette de l'huile sur le feu au sujet du trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et de la prescription de méthylphénidate.
« Il y a une espèce d'emballement autour de "Oh là là, on est en train de droguer nos pauvres gamins !" », regrette auprès de l'AFP le Pr Ludovic Gicquel, pédopsychiatre et membre de la SFPEADA. L'association HyperSupers pour le TDAH déplore dans une lettre ouverte qu'aucun des spécialistes présents lors de leur assemblée générale n'ait été interrogé dans le documentaire télévisé.
Une prescription de psychotropes à la hausse
Certes, le rapport constate « une augmentation considérable de la consommation de médicaments psychotropes chez l'enfant » depuis une dizaine d'années. Dans le détail, la consommation d'antidépresseurs a augmenté de moitié chez les mineurs entre 2014 et 2021 et celle de somnifères a plus que doublé. Quant au méthylphénidate, « pendant très longtemps pour des raisons historiques et peut-être sociologiques, la France ne le prescrivait quasiment pas, indiquait au « Quotidien » le Pr Olivier Bonnot de la SFPEADA et du comité scientifique de l'association HyperSupers. Le pourcentage d'augmentation est donc forcément important lorsque l'on part de zéro ».
Le rapport du HCFEA n'est pas remis en cause sur le constat d'une augmentation des enfants en détresse psychologique. « C'est important de dire qu'il y a une recrudescence du mal-être chez les enfants et les adolescents, une saturation des services et un problème de moyens et d'attractivité en pédopsychiatrie », avait expliqué dans nos pages le Dr Jean Chambry, président de la SFPEADA. D'ailleurs, la crise en pédopsychiatrie a fait l'objet d'un récent rapport de la Cour des comptes, pointant le déséquilibre alarmant entre l'offre et la demande de soins.
Moins de clivages dans la réalité des pratiques
C'est le parti pris contre les médicaments du rapport qui est dénoncé par la profession. « Le rapport est à charge », estime auprès de l'AFP le chercheur en santé publique Mickaël Worms-Ehrminger, spécialiste des questions de santé mentale. Ces débats recouvrent la diversité des courants au sein de la psychiatrie française. De fait, les experts auditionnés par le rapport sont en grande partie des chercheurs sceptiques envers une approche majoritairement biologique des troubles mentaux.
Mais dans la réalité de la pratique médicale, les clivages ne sont pas si marqués. L'essentiel des psychiatres s'accordent quant au fait qu'un psychotrope peut être un outil utile pour traiter un enfant, mais qu'il ne faut pas tout de suite l'envisager. C'est d'ailleurs le message qu'assurent avoir voulu faire passer les auteurs du rapport. Celui-ci « ne remet pas en cause l'utilité des médicaments ni des prescriptions, mais plaide pour un rééquilibrage », a expliqué le HCFEA dans un communiqué début avril.
Une offre de soins à enrichir et à développer
De fait, certains psychiatres ne sont pas tant virulents contre le rapport que contre la reprise faite par les médias, à qui ils reprochent de ne pas chercher à comprendre les causes profondes d'une prescription à la hausse. « L'insuffisance majeure reconnue de moyens de (...) différents niveaux de prévention et de soins contribue sans aucun doute à l'augmentation des prescriptions de psychotropes », expliquent les professionnels dans leur communiqué commun. Le Dr Chambry a rappelé au « Quotidien » combien il est important de s'intéresser à l'environnement d'un enfant pour le comprendre. Mais vers qui adresser les enfants pour psychothérapies, psychomotricité, accueils thérapeutiques ou encore médiations quand l'offre de soins est grippée à tous les niveaux ?
« À un moment donné, quand vous passez en revue toutes les options non médicamenteuses et qu'elles ne sont pas disponibles, vous parez au plus urgent et l'adolescent repart avec une ordonnance de médicaments », développe le Pr Ludovic Gicquel, pour qui ces prescriptions sont parfois le fait de médecins généralistes démunis face à une situation d'urgence. Mais « il ne faudrait surtout pas que les parents aient l'impression que dès qu'un médecin prescrit un psychotrope à leur enfant, ce n'est pas justifié : le risque, c'est l'amalgame », estime-t-il.
Dans leur communiqué, les professionnels pointent également « l'intolérance sociale croissante quant à l'agitation des plus jeunes dans une société elle-même agitée, l'amélioration du repérage et du diagnostic de situations pathologiques qui nécessiteront de toute façon un traitement psychotrope et aussi l'aggravation actuelle pour de nombreuses situations malgré les soins engagés », toutes ces explications venant conforter « l'urgence maintes fois explicitée d'un plan majeur pour la santé psychique des jeunes ».
* Association nationale Maison des adolescents (ANMDA), Association des psychiatres infanto-juvéniles de secteur sanitaire et médico-social (API), École des parents et éducateurs d'Île-de-France (EPE IdF), l'association Fédérer les centres médico-psycho-pédagogiques (FDCMPP), Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et disciplines associées (SFPEADA), Société française pour la santé de l'adolescent (SFSA), Syndicat nationbal des médecins de PMI (SNMPMI)
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