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Dossier

Santé mentale

Pédopsychiatrie en crise : une offre à redessiner, des vocations à ressusciter

Par Coline Garré - Publié le 07/04/2023
Pédopsychiatrie en crise : une offre à redessiner, des vocations à ressusciter


Garo/Phanie

Faute d'une offre de santé suffisante, près d'un million de jeunes souffrant de troubles psychiques seraient livrés à eux-mêmes. La Cour des comptes appelle dans un récent rapport à revoir le parcours de soins et la gouvernance d'une politique de santé mentale spécifiquement dédiée aux enfants et aux adolescents.

Alors que le rapport du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) dévoilé le 13 mars a suscité la polémique en mettant le projecteur sur le doublement de la prescription de psychotropes entre 2010 et 2021, un autre rapport, remis par la Cour des comptes à l'Assemblée nationale une semaine après, semble être resté dans la ouate des grandes institutions.

Pourtant, il documente précisément les raisons de la crise de la pédopsychiatrie, appelant à réformer l'offre de soins et la gouvernance. « Non pas pour faire des économies, mais pour une meilleure utilisation des dépenses publiques », a précisé Pierre Moscovici, Premier président de la rue Cambon. En termes de dépenses publiques, la pédopsychiatrie représente 2,1 milliards d'euros en 2019, dont 1,8 concentré dans les établissements publics - les honoraires des libéraux ne représentant que 23 millions d'euros, et le médicosocial, 1,06 milliard.

La France souffre d'une inadéquation criante entre le besoin de soins psychiques des enfants et adolescents et la réponse apportée. Environ 1,6 million de jeunes souffriraient d'un trouble psychique en France - sans compter les conséquences de la crise du Covid. Or,seulement 750 000 à 850 000 enfants et adolescents seraient suivis en pédopsychiatrie, chaque année, essentiellement en milieu hospitalier. Ils représenteraient 7 % de la patientèle des psychiatres de ville ; et moins d'une centaine de pédopsychiatres recevraient en libéral cette tranche d'âge.

Un parcours de soins grippé

Le parcours de soins est grippé à tous les niveaux, constate la Cour des comptes. La prévention et le repérage, à l'école ou en ville, se heurtent à l'absence de professionnels, ou à la méconnaissance des spécificités psy chez les jeunes.

Les centres médico-psychologiques infanto-juvéniles (CMP-IJ) sont submergés de demandes, notamment pour des troubles légers à modérés, au détriment des plus sévères.

Comme le reste de la psychiatrie, la pédopsychiatrie connaît en outre une crise démographique, marquée par les inégalités territoriales. Le virage ambulatoire s'est traduit par une diminution des lits de 58 % entre 1986 et 2013 (psychiatries adultes et enfants-adolescents confondues) sans que l'offre n'ait été renforcée en face ; et le nombre de pédopsychiatres a diminué de 34 % (de 3 113 à 2 039) entre 2010 et 2022 selon l'Ordre des médecins.

Repenser l'articulation entre CMP et maisons de l'enfance et de l'adolescence

La Cour des comptes suggère de redessiner le parcours de soins en plaçant en première ligne les maisons de l'enfance et de l'adolescence, expérimentées très prochainement dans quatre régions. Comme le préconisait déjà en 2021 la Défenseure des droits, ces structures, en lien avec les actuelles maisons des adolescents, pourraient recueillir les demandes, informer et donner de premiers soins psychiques et somatiques. Les psychologues (en plein essor) et les infirmiers en pratique avancée verraient leur rôle renforcé au sein de ces « guichets uniques ».

Cela permettrait de désengorger les CMP-IJ qui pourraient se concentrer sur le suivi des troubles modérés à sévères, la coordination des parcours et remplir un rôle d'expert, en lien avec des médecins libéraux.

Enfin, des équipes mobiles et des équipes de liaison aux urgences devraient être déployées dans chaque territoire, les premières pour améliorer le suivi au plus près des jeunes, les secondes pour prévenir les hospitalisations en pédiatrie après passage aux urgences (en augmentation de 65 % chez les moins de 18 ans entre 2016 et 2021 !). La Cour des comptes veut aussi être pragmatique et estime justifiée la création de lits de crise « en fonction de l'analyse des besoins », ou même de lits d'hospitalisation pour les adolescents dans les zones en tension, afin qu'ils ne se retrouvent pas hospitalisés dans les services pour adultes. Des décisions qui doivent être à la main des agences régionales de santé (ARS), en fonction des particularités locales.

Doubler le nombre d'étudiants en pédopsychiatrie

Ce nouveau parcours suppose de mieux former les acteurs de premières lignes, généralistes et pédiatres, aux spécificités de la psychiatrie de l'enfant et de l'enfant. Puis de renforcer l'attractivité de la pédopsychiatrie. La Cour affiche l'ambition de doubler le nombre d'étudiants formés à ces surspécialités chaque année (passer de 100 à 200, sur 532 aspirants psychiatres), et pour ce faire, de valoriser les parcours hospitalo-universitaires, d'augmenter les recrutements de MCU-PH et de soutenir la recherche française. Depuis 2010, seulement 35 projets ont été financés dans le cadre des appels de la direction de l'offre de soins.

Enfin, dénonçant un empilement de mesures sans vision cohérente ni constante malgré une impulsion donnée par la feuille de route de 2018, la Cour appelle à une gouvernance plus efficiente, grâce à la définition d'objectifs clairs, d'indicateurs, d'un calendrier et la révision du champ d'action du délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie (DMSMP), aujourd'hui le Pr Frank Bellivier. Sa délégation devrait plus explicitement faire mention de la pédopsychiatrie et s'ouvrir à l'interministériel pour toucher l'Éducation nationale, la justice, la protection de l'enfance.

Si ces deux derniers volants de mesures recueillent la pleine approbation de la Société française de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent et disciplines associées (SFPEADA), celle-ci reste prudente sur le parcours de soins proposé par la Cour : « la mise en place de maisons des enfants et des adolescents ne saurait être une solution sans un véritable pilotage régional multidisciplinaire, qui reste à définir » et pourrait se concrétiser par un plan territorial de santé mentale (PTSM) dédié à la santé mentale de l’enfant et de l’adolescent. La SFPEADA attire aussi l'attention sur l'importance de mieux articuler les secteurs médicosocial et sanitaire, au niveau national et régional, puisque certains troubles, en particulier les troubles du neurodéveloppement (TND), relèvent à la fois de la psychiatrie et du handicap. « Il faut réfléchir à l'organisation territoriale, en sachant que la complexité est d'avoir à la fois des soins de proximité accessibles et des filières spécifiques et pointues », commente le Dr Jean Chambry, président de la SFPEADA.

Le Syndicat national des psychiatres privés (SNPP) déplore de son côté l'absence de mesure destinée à soutenir l'exercice en ville et demande la revalorisation des consultations pédopsy dans le cadre du règlement arbitral en cours d’élaboration après l'échec des négociations entre la Cnam et les libéraux.

Autant de mesures que les professionnels espèrent discuter à l'occasion d'Assises, qui seraient l'acte de refondation de la santé mentale. Et le gage que ce dernier rapport ne reste pas lettre morte.

C. G.