Dans un rapport adopté le 7 mars, le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) dresse un constat alarmant de la pédopsychiatrie en France et alerte sur l'augmentation de la prévalence de la consommation de psychotropes qui a plus que doublé entre 2010 et 2021. Certains aspects, notamment ceux ayant trait à ces psychotropes, ont fait réagir.
Le constat d'un déséquilibre entre la demande et l'offre de soins est en revanche largement partagé. « C'est important de dire qu'il y a une recrudescence du mal-être chez les enfants et les adolescents, une saturation des services et un problème de moyens et d'attractivité en pédopsychiatrie », salue le Dr Jean Chambry, président de la Société française de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent et disciplines associées (SFPEADA).
Le chapitre sur les psychotropes « pose cependant problème, car à même de provoquer une compréhension erronée de la situation, voire de conduire à des ruptures de soins forts regrettables », écrit ainsi la SFPEADA dans un communiqué, estimant que l'augmentation de la consommation des psychotropes est cohérente avec l'augmentation des troubles qui s'est accentuée avec le Covid. « Quand on compare les taux de prescription des psychotropes mentionnés aux prévalences des troubles qu’ils traitent, il n’y a pas de distorsion majeure, à quelques exceptions près comme les prescriptions d’hypnotiques », détaille la société savante.
Elle cite dans son communiqué deux récents travaux parus dans « World Psychiatry » en 2020 et en 2021, qui « permettent de se rendre compte que l’efficacité est bien supérieure aux effets indésirables pour les antipsychotiques dans les troubles schizophréniques et bipolaires, le méthylphénidate dans les troubles de l’attention, les antidépresseurs dans les états dépressifs majeurs et dans les troubles anxieux chroniques ».
Un faible recours au méthylphénidate en France
Le méthylphénidate fait l'objet d'une attention particulière dans le rapport. « Une augmentation continue de la consommation », « des durées de traitement particulièrement longues » et « une prescription qui n’est pas nécessairement corrélée au diagnostic » sont pointées du doigt. Ce focus sur ce psychostimulant bien toléré et qui dispose d'une autorisation de mise sur le marché depuis 1995 dans le trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) dès l'âge de six ans interroge.
En avril 2021, l'agence nationale du médicament (ANSM) estimait que l'utilisation de ce médicament était encore faible en France par rapport à d’autres pays européens. « Pendant très longtemps, pour des raisons historiques et peut-être sociologiques, la France ne le prescrivait quasiment pas. Le pourcentage d'augmentation est donc forcément important lorsque l'on part de zéro », explique le Pr Olivier Bonnot, pédopsychiatre à Nantes, membre de la SFPEADA et du comité scientifique de l'association HyperSupers-TDAH France. Selon lui, le recours au méthylphénidate ne concerne pas plus de 20 % des patients, et il y a « extrêmement peu de prescriptions en dessous de six ans ». La prescription est par ailleurs très encadrée pour réduire le risque de mésusage.
Une majorité de prescriptions faites par des non-psychiatres
Concernant les prescriptions hors autorisation de mise sur le marché (AMM) et hors recommandation que dénonce le HCFEA, le pédopsychiatre nantais rappelle que 65 % des prescriptions de psychotropes sont faites par des non-psychiatres. « Il y a effectivement un problème que nous dénonçons également », précise-t-il. « Nous sommes parfois alarmés par certaines prescriptions faites par des médecins traitants et des pédiatres et qui sont mises en place probablement en raison du manque d'accès à d'autres soins », abonde le Dr Chambry. Les deux pédopsychiatres insistent sur la nécessité d'une évaluation par un psychiatre avant un traitement médicamenteux, sur l'importance du suivi par le prescripteur, ajoutant qu'un certain nombre de psychotropes sont utiles aux patients.
Le Pr Bonnot craint que le rapport de la HCFEA ne stigmatise les patients sous médicament, alors même qu'ils s'en trouvent améliorés. « Diaboliser les médicaments pour des raisons idéologiques me semble toujours dangereux dans la mesure où certains médicaments ont permis des avancées remarquables », avance-t-il.
La Fédération française des Dys (FFDys) estime aussi que « le rapport s’engage délibérément pour une méthode, en vantant les bienfaits de la psychanalyse », approche « qui n’a pourtant pas fait ses preuves ». Un point que partage la présidente de l'association HyperSupers Christine Gétin, qui regrette « le parti pris » de la HCFEA et « une vérité tronquée ».
Le Dr Chambry se veut plus nuancé. « La psychanalyse est très décriée aujourd'hui, mais elle reste un outil intéressant dans certaines situations », estime-t-il, appelant surtout à « une diversité des pratiques et des regards ».
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