Qu’il s’agisse de diabète, d’ostéoporose, d’asthme ou même de pathologies fonctionnelles comme l’incontinence urinaire, l’observance ne va pas de soi pour les patients. Au médecin d’anticiper les écueils et de reprendre la négociation à chaque consultation dans une optique de décision partagée avec le malade. De l’ordonnance à l’observance, il n’y a rarement qu’un pas !
Comment favoriser l’observance thérapeutique dans les maladies chroniques ? Alors que le deuxième observatoire Jalma sur « les enjeux de l’observance en France » suggère que 25% des médicaments prescrits ne seraient jamais consommés, la question se pose avec force. Mais certains préjugés ont la vie dure. La mauvaise observance serait d’abord une affaire de patient, pense-t-on souvent. Or « depuis 20 ans, j’ai acquis la conviction que l’observance est avant tout le problème du médecin », relève le Pr Xavier Girerd, cardiologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris). Car si le médecin n’a pas conscience que son patient, face à lui, est le plus souvent inobservant, il ne fera pas avancer les choses.
C’est là une deuxième idée reçue à revoir : l’idée que l’attitude normale serait d’être observant. En fait, « c’est un processus éminemment normal de ne pas être observant », assure le Pr Rémi Gagnayre, professeur en sciences de l'éducation à l'université Paris XIII. « De façon paradoxale, c’est même parfois un mécanisme protecteur, comme chez ces personnes âgées qui ont arrêté leur diurétique durant la canicule de 2003 ».
Troisième préjugé : « Les médecins ont tendance à surestimer l’observance de leurs patients », souligne le Pr Vincent Renard, président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE). Enfin, « il n’y a pas de "bons" et de "mauvais" observants. Selon les circonstances, un même individu va fluctuer entre différents niveaux d’observance », explique Xavier Girerd. L’observance est donc un phénomène cinétique. « C’est aussi un phénomène mosaïque : un même patient peut être observant sur certains aspects de son traitement, mais pas sur d’autres », relève Rémi Gagnayre.
Deux types d’approches
Améliorer l’observance est donc un des grands défis de la médecine de demain. Plus que tout autre, il illustre les limites et la complexité de l’exercice médical et son incontournable dimension humaine.
Face à cette question complexe, les médecins peuvent s’appuyer sur deux types d’approches. Très concrète, la première met en jeu des interventions ciblées. Il s’agit d’identifier, chez un patient donné, les circonstances susceptibles d’induire la non-observance. Et d’intervenir sur ces « leviers » pour favoriser le suivi des traitements.
La seconde est plus conceptuelle : c’est une démarche globale de la relation médecin-patient. « On sait aujourd’hui que la relation médecin-patient classique, ce n’est plus suffisant », assure Rémi Gagnayre. « Tout l’enjeu réside dans un processus de "décision partagée" entre le médecin et son patient, mais aussi dans l'empathie du praticien », résume Vincent Renard.
La décision partagée : un principe de base...
« Ainsi, dans la formation initiale des généralistes, l’approche centrée sur le patient fait désormais partie des compétences à acquérir. » « Ce partage de décision entre le médecin et son patient, c’est un concept vers lequel on tend », renchérit le Dr Pascal Clerc, médecin généraliste, membre de la Société Française de Médecine Générale (SFMG).
[[asset:image:4351 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":[]}]]C’est le principe du « plan personnalisé de soin » négocié avec le patient. Après un temps d’explication, médecin et patient se mettent d’accord sur des objectifs thérapeutiques à moyen et long terme. Dans cette logique, toute prescription thérapeutique est discutée à l’aune des représentations que le patient a de sa maladie et de ses modes de vie. Celui-ci devient acteur de sa propre santé. Et cette démarche contribue à améliorer l’observance.
L’éducation du patient : un travail d’amont indispensable
« À l’issue d’une consultation avec un généraliste, les patients retiennent très peu de choses sur leur maladie », constate le Pr Tarquinio, professeur de psychologie de la santé à l’université de Lorraine-Metz. « Très souvent, les gens ne comprennent pas pourquoi ils prennent leurs traitements. Et cela, même s’ils ont un niveau socio-culturel élevé », renchérit Pascal Clerc. Mais dans les 12 à 14 minutes que dure en moyenne une consultation, le médecin ne prend pas ce temps éducatif. Rien ne l’empêche pourtant de dédier toute une consultation à cette éducation. « C’est probablement là que nous péchons », admet Pascal Clerc.
« L’éducation thérapeutique convoque une dimension cognitive et émotionnelle là où l’on était dans le registre du médecin qui prescrit, face à un malade censé suivre cette prescription, décrypte le Pr Rémi Gagnayre. Elle ne fait pas nécessairement de l’observance un but. Elle va l’aborder d’une manière réflexive, en évitant un rapport à l’observance trop prescriptif. Il s’agit de discuter avec le patient : qu’a-t-il compris de sa maladie ? De ses traitements ? Comment perçoit-il la gravité de ce qui lui arrive ? Croit-il en l’efficacité de ses soins ? Juge-t-il que les effets indésirables et les contraintes de ses traitements sont plus durs à supporter que les signes de sa maladie ? Quelles ressources est-il capable de mobiliser pour faire face à la maladie et ses traitements... ? »
Tout en sachant qu’« il existe un gradient de postures selon les patients, nuance Pascal Clerc. Certains sont très actifs, à la recherche d’informations. D’autres, plus passifs, continuent de s’inscrire dans une relation médecin/patient paternaliste ». Ces derniers prendront certes leur traitement sous l’effet de l’autorité médicale. Mais ces comportements seront vulnérables à la survenue d’effets indésirables, aux épreuves de la maladie... En revanche, « les patients actifs, qui prennent leur traitement en connaissance de cause, seront bien plus résistants face à ces difficultés », explique Cyril Tarquinio.
Dans tous les cas, l’entrée dans une maladie chronique reste un processus de deuil : le deuil de celui qu’on ne sera plus et de ce qu’on ne pourra plus faire. « À chaque fois que le patient prend une pilule, il entérine ce processus de recomposition identitaire. C’est pourquoi cela lui est si difficile », relève Cyril Tarquinio. Un psychologue peut, si besoin, accompagner le patient dans cette démarche. « Les sciences médicales ont trop tendance à considérer le patient comme un être rationnel », constate Cyril Tarquinio.
Repérer les ressources et les difficultés du patient
S’il est « normal » d’être inobservant, il est logique de soulever le sujet en consultation. C’est même la première question à aborder quand l’objectif thérapeutique n’est pas atteint. Tout en traitant le problème d’une façon positive, sans stigmatiser le patient. On peut, par exemple, demander au patient : « Ce matin, qu’avez-vous fait avec votre traitement : Vous l’avez pris ? Pas pris ? », en mettant ces deux options au même niveau. Il faut surtout éviter la question : « Est-ce que vous avez pris vos médicaments ? » La réponse risque fort d’être oui !
L’importance de l’empathie
Face à un problème d’observance, mieux vaut parfois « prendre des chemins détournés », recommande Rémi Gagnayre. Il s’agit d’identifier ce que réussit le patient dans la gestion de sa maladie, pour revenir ensuite à la situation de non-observance. Et en tirer les fils. « Il faut travailler de façon très concrète avec le patient pour repérer ses difficultés. En lui montrant qu’on est prêt à l’entendre », conseille Pascal Clerc. D’où l’importance de l’empathie. En janvier 2013, une méta-analyse (Derksen F. et al, Br J Gen Pract.) montrait une corrélation entre l’empathie du médecin, une baisse de l’anxiété du patient et de meilleurs résultats cliniques. « La proximité avec le soignant a un impact sur l’observance », confirme Cyril Tarquinio.
Dans ce travail d’accompagnement du patient, le médecin n’est pas seul. Il peut s’aider des compétences d’autres professionnels de santé : infirmières, diététiciens, podologues, psychologues... « Dans notre cabinet de groupe, nous travaillons avec une infirmière dans le cadre du programme Azalée, dédié aux diabétiques. Elle peut repérer leurs difficultés à l’aide d’entretiens approfondis », témoigne Pascal Clerc. Les maisons et pôles de santé pluridisciplinaires jouent là tout leur rôle.
Identifier les périodes à risque
Si l’observance est une négociation de chaque instant, certaines périodes sont plus critiques que d’autres. Dans l’hypertension artérielle, par exemple, « les six premiers mois de traitement constituent une période à très haut risque : un patient sur deux arrête alors son traitement », relève Xavier Girerd. Deuxième circonstance à risque : la fin de la première boîte d’anti-hypertenseurs, au vingt-huitième jour de la mise sous traitement. « Beaucoup de patients considèrent alors que leur traitement est fini. C’est parfois le fait du médecin, qui oublie de préciser "Traitement à renouveler" sur l’ordonnance. » Il y a donc, ici encore, tout un travail éducatif à faire. Après l’instauration d’un traitement anti-hypertenseur, il faut revoir le patient au bout d’environ un mois. « Il est souhaitable de fixer cette nouvelle consultation avant la fin de la première boîte », conseille Xavier Girerd. Car si ce rendez-vous est plus tardif, il expose à un risque élevé de non-renouvellement de ce traitement. D’où l’impossibilité d’évaluer son efficacité.
Si le patient franchi avec succès le cap difficile des six premiers mois, peut alors surgir un nouvel écueil : « À chaque fois qu’il mesure sa tension, il a 11/7. Il se dit qu’il était hypertendu à cause de son stress au travail. Et il parle d’arrêter son traitement », raconte Xavier Girerd. Comment combattre cette tentation ? En lui réexpliquant les causes de sa maladie et les raisons de son traitement au long cours. « S’il persiste à vouloir arrêter son traitement, je lui dis : "allez-y". Mais faites un relevé de votre tension dans 15 jours. Je veux vous revoir dans un mois ». Huit à neuf fois sur dix, la tension sera remontée. Constatant qu’il n’est pas guéri, le patient va faire définitivement le deuil de sa bonne santé. « Notre rôle est de l’aider à admettre ce statut de malade chronique. J’utilise une image : "pour faire avancer votre voiture, vous mettez de l’essence. Vos médicaments, c’est l’essence qui contrôle votre tension" », indique Xavier Girerd.
L’âge des patients est aussi un élément à prendre en compte. « Etre jeune et souffrir d’une maladie chronique, c’est une difficulté considérable. Prescrire un anti-hypertenseur à un patient de 25 ans, c’est être quasi certain qu’il va l’arrêter assez vite », note le Pr Girerd. Il faut consacrer plus de temps à ces patients jeunes, qui n’envisagent pas un « traitement à vie » comme des patients de 70 ans. Par ailleurs,
les femmes passent généralement pour être plus observantes. Mais au vu des études très contradictoires, le sexe n’apparaît pas comme un critère très discriminant.
La survenue d’effets indésirables, un moment critique
Sans surprise, la survenue d’effets indésirables est aussi une grande cause d’arrêt des traitements. Il y a pourtant là un levier d’action sur lequel le médecin doit rester extrêmement vigilant. Quels risques d’effets indésirables annoncer au patient ? « Ma technique personnelle est de dire : "vous allez lire la notice du médicament et voir de nombreux effets indésirables apparaître". » Mais je hiérarchise ces risques, indique Xavier Girerd. Le discours peut être du type : « avec ce médicament, 5 % des patients ont des maux de tête dans les premiers jours du traitement. Ne vous en inquiétez pas. Si cela devenait vraiment intolérable, appelez-moi. » Il s’agit de dédramatiser ces effets et de donner au patient la possibilité de les gérer avec son médecin. Il arrive que certains patients disent : « Je ne veux pas de ce traitement car c’est un poison ». « Je leur explique que le risque zéro n’existe pas en médecine. S’ils persistent dans leur refus, il m’arrive de devoir répondre "je ne peux rien pour vous" », regrette Xavier Girerd.
Tenir compte de l’environnement du patient
Par ailleurs, une prescription décontextualisée ne sert à rien ! Comment un patient pourra-t-il reprendre une activité physique si les rues près de chez lui ne sont pas conçues pour la marche, par exemple ? « Il faut contextualiser l’éducation thérapeutique, c’est-à-dire rentrer dans le quotidien le plus banal des gens », note Rémi Gagnayre. L’environnement social aussi est déterminant : « il faut impliquer la famille et les proches. Si le patient a le sentiment d’être soutenu, cela peut jouer un rôle clé », souligne Cyril Tarquinio.
« Quand on est face à des barrières linguistiques ou culturelles, cela devient très compliqué », atteste Pascal Clerc. La vision de la maladie chronique qu’a un patient d’origine africaine, par exemple, diffère radicalement de la nôtre. Le médecin peut s’aider de la présence d’un membre de la famille ou d’un proche qui parle français, voire d’un traducteur.
Plus prosaïquement, certaines formes galéniques inadaptées au profil du patient peuvent conduire à l’arrêt du traitement. Comment une personne âgée qui tremble peut-elle prendre des collyres ou des gouttes à mettre dans l’eau ? Comment un patient avec un dentier peut-il correctement avaler des granules ? La taille des comprimés aussi peut être un frein. Il faut faire le tour de ces problèmes triviaux, mais cruciaux.
« Si le patient travaille durant la journée et qu’on lui prescrit un médicament le midi, on a la certitude
qu’il ne sera pas pris ! », souligne Xavier Girerd. Les médicaments en une prise par jour sont parfois à privilégier. Tout en conseillant au patient de prendre son médicament le matin : on oublie davantage le médicament du soir. Sauf, bien sûr, pour les patients qui travaillent de nuit. Autre exemple : chez un jeune patient souffrant d’asthme, prendre de la ventoline devant les copains avant de faire du sport, c’est compliqué...
S’appuyer sur des campagnes d’information sanitaire
Enfin, le problème de l’observance revêt aussi une dimension sociétale. « On pourrait imaginer que des campagnes d’information sur le diabète, les affections cardiovasculaires... semblables à la campagne sur les antibiotiques de 2002, incitent les patients à parler avec nous de leur maladie », conclut Pascal Clerc. Mais notre pays, regrette-t-il, n’est pas très bon à cet égard.