Difficile de trouver des économistes ou des chercheurs du secteur qui donnent du crédit au programme santé de la candidate finaliste. À la tête de l'Institut Santé, l'économiste libéral Frédéric Bizard estime qu'elle picore parmi les sujets urgents – désertification, crise à l'hôpital, situation des Ehpad – pour afficher des solutions « sans jamais s'attaquer aux racines des problèmes ». « Il n'y a pas un mot sur la territorialité ni sur le financement, analyse-t-il. Tout cela est jeté en pâture pour répondre aux insatisfactions catégorielles sans aucune structuration ». Accroître les délégations de tâches, doper la téléconsultation ? « Je ne dis pas que cela n'a pas d'intérêt, argumente Frédéric Bizard. Mais elle ne propose rien pour résoudre le problème central, la perte d'attractivité du métier de soignant », dit-il.
La fin de la T2A, idée « démago »
L'expert perçoit des idées « dangereuses » comme la suppression des ARS. « Elle veut mettre les hôpitaux sous la tutelle des préfets qui n'ont pas de compétence sanitaire. Comment vont-ils faire ? » À propos de la suppression de la T2A à l'hôpital – avec retour à la dotation globale – « c'est totalement démagogique car cela encourage les mauvais élèves ». Quant à l'idée d'une gouvernance hospitalière bicéphale (directeur/médecin), elle ne va pas « jusqu'au bout. Comment former les praticiens au management ? » In fine, son programme traduirait une « méconnaissance » du système de santé. « Il n'y a pas eu de travail de fond. En revanche, elle sait ce qui déplaît et propose d'enlever tout ce qui sonne mal aux oreilles des soignants comme les ARS, la T2A ou la bureaucratie ! C'est une approche propre aux partis extrêmes ».
À la tête du cabinet Asterès et soutien d’Emmanuel Macron, Nicolas Bouzou a un avis tranché. C’est sur l’attractivité des industries de santé « que l’impact sera très négatif », au risque de plomber la recherche de nouvelles technologies, dispositifs médicaux ou produits pharmaceutiques. « Il n’y a pas grand-chose dans son programme pour encourager l’innovation, souffle Nicolas Bouzou. On sait qu'il faut des financements européens, un accès plus homogène au marché des 27 pour les dispositifs médicaux par exemple, avec des règles communes », détaille l’économiste. « Tout l’inverse de ce que veut faire Marine Le Pen ! », avance-t-il, alors que la candidate frontiste propose de réduire les budgets européens.
15 milliards sur la fraude ? « Du pipeau »
L'ex-directeur des hôpitaux au ministère de la Santé, Jean de Kervasdoué, juge de son côté que sa promesse de « rendre la liberté de prescription aux médecins » traduit une approche « corporatiste ». « Je suis favorable à cette liberté à condition d'avoir un contrôle a posteriori », précise-t-il. Surtout, l'expert pointe « un problème majeur de son programme à la fois d'ordre éthique et économique : elle prétend faire des économies sur la préférence nationale et récupérer 15 milliards par la lutte contre les fraudes, c'est du pipeau. »
Le sociologue Henri Bergeron (chaire santé de Sciences Po) pointe les carences de sa plateforme. « Il n'y a aucune dimension d'action sur les déterminants de santé, or ce sont des enjeux majeurs, critique-t-il. On sort d'une pandémie et il n'y a rien pour prévenir de futures crises à conséquence sanitaire, c'est hallucinant ». Il constate également l'absence de mesures pour revivifier la démocratie sanitaire, pourtant « malmenée » pendant la crise. Quant aux incitations financières à l'installation, elle ne prendraient pas en compte les motivations des jeunes médecins, tournés vers l'exercice pluripro. « On renvoie à une conception d'antan ou à la poursuite du seul intérêt pécuniaire », persifle le chercheur.
Contre-productif
Pour le sociologue Pierre-André Juven, le programme du RN est « pauvre, creux, sans imagination ». Une grande partie des mesures avancées seraient « passe-partout », « sans explication sur les moyens et les modalités, or, c’est quand on rentre dans les détails que l’on voit le sérieux d'un programme », tacle le chargé de recherche au CNRS. Le sociologue grenoblois dénonce certaines propositions « racistes et contre-productives en termes de santé publique » comme le remplacement de l'AME par une aide d'urgence vitale. « Il n’y a pas un médecin sérieux qui dira que la bonne façon de prendre en charge les gens, c’est d’attendre que le problème se soit aggravé », analyse Pierre-André Juven pour qui le programme du RN est quasiment « anti-sanitaire ».
L’économiste de santé Jean-Paul Domin trouve lui aussi absurde « la suppression à 75 % de l’AME », qui représente à peine 0,4 % des dépenses de santé. Et de rappeler que les 370 000 personnes qui en bénéficiaient en 2020 étaient « en situation d’extrême précarité ». Le professeur à l’université de Reims y voit une absurdité « économique et sanitaire ».
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