L’amblyopie, plus ou moins sévère, concernerait 2 à 5 % de la population, essentiellement les enfants. Un dysfonctionnement de l’expérience visuelle dans l’enfance, liée soit à la mauvaise vision d’un œil, soit à l’altération du lien binoculaire, induit un trouble de la maturation du cortex visuel, irréversible en l’absence de traitement. Il existe une période critique du développement visuel, pendant laquelle le risque d’amblyopie est majeur… mais où la réversibilité est aussi à son maximum. « L’amblyopie nécessite une prise en charge précoce avant l’âge de 6 ans, durant la période de maturation du système visuel. Non prise en charge à temps, elle peut mener à une baisse d’acuité visuelle permanente à l’âge adulte », insiste Françoise Dorey, orthoptiste (Avesnes-les-Aubert). Mais l’amblyopie peut passer inaperçue, un enfant ne se plaignant pas forcément lorsqu’il voit mal d’un seul œil. Ce n’est que lorsque l’atteinte est profonde, que l’enfant ne supporte pas qu’on lui masque le bon œil, et n’attrape pas ce qu’on lui présente.
Un dépistage visuel systématique est donc recommandé à l’âge verbal (3-4 ans), ou plus tôt s’il existe des antécédents familiaux de strabisme ou de fortes corrections, ou en cas de signes de malvoyance.
Jusqu’à 5 %
de la population pourrait être concernée, essentiellement des enfants
Des étiologies souvent fonctionnelles
Les principales étiologies d’amblyopie sont les troubles de la réfraction non corrigés, le strabisme, plus rarement les pathologies organiques. À côté de l’hypermétropie, la myopie, l’astigmatisme, c’est surtout l’anisométropie qui est en cause : du fait de la différence de réfraction entre les deux yeux, le flou de l’image de l’œil le plus amétrope rend impossible la superposition des deux images et entraîne l’amblyopie, le cerveau ayant besoin d’une information visuelle de qualité équivalente dans les deux yeux. En cas de strabisme, l’image de l’œil dévié ne tombe plus sur la fovéa, mais sur une autre partie de la rétine, provoquant une diplopie, et le réflexe inné de lutte contre la diplopie neutralise cette image déviée, aboutissant à l’amblyopie.
Les pathologies organiques avec privation totale de la vision d’un œil sont rares (cataracte, ptosis, ou glaucome congénitaux, paralysie du III, etc.) et responsables d’une amblyopie profonde.
Mesure de l’acuité visuelle
Le diagnostic repose sur la mise en évidence d’une différence d’acuité visuelle (AV) entre les deux yeux d’au moins 2/10. La mesure de l’AV n’est pas toujours évidente à préciser chez des enfants très jeunes, que ce soit à l’âge préverbal ou verbal, mais d’autres tests permettent de le faire et de rechercher une cause. Ainsi, le photodépistage, qui analyse les réflexes pupillaires lors de la fixation visuelle sur une cible visuelle, identifie les facteurs de risque d’amblyopie.
La fixation au fond d’œil (FO) est importante à évaluer, complétée par les tests œil masqué/démasqué, l’étude de la réfraction, l’examen à la lampe à fente, la comparaison des reflets cornéens, l’analyse de l’oculomotricité dans toutes les positions du regard, des tests pour le dépistage rapide d’une anisométropie ou d’un strabisme, les tests de vision stéréoscopique…
La mesure de la réfraction sous cycloplégie est un préalable obligatoire à la prise en charge de l’amblyopie et à l’évaluation de la correction optique.
Focus sur l’œil amblyope
Le but du traitement n’est pas seulement d’améliorer l’AV de l’œil amblyope, mais de restaurer une AV identique dans les deux yeux, en cas d’anomalie de la réfraction, et d’obtenir une bonne alternance, en cas de strabisme. « C’est capital pour l’avenir de l’enfant, car cela conditionne son devenir scolaire et professionnel, sa capacité à obtenir le permis de conduire et surtout, cela permet de prévenir le risque ultérieur de perte de la vision du bon œil », rappelle l’orthoptiste.
La première étape est de corriger le défaut visuel en cause : correction de la réfraction, éventuelle intervention sur une cataracte, etc. En cas de troubles de la réfraction, la correction visuelle par le port de lunettes, ou de lentilles sous surveillance stricte, peut suffire à corriger l’amblyopie.
L’occlusion sur peau, étape incontournable
Le traitement de l’amblyopie elle-même repose sur l’occlusion sur peau ou par lunettes, la pénalisation optique et/ou médicamenteuse, les filtres calibrés (Ryser). Il comprend une phase « d’attaque », en fonction de la gravité de l’amblyopie, une phase d’entretien, et une prévention de la récidive, qui reste possible jusqu’à 12/16 ans.
En cas d’amblyopie profonde, l’occlusion sur peau, grâce à un cache sur l’œil, doit être totale et permanente. Pour les amblyopies moins sévères, sa durée initiale avant le premier bilan est déterminée en fonction de l’âge de l’enfant. En phase d’entretien, l’occlusion sur peau est alternée en cas de strabisme, intermittente en cas d’anisométropie, et sa durée dépend de la récupération de l’AV.
Ses risques : l’apparition ou la décompensation d’une déviation strabique, la décompensation d’une hypermétropie latente, ou encore la survenue d’une amblyopie à bascule (l’œil le plus fort devient amblyope), mais qui est facilement réversible.
Seule exception où l’occlusion n’est pas indiquée : en cas de nystagmus, où elle risquerait de le décompenser. On recourt alors à une pénalisation totale en vision de près par atropine, et en vision de loin, par une sur- ou sous-correction de 3 dioptries.
Occlusion par lunettes en phase d’entretien
Après avoir récupéré une certaine AV, on peut passer à l’occlusion sur lunettes, alternée en cas de strabisme, et intermittente en cas d’orthophorie (équilibre oculomoteur entre les deux yeux parfait).
En présence de strabisme, la pénalisation optique en vision de loin est réalisée par une surcorrection de 3 dioptries en alternance, en utilisant soit deux paires de lunettes, soit l’application d’un Press-on, lentille corrective adhésive placée sur les lunettes.
L’occlusion sur verres par un filtre d’occlusion Ryser apporte une réduction sélective et calibrée de l’AV de l’œil dominant, afin d’obtenir une différence de 1 à 2/10 par rapport à l’œil amblyope. C’est le traitement idéal d’entretien en contexte d’orthophorie, mais pas de strabisme ; si le filtre est important, il équivaut à une occlusion, sinon il est inefficace.
Enfin, pour éviter la rechute, on utilise une pénalisation alternée, de 3 δ face à un strabisme, de 0,5 à 1,5 δ dans l’amblyopie réfractive et ce, jusqu’à 12, voire 16 ans.
La surveillance régulière porte sur l’AV en vision de près et de loin, sur l’alternance en cas de strabisme, la vision binoculaire (stéréoscopie), complétée par une mesure régulière de la réfraction sous cycloplégie.
Il faut savoir stimuler et encourager l’enfant et sa famille
Françoise Dorey
« Le traitement de l’amblyopie est une priorité. Il est simple, et d’autant plus efficace qu’il est débuté précocement, si on applique une méthode rigoureuse, aussi bien dans le traitement d’attaque qu’en entretien, conclut Françoise Dorey. La coopération de l’enfant et des parents est primordiale, aussi l’enjeu, les risques en cas de laxisme mais aussi les inconvénients du traitement doivent être expliqués et compris. La prise en charge est longue, avec parfois des phases de stagnation, durant lesquelles il faut savoir stimuler et encourager l’enfant et sa famille. »
Session AFO : Dépistages et prises en soins orthoptiques de l’enfant
Article suivant
Comment améliorer le dépistage du glaucome ?
Amblyopie : le train de la vision ne repasse pas
Comment améliorer le dépistage du glaucome ?
Accidents oculaires
Risques du padel
Urgences ophtalmo
Sommeil à l’œil
Les SMS du congrès SFO 2025
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024