Pourquoi des recommandations formalisées d’experts (RFE) sur l’intubation hors bloc ou soins critiques (1) ont-elles été émises conjointement par la Société française de médecine d’urgence (SFMU) et la Société française d’anesthésie et de réanimation (Sfar) ? Parce qu’il y a un véritable prix à payer de l’intubation en urgence chez l’adulte dans ce contexte, entraînant environ 30 % de complications (2), dont 15 % sont sévères, avec un risque d’hypoxie et d’hypotension notamment.
Certaines de ces complications sont corrélées à l’expérience de l’opérateur : intubation sélective (bronche souche droite), bris dentaire, intubation œsophagienne non détectée. Il est désormais acté que l’opérateur doit avoir réalisé avec succès, sous laryngoscope classique, au moins 50 intubations (une quinzaine avec un vidéolaryngoscope) chez des patients (hors simulation) pour atteindre un taux de succès de 90 % dès la première ou seconde tentative. Ces seuils étaient jusqu’ici mal définis.
Autre nouveauté, l’abandon de la manœuvre de Sellick, standard en anesthésie d’urgence (pression cricoïdienne, censée prévenir les régurgitations et les pneumopathies d’inhalation). « Des études récentes, dont la française Iris (3), montrent non seulement qu’elle ne réduit pas les régurgitations mais qu’elle rend de plus l’intubation plus difficile : en comprimant la trachée, on gêne la visualisation des cordes vocales », argumente le Dr Éric Cesareo (Hospices civils de Lyon), qui a coordonné ces recommandations pour la SFMU avec son homologue pour la Sfar, le Dr Thomas Clavier (CHU de Rouen).
Par ailleurs, les experts proposent de mandriner la sonde d’intubation, afin de réduire la morbimortalité, et de majorer le succès de l’intubation à la 1re ou 2e laryngoscopie : il est désormais recommandé d’utiliser un mandrin (mandrin long béquillé ou stylet malléable) dans la sonde d’intubation trachéale pour faciliter la procédure (4).
Avantage à la vidéo
Le vidéolaryngoscope est désormais identifié comme supérieur à la laryngoscopie directe, du moins en milieu hospitalier. Le taux de succès à la première tentative est de 85,1 %, contre 71,8 % avec une laryngoscopie classique (5). « Mais, en l’absence de données robustes en contexte préhospitalier, et même si nous sommes convaincus de sa supériorité hors de l’hôpital, signale le Dr Cesareo, les RFE laissent le choix de la technique à l’opérateur. » Un positionnement qui évoluera rapidement avec de nouvelles données.
Pré-oxygénation par VNI
Le bénéfice de la pré-oxygénation systématique est démontré vis-à-vis de la morbimortalité. Lorsque la fraction expirée en oxygène (FeO₂) atteint 90 %, la capacité résiduelle fonctionnelle est pleinement saturée, réduisant le risque d’hypoxémie lors de la gestion des voies aériennes supérieures.
À cette fin, les dernières données confirment que la ventilation non invasive (VNI) est la méthode la plus efficace, notamment en cas de détresse respiratoire d’origine médicale. En revanche, elle reste contre-indiquée en cas de coma profond, traumatisme facial ou pneumothorax et, de manière générale, en traumatologie sévère.
En cas de désaturation persistante après l’induction, une ventilation « manuelle au ballon » avec des petits volumes et des pressions d’insufflation basses doit permettre une réoxygénation sécurisante sans majorer le risque de régurgitation. Faute d’études menées hors soins critiques (6), cette recommandation relève de l’avis d’experts.
Autre problématique : celle de l’induction. Lors de l’intubation en urgence, à l’exception des patients en arrêt cardiaque, il est probablement recommandé d’associer systématiquement un hypnotique suivi de l’injection d’un curare (en privilégiant des agents à délai d’action court et à bonne tolérance hémodynamique). Dans le cadre de l’intubation en séquence rapide, le choix de l’agent d’induction, étomidate ou kétamine, n’influence pas le taux de succès. De même, concernant les curares, aucune différence n’est observée entre le suxaméthonium (ou succinylcholine) et le rocuronium (7).
Contrôle de la position de la sonde
« Intuber dans l’œsophage peut arriver à tout opérateur (8). Mais ne pas le détecter constitue un préjudice majeur pour nos patients », assène le Dr Cesareo. Ainsi, il est recommandé d’utiliser systématiquement la capnographie pour confirmer le bon positionnement de la sonde d’intubation trachéale, du dispositif supraglottique ou de l’abord trachéal direct. L’échographe, dont l’usage reste optionnel, sera de plus en plus utilisé en médecine d’urgence.
On n’intube pas un patient en choc hémorragique isolé
Dr Éric Cesareo
Autre point important, « on n’intube pas un patient en choc hémorragique isolé, en l’absence de détresse respiratoire ou neurologique associée, prévient le Dr Cesareo : toutes les molécules utilisées en induction ou entretien anesthésique sont sympatholytiques. Elles induisent une vasoplégie, réduisent le tonus vasculaire et donc le retour veineux vers le cœur droit. Par ailleurs, la ventilation mécanique modifie le régime de pression intrathoracique, réduisant encore davantage le retour veineux vers le cœur gauche. Résultat : un désamorçage hémodynamique pouvant entraîner un arrêt circulatoire. »
(1) Clavier T et al. Intubation en urgence d’un adulte hors bloc opératoire et hors unité des soins critiques. SFAR et SFMU, avril 2025
(2) Jabre P et al. Resuscitation. 2011;82(5):517-22
(3) Birenbaum A et al . JAMA Surg. 2019;154(1):9-17
(4) Jaber S et al. Intensive Care Med. 2021;47(6):653-64
(5) Prekker ME et al. N Engl J Med. 2023;389(5):418-29
(6) Casey JD et al. N Engl J Med. 2019 Feb 28;380(9):811-21
(7) Guihard B et al. JAMA. 2019;322(23):2303-12
(8) E Girard et al. Journal of visceral surgery. 2019;156(1):10-6
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