LE QUOTIDIEN : Vous ouvrez ce jeudi le congrès du CMGF. Quel est votre message aux généralistes ?
FRÉDÉRIC VALLETOUX : Un message de confiance et de mobilisation ! Mais je veux leur dire aussi que les Français nous regardent collectivement pour répondre à la question essentielle de l’accès aux soins. Les médecins le savent, chacun doit prendre ses responsabilités. Pendant trop longtemps, les généralistes ont été mis de côté. On a un peu sacrifié le rôle et la place du généraliste. Il faut lui redonner ses lettres de noblesse.
Au regard de votre passé à la tête de la Fédération hospitalière de France (FHF) et de vos initiatives musclées – dont votre dernière proposition de loi sur l’accès aux soins – comment jugez-vous votre relation avec les médecins libéraux ?
Aujourd’hui, je suis ministre délégué à la Santé et à la Prévention, je ne suis plus président de la FHF, ni maire de Fontainebleau. Je me place dans une responsabilité où j’ai à cœur que l’ensemble des acteurs du système de santé trouvent un interlocuteur et une écoute. Au-delà, je souhaite travailler avec l’ensemble des professionnels pour faire émerger des solutions pragmatiques qui répondent aux défis qui sont les nôtres. Depuis ma nomination, je reçois
les syndicats médicaux et je serai un ministre ouvert au dialogue. Nous avons des discussions positives. Je ne me suis jamais vécu comme un « anti-libéral », même si c’est une étiquette dont on m’a affublé par caricature.
Nous sommes à un moment crucial : je ne participe pas aux négociations mais je les suis de très près. Je vois des réactions qui, sans être enthousiastes, me semblent positives
Dans le cadre des négociations, la Cnam a présenté une nouvelle copie à la profession le 14 mars. Le choc d’attractivité est-il au rendez-vous ? En quoi cette convention est-elle innovante ?
Tout d’abord, ce n’est pas moi qui ai lancé les négociations et rédigé la feuille de route. Je ne me dédouane pas mais je tiens à rappeler le séquencement des choses. Les propositions mises sur la table par l’Assurance-maladie vont dans la bonne direction. Elles dessinent un lien fort entre les médecins libéraux et le système conventionnel, qui place les uns et les autres en responsabilité. Cette notion d’engagements réciproques incarne une vision intelligente qui mobilise la profession de manière collective, sans dénaturer l’exercice individuel. C’est une évolution positive dans la relation entre la Nation et ses médecins.
Nous sommes à un moment crucial : je ne participe pas aux négociations mais je les suis de très près. Je vois des réactions qui, sans être enthousiastes, me semblent positives. Même si les gens disent que le compte n’y est toujours pas, ils continuent à se parler. Bien sûr, ça ne veut pas dire que tout est résolu pour autant…
En cas de nouvel échec, voyez-vous un risque sérieux de reprise en main des affaires de la médecine libérale par le Parlement ou le gouvernement ?
Effectivement, en cas d’échec des négociations, le Parlement se saisirait du sujet et je ne sais sincèrement pas ce que serait le choix des élus. Je me souviens du vote en juin dernier sur l’amendement Garot concernant la régulation à l’installation. Il n’était pas très loin d’être adopté ! Pour ma part, je préfère des systèmes coconstruits fondés sur l’intelligence collective et la bonne volonté de chacun plutôt que sur la coercition.
Quelle sera l’enveloppe globale allouée à cette convention ?
La discussion n’est pas terminée et les sommes ne sont pas figées. Le directeur général de la Cnam a indiqué que porter le tarif de la consultation de médecine générale à 30 euros représentait, à lui seul, un effort financier de plus de 700 millions d’euros. Le gouvernement est évidemment prêt à investir en faveur de la médecine libérale et à l’accès aux soins mais la discussion continue, ce n’est pas mon rôle de m’y immiscer.
On sait que le paiement à l’acte n’est pas uniquement vertueux. Discuter d’une proportion de capitation me paraît intéressant
Le G à 30 euros est acquis mais son calendrier d’application reste inconnu. Que répondez-vous aux syndicats qui réclament son entrée en vigueur immédiate ? Peut-on supprimer les stabilisateurs automatiques de six mois ?
Il est trop tôt pour répondre. Je n’ai pas de position de principe sur la question et des stabilisateurs sont prévus par la loi.
Pour la première fois, l’Assurance-maladie a proposé une rémunération à la capitation. Est-ce à dire que le système du paiement à l’acte n’est plus adapté ?
On sait que le paiement à l’acte n’est pas uniquement vertueux. Il est discuté par les médecins libéraux eux-mêmes lorsqu’il s’agit de faire de la prévention ou de valoriser telle prise en charge. Discuter d’une proportion de capitation me paraît intéressant, sachant qu’on ne peut pas tout faire passer par la rémunération à l’acte.
En contrepartie des revalorisations, des engagements collectifs ont été demandés aux médecins avec des objectifs chiffrés en matière d’accès aux soins. Que se passe-t-il s’ils ne sont pas atteints dans six mois ou un an ?
L’idée n’est pas de pénaliser ou de sanctionner mais de rester, autant que possible, sur les objectifs collectifs fixés. Si pendant une année, un moindre effort est constaté sur tel ou tel indicateur, alors les partenaires conventionnels devront trouver les moyens pour répondre aux ambitions fixées. L’observatoire conventionnel permettra d’apprécier dans la durée que les objectifs définis sont atteints le mieux possible. C’est un engagement essentiel que nous devons prendre devant les Français.
Je suis également favorable à un débat à l’Assemblée nationale pour démontrer que les engagements des libéraux sont tenus au sens où il y a des progrès réels, mesurables. C’est une façon de répondre à la demande des Français et de renouer avec la représentation nationale.
En matière de permanence des soins, si les territoires n’ont pas réussi à s’organiser, imposerez-vous le retour des gardes obligatoires ?
Mon approche, c’est la confiance accordée aux acteurs de terrain pour trouver des solutions. Selon l’Ordre des médecins, 38 % des généralistes sont volontaires pour la permanence des soins. C’est déjà beaucoup mais pas forcément suffisant partout. Contrairement à ce que j’ai entendu, il ne s’agit pas de demander aux médecins qui travaillent déjà 50 heures de faire 70 heures ou encore d’assurer les gardes en nuit profonde. Cela n’a pas de sens. Il s’agit de trouver des solutions en début de soirée, les week-ends et les jours fériés.
Mais comment y arriver ?
Par la territorialisation. La loi que j’ai portée prévoit que chaque territoire de santé se charge de l’organisation de la PDS-A. J’ai demandé aux ARS de revoir le périmètre de chaque secteur qui est souvent départemental, donc trop vaste et inadapté aux réalités de terrain. On parle plutôt de bassin de vie, à l’échelle d’une intercommunalité, d’une communauté professionnelle (CPTS). Ce travail devrait prendre fin avant le 1er septembre. Il faut que dès l’automne, nous puissions, territoire par territoire, réfléchir aux réponses données. Si aucune solution issue du terrain ne se dessine, ce sera au directeur général de l’ARS de fixer les modes d’organisation avec les moyens légaux. L’idée est toujours la même. C’est de faire confiance au dialogue, au travail collectif.
Il s’agit de valoriser une sobriété médicamenteuse
La Cnam a innové avec un mécanisme d’intéressement aux économies sur les prescriptions. N’y a-t-il pas un risque de conflit d’intérêt entre médecins et patients ?
Il s’agit de valoriser une sobriété médicamenteuse. Je ne pense pas qu’un médecin en viendrait à ne pas prescrire un médicament nécessaire à ses patients pour gagner une prime. La déontologie et l’éthique sont au cœur de l’exercice professionnel des médecins.
L’Assurance-maladie a exclu d’ouvrir de nouveaux espaces de liberté tarifaire, réclamés par les spécialistes. Approuvez-vous ce refus ?
Je ne suis pas non plus favorable à ouvrir de nouveaux espaces de liberté tarifaire. Je voudrais déjà avancer sur cette convention avec des équilibres qui restent à trouver, car il nous faut avoir en tête la situation difficile dans laquelle se trouvent de nombreux Français.
Quel jugement portez-vous sur le mécontentement du terrain qui s’exprime par une désobéissance tarifaire croissante et des lettres d’intention de déconventionnement ?
Je regrette profondément ces mouvements qui restent marginaux. Mais je n’y crois pas beaucoup. Se déconventionner, c’est tourner le dos aux valeurs du système de santé, c’est vouloir détricoter le modèle conventionnel et mettre en avant que, finalement, il n’y a que l’aspect financier qui prime. C’est perdant-perdant : pour les médecins qui verront arriver d’autres règles du jeu, et aussi pour les Français.
Bercy cherche des économies tous azimuts, y compris sur les dépenses maladie. Cela ne risque-t-il pas de compliquer le bouclage final de ces négociations ?
Pour l’instant, on est très en amont des décisions d’économies et il y a différentes solutions évoquées. Un débat est nécessaire sur les ALD, les prises en charge peuvent évoluer tout en garantissant l’accompagnement des patients les plus vulnérables.
Je suis inquiet sur la financiarisation croissante du système de santé
Mais des économies immédiates sont-elles nécessaires ?
La santé doit participer à l’effort national, c’est logique. C’est pourquoi nous travaillons sur des pistes d’économies. Des marges de manœuvre existent en matière de pertinence des actes, sur la radiologie ou la biologie par exemple.
Je suis également inquiet sur la financiarisation croissante du système de santé. Cela veut dire que la rentabilité de certains actes ou secteurs est très élevée, grâce aux modalités de remboursement. Une mission d’information vient d’être lancée par le sénateur Bernard Jomier. Le ministère est prêt à l’accompagner.
Où en est-on de la mise en œuvre pratique de la taxe « lapins » pour pénaliser les patients indélicats ?
J’en discute avec les syndicats, avec le président de l’Ordre ainsi qu’avec les représentants des patients. Je verrai les plateformes bientôt. Il y a des faisceaux de mesures qui pourraient permettre de réduire le nombre de rendez-vous non honorés. Plusieurs propositions de loi ont été déposées. Des mesures seront prochainement mises sur la table.
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