La valse des ministres de la Santé va-t-elle continuer ? Le dépôt de deux motions de censure (l’une à l’initiative du Nouveau Front populaire, l’autre du Rassemblement national), suite à l’usage du 49.3 par Michel Barnier sur le budget de la Sécu, menace immédiatement de faire tomber le gouvernement actuel, ouvrant la voie à un casse-tête politique et juridique.
Après une commission mixte paritaire (CMP) pourtant conclusive, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) en l’état serait aussitôt rejeté. Avec quelles conséquences ?
Des difficultés de paiement ?
Si une motion de censure était adoptée, il n’y aurait pas de « shutdown » comme aux États-Unis. Mais le risque juridique et financier serait toutefois bien présent. Sans budget et avec un gouvernement démissionnaire, le « trésorier » de la Sécu - l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) - ne pourrait en théorie pas emprunter pour financer ses prestations, malgré les lourds déficits actuels. Pour certains parlementaires, il pourrait y avoir des incidents de paiement (retards, report ou impossibilité dans le pire des scénarios) sur les pensions, allocations familiales ou même remboursements de soins (y compris des dysfonctionnements de cartes Vitale). Dominique Libault, président du Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS), ne fait pas mystère des risques financiers. « Juridiquement, il n’y a pas de lien entre l’adoption du PLFSS et les droits qui gouvernent le versement des prestations sociales. Mais le problème, c’est la trésorerie, avec une situation financière très problématique, qui rend les emprunts indispensables ! Sans cela, les prestations ne pourraient plus être assumées assez rapidement, autour de la fin janvier », rapporte-t-il, le ton grave.
Une loi spéciale ?
Pour sortir de l’ornière, il existerait en réalité trois hypothèses dans « cette période inédite », a expliqué ce mardi au Quotidien le rapporteur général du PLFSS à l’Assemblée nationale, le Dr Yannick Neuder (LR). La première : si les députés censurent le gouvernement à la suite du 49.3 utilisé sur le texte du PLFSS issu de la commission mixte paritaire, un nouveau gouvernement constitué rapidement pourrait reprendre le projet de budget initial, avec passage éclair dans les deux chambres. Un scénario que Dominique Libault juge « possible », même si la tripartition de l’Assemblée ne créerait pas de condition plus favorable qu’aujourd’hui quant à son adoption.
Deuxième hypothèse : des mesures sur la santé prises par ordonnance. Troisième piste, la plus probable : une « loi spéciale », permettant notamment d’augmenter le plafond d’emprunt de l’Acoss de 20 milliards, à hauteur de 65 milliards pour 2025, permettant à l’exécutif d’accorder un « sursis » à notre système de protection sociale.
La rapporteure générale du PLFSS au Sénat, Élisabeth Doineau (UDI), confie être très inquiète. « En cas de rejet du PLFSS, rien n’est écrit dans la loi. J’ai l’impression d’un saut à l’élastique dans l’inconnu, où l’on est suspendu, au ralenti, dans la descente… ». Sans oublier que le Conseil constitutionnel pourrait retoquer cette loi spéciale, rendant incertain le retour de trésorerie. Et sur le plan financier, même si ces emprunts sur les marchés étaient rendus possibles, les taux seraient sans doute plus hauts, acroissant les intérêts de la dette…
Saut dans l’inconnu et tarifs hospitaliers reconduits ?
L’absence de loi Sécu supprimerait ensuite toutes les nouvelles mesures de maîtrise du déficit aujourd’hui dans les tuyaux du PLFSS. Exit les économies réclamées sur les médicaments, les programmes de baisses de tarifs dans les secteurs de l’imagerie ou des transports. Aux oubliettes également l’allègement des exonérations de cotisations patronales ou le renforcement de la « taxe soda », permettant de nouvelles recettes. Sans les efforts de ce texte budgétaire, « le déficit des comptes sociaux atteindrait 30 milliards d'euros l'an prochain », avait averti le ministre du Budget Laurent Saint-Martin le 2 novembre.
Se pose également la question sensible de l’Ondam hospitalier (105,8 milliards pour 2025), qui permet au gouvernement de calculer les recettes des hôpitaux et les grilles des tarifs hospitaliers publics et privés. En l’absence de nouvelle enveloppe, l’exécutif devrait sans doute reconduire les tarifs 2024, une très mauvaise nouvelle pour le secteur déjà exsangue. Les établissements de santé estimaient en effet avoir besoin d’une hausse de 6 % de leur enveloppe (quand le PLFSS prévoyait +3,1 %). « En l’état du droit, affirme Dominique Libault, on ne peut pas augmenter les tarifs hospitaliers, qui devront rester ceux de 2024. Et si la pression était trop forte, sortirons-nous de la légalité pour les augmenter ? C’est un no man’s land extrêmement imprévisible ». De son côté, l’ancien responsable santé du PS, le Dr Claude Pigement, fait remarquer ironiquement que, « de manière absurde, l’absence d’Ondam pour la ville comme l’hôpital ferait mécaniquement des économies en 2025, en creux. Preuve qu’on est bien dans l’irrationnel… »
Pas de menace, en revanche, pour l’application de la nouvelle convention médicale, précisent les rapporteurs du PLFSS, les dispositions étant d’ordre réglementaire.
L’accès aux soins perdant
Quid enfin des autres mesures nouvelles censées favoriser l’accès aux soins (soutien au cumul emploi retraite en zones sous-denses, encadrement des centres de soins non programmés, dispositif « Handigynéco »), améliorer la santé publique (campagne de vaccination HPV et méningocoques au collège) ou la santé mentale (accès direct aux psychologues) ? Toutes ces dispositions devraient trouver un autre véhicule législatif.
« Nous sommes dans une très forte impasse, à la fois sur le PLFSS, mais aussi le PLF (projet de loi de finances), avec des déficits extrêmement importants, sans précédent, lâche Dominique Libault. Nous donnons le sentiment d’un pays qui ne pilote plus ses finances publiques, ce qui dégrade notre image. Rendons-nous compte que l’acte démocratique fondamental – le vote du budget – est devenu impossible, preuve d’une impuissance publique. C’est sans précédent : en 35 ans, nous ne sommes jamais tombés aussi bas ». Le rapporteur général du PLFSS, le Dr Yannick Neuder, prévient qu’on ne rasera pas gratis. « Quoi qu’il arrive, ces 30 milliards, il faudra les rembourser ! »
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