PLFSS : vifs débats au Sénat sur les taxes comportementales, les boissons sucrées dans le viseur, l’alcool épargné

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Publié le 22/11/2024
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Dans le cadre de l’examen du budget de la Sécu, les sénateurs ont longuement débattu de la pertinence de nouvelles taxes comportementales, notamment sur le sucre ajouté dans les boissons. L’alcool, qui a fait l’objet d’échanges parfois tendus, a été épargné.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

Comment concilier nouvelles recettes et politique de santé publique ? Pas moins de 51 amendements portant sur des taxes comportementales avaient en tout cas été déposés par les sénateurs, à la faveur de l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2025).

L’article 9 bis, relatif à une révision des taxes sur les boissons sucrées en fonction de leur teneur en sucre, a été l’occasion d’un âpre débat en séance. La commission des affaires sociales du Sénat avait déjà exprimé, par la voix de son président Philippe Mouiller (Les Républicains), qu’elle ne serait favorable qu’à trois taxes comportementales : sur les boissons sucrées, les jeux (en dehors du PMU) et le tabac. Et elle n’a pas menti.

Quoi de meilleur qu’un vrai jus de fruit ?

Élisabeth Doineau, sénatrice (Union centriste)

Plusieurs amendements visant à relever la fiscalité sur les boissons à sucres ajoutés, dite « taxe soda », ont été adoptés, avec le soutien du gouvernement. Sont ciblés : les colas, les boissons aux fruits, à base de cacao, de café, de thé ou de sirop, les limonades, les tonics, mais aussi certaines boissons à base de lait animal ou végétal. Les barèmes de contribution sont ramenés à trois, contre quinze aujourd’hui. Il en coûtera désormais 4 centimes par litre pour les breuvages les moins sucrés, et jusqu'à 35 centimes par litre pour les plus sucrés.

Cette hausse de taxe a été imaginée « pour décourager les fabricants et donner un coup de pied dans l’industrie », a assumé la rapporteure générale du budget de la Sécu, Élisabeth Doineau (Union centriste), évoquant le « désastre » de la santé buccale des enfants. « Quoi de meilleur qu’un vrai jus de fruit, comparé à des boissons qui n’y ressemblent en rien, avec du sucre et des édulcorants ? », a-t-elle interrogé, avant d’expliquer vouloir « alerter » les familles françaises sur leurs habitudes de consommation.

Sus au sucre dans la blanquette de veau

« Nous avons une épidémie de diabète de type 2 et d’obésité inquiétante, avec un coût pour l’Assurance-maladie, mais surtout la société. Il ne faut surtout pas supprimer la “taxe soda” parce que c’est un marqueur ! Les sodas, ce sont des morceaux de sucre dans un grand verre. Nous avons vraiment besoin de réguler cela », a martelé la ministre de la Santé. Et François Bonhomme (LR) d’ajouter qu’il n’y a « aucun apport nutritionnel dans le soda ».

« Est-ce normal qu’il y ait du sucre dans des petits pots salés pour les bébés ou dans la blanquette de veau ? La filière a mis du sucre partout ! », a abondé le généraliste Bernard Jomier (apparenté socialiste). Écartant pour l’instant l’industrie agroalimentaire de cette taxation accrue en argumentant que les taux de sucres n’étaient pas suffisamment définis dans leurs produits, la ministre de la Santé a toutefois évoqué un « travail avec eux, pour se donner des objectifs d’amélioration, comme avec le sel pour les boulangers ». Si ces objectifs n’étaient pas atteints, il faudra sans doute les taxer aussi.

S’est ensuite posée la question d’une taxation accrue des édulcorants de synthèse, que la ministre a rejetée en raison d’une « impossibilité pratique » des contrôles, au motif de la difficulté d’identifier leur quantité – les fabricants n’étant pas tenus de détailler. La sénatrice écologiste Anne Souyris a avancé que les édulcorants sont « cancérigènes et parfois plus graves que le sucre ». L’amendement de la commission a toutefois été adopté, introduisant un nouveau barème progressif à deux seuils : 4,50 euros par hectolitre pour les boissons contenant jusqu’à 120 milligrammes d’édulcorants par litre, et 6 euros par hectolitre au-delà de cette concentration.

L’alcool cristallise les tensions

La pertinence de taxes sur l’alcool a fait l’objet de vives discussions. Un seul amendement a été adopté, in fine, émanant des socialistes, visant à créer une taxation sur les publicités en faveur des boissons alcoolisées à La Réunion. Environ 600 décès sont imputés à l’alcool chaque année dans ce département de 860 000 habitants – soit 68,3 pour 100 000 habitants contre 49,2 en moyenne nationale.

Alors que les écologistes et les socialistes proposaient de taxer les bières sucrées ou édulcorées (voire les deux) ou celles à plus de 8 degrés pour lutter contre l’alcoolisation des jeunes, le gouvernement s’est dit défavorable à toutes ces initiatives. Ce refus a été justifié par la ministre de la Santé par « des problèmes de faisabilité juridique » liés à des directives européennes. « Ce serait censuré par le Conseil constitutionnel », a-t-elle énoncé devant les sénateurs de gauche agacés, évoquant des travaux à mener avec « les collègues députés européens ». La rapporteure générale du texte, Élisabeth Doineau, avait, elle aussi, donné un avis défavorable, suggérant « qu’on embarque tout le monde avec nous ». Car, « aujourd’hui, nous ne sommes pas encore prêts », ainsi « nous devons attendre », a-t-elle enjoint.

C’est le même argument qui a été cité par cette dernière pour refuser l’instauration d’un prix plancher par rapport au volume d’alcool dans une bouteille. Pourtant, avait défendu Anne Souyris, ce système de prix plancher ciblerait « le vin vendu en vrac, bas de gamme, importé ». Dans la même veine, Laurence Rossignol (PS) n’a pas caché son agacement. « Vous voulez que les Français continuent de consommer de l’alcool, parce que les enjeux économiques sont supérieurs aux enjeux sanitaires ». Finalement, la rapporteure générale du texte a indiqué qu’une proposition de loi transpartisane sur l’ensemble des addictions… devrait voir le jour, avec le soutien de la ministre.

Tabac davantage taxé dès 2025

Les sénateurs ont passé outre l'opinion de la ministre de la Santé sur la fiscalité du tabac. Le paquet de cigarettes passera ainsi à 12,70 euros en moyenne l'an prochain, soit 40 centimes de plus que prévu dans le plan national de lutte contre le tabagisme présenté il y a à peine un an. « Si on change sans arrêt de plan, ça me paraît un petit peu compliqué », avait objecté la ministre. La mesure, censée rapporter 200 millions d'euros dès l'an prochain (tout en maintenant la cible d'un paquet à 13 euros en 2027), a été largement validée, avec une abstention de la gauche qui défendait un paquet à 16 euros d'ici à deux ans.

Les sénateurs ont enfin voulu fiscaliser les « pouches », ces sachets de nicotine en gommes ou en billes à placer dans la bouche. Lesquels sont, selon Geneviève Darrieussecq, une « catastrophe », avec des intoxications aigues recensées dans les centres antipoison. Préférant sur ce plan interdire plutôt que taxer, elle a précisé sa stratégie : « Nous interdirons tout, sauf les produits relatifs au sevrage tabagique ». La ministre a confirmé ainsi sa volonté d’agir contre les « puffs », ces cigarettes électroniques jetables, prochainement interdites.


Source : lequotidiendumedecin.fr