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Dossier

Présidentielle 2022

Santé du président : tous transparents, promettent-ils

Publié le 08/04/2022
Santé du président : tous transparents, promettent-ils


SEBASTIEN TOUBON

Quelles leçons tirent-ils des « cas » Pompidou, Mitterrand ou Chirac ? Quels engagements prennent-ils pour informer les Français sur leur santé s’ils tombent malades ? Envisagent-ils de revoir la Constitution au sujet de l’empêchement du chef de l’État ? Comme à chaque présidentielle, « Le Quotidien », seul média à soulever ces questions autour de la présidence quand elle est exposée à la maladie et à la mort, a sollicité les douze candidat(e)s. Et il décerne ses étoiles de la transparence santé), de 0 à 4 suivant les réponses. Car, si à peu près tous se promettent transparents, les écarts sont grands entre les engagements qu’ils prennent – ou non.

Cette fois-ci comme lors des précédentes élections, ils sont presque unanimes à le reconnaître, la transparence sur leur santé sera leur règle : « L’état de santé du président de la République doit être rendu public régulièrement tout au long de son mandat, estime Éric Zemmour. Un président, argumente le candidat d’extrême-droite, représente toutes les Françaises et tous les Français et le pays dans son entier ne peut pâtir d’une faiblesse irréversible de la personne qui est à sa tête. »

« La transparence sur la santé du président représente une grave question démocratique, estime également Fabien Roussel, le candidat du PCF. Je pense qu’elle doit être prise en considération dans le débat public. Un pilote d’avion se doit d’être en bonne santé et de le prouver. Il a la vie de ses passagers entre les mains. Un président de la République, c’est un peu pareil. Le président, eu égard à l’ampleur de ses prérogatives, doit aux Françaises et aux Français une véritable transparence sur sa capacité à exercer ses fonctions. Mais je suis favorable au fait que ce doit être un choix personnel. Je veux ainsi être transparent auprès des Françaises et des Français. »

Palmarès de la transparence

Valérie Pécresse porte la même appréciation : « Au-delà de l’homme ou la femme qui en assume les responsabilités, la présidence de la République est une fonction majeure, clef de voûte de nos institutions, qui ne peut être que permanente. Toute circonstance qui altérerait la capacité du président à accomplir ses missions altérerait en réalité le fonctionnement de la République elle-même. C’est donc un enjeu majeur que de savoir identifier ces circonstances et de les traiter dans le cadre prévu par les textes. »

Elle est rejointe à ce sujet par Marine Le Pen : « Comme j’ai pu avoir l’occasion de le dire dans le passé, il est évident que la santé du président de la République est un élément du débat public dès lors qu’est déclarée une pathologie particulièrement grave, qu’elle soit physique ou psychiatrique, qui pourrait l’empêcher d’exercer son rôle de chef d’État. »

Et Jean Lassalle ne nous dit pas autre chose : « Le président de la République est une personne publique qui doit une transparence complète à ses concitoyens. Dès lors, le sujet de sa santé peut être traité dans le débat public ». De même, Anne Hidalgo juge qu’ « il est normal que le président de la République soit suivi médicalement et que des bilans de santé réguliers soient publiés. » Un avis partagé encore par Jean-Luc Mélenchon*, avec un bémol : « Je considère que la transparence ne doit porter que sur les informations ayant un impact sur l’exercice de la fonction présidentielle. »

Secret médical et mensonges d’État

Les cas de Georges Pompidou, mort en fonction, de François Mitterrand, souffrant d’un cancer métastasé au long de ses 14 ans de mandat et de Jacques Chirac, diminué à la fin de son deuxième mandat par les suites d’un AVC, restent gravés dans les mémoires des candidats et affectent bien sûr leur positionnement : « De Pompidou à Sarkozy, de la maladie de Waledenström à un abcès à la gorge, en passant par un cancer de la prostate métastasé, les présidents ont toujours caché leurs maladies, quelle qu’en soit la gravité, constate Philippe Poutou*. Aucun n’a tenu ses promesses de transparence. Mitterrand s’était engagé à en finir avec le secret médical et le mensonge d’État, et on a vu ce qu’il en a été ! »

« Ce qui fut particulièrement grave dans le cas de François Mitterrand, précise Marine Le Pen, c’est qu’il a placé sous influence un médecin pour propager un mensonge d’État. Message qui a par ailleurs duré de longues années. C’est cela qui est condamnable et cela l’est d’autant plus que si la vérité au sujet du cancer dont il souffrait avait été dite dès son premier septennat, le cours de l’histoire aurait pu en être complètement modifié. »

Emmanuel Macron* paraît en désaccord sur ce point avec la candidate du Rassemblement national : « La situation n’est pas identique pour Pompidou, Mitterrand et Chirac et rien ne permet de dire rétrospectivement si cela (les mensonges sur leur santé - NDLR) a pu avoir des conséquences pour le pays. Mais, à l’évidence, cela trouble les Français, et je le comprends, » nous déclarait-il déjà en 2017.

Ce trouble, Jean-Luc Mélenchon* le déplore, quand il « constate aujourd’hui que les polémiques auxquelles ont donné lieu les états de santé réels ou supposés de Georges Pompidou ou de François Mitterrand ont été dominées par une forme de harcèlement et de voyeurisme qui n’ont pas leur place en République. » Et d’enfoncer le clou sur le secret médical : « Tous les citoyens ont droit à la confidentialité concernant leur santé. Il en est de même pour le président de la République. C’est uniquement dans le cas où un problème de santé porterait gravement atteinte à l’exercice des fonctions présidentielles qu’il pourrait en être fait état, » insistait déjà le candidat LFI il y a cinq ans.

Arbitrage vie privée / vie publique

Le leader la France insoumise pointe du doigt la limite forcément ténue qu’il convient de poser entre la vie privée avec le secret médical qui lui est attaché et la transparence exigée dans le domaine public et proclamée par tous les candidats. « S’agissant d’un chef d’État, la frontière est très fine entre ce qui relève du droit à l’information et la protection de la vie privée et de l’intimité, observe Yannick Jadot. Il est évident que toute information relative à la capacité du président de la République à exercer les devoirs de sa fonction doit être portée à la connaissance du public. Et il est tout aussi évident que la vie privée et l’intimité de toute personne, fût-elle président de la République, doivent être préservées. Vous l’exprimez vous-même, la question se pose en premier lieu en raison de précédents préoccupants qui ont à voir avec la figure monarchique qui reste, dans la pratique de notre Constitution attachée au président de la République. »

Tous les candidats mettent ainsi en avant la nécessité d’un arbitrage vie privée / vie publique : Nicolas Dupont-Aignan « considère en effet que la question de la santé du président de la République relève de sa vie privée qui, étant une personne de droit privé, a le droit, comme chacun au respect de sa vie privée. Si je ne crois pas en la transparence à outrance, il m’apparaît en revanche nécessaire de s’assurer que son état de santé est bien compatible avec l’exercice de ses fonctions ».

« La nécessité de transparence ne doit toutefois pas outrepasser le respect dû à la vie privée, insiste Valérie Pécresse et elle est donc circonscrite à une situation invalidante, que ce soit sur un plan physique ou mental. La santé du président est un impératif national, mais cela ne doit pas être ni une opportunité de voyeurisme, ni une arme politique visant à déstabiliser nos institutions. »

« Il faut donc faire la part des choses, explique encore Philippe Poutou*. Bien sûr, il faut préserver une part de vie privée, mais il faut rendre des comptes sur la surimportance du pouvoir politique, avec le facteur santé qui s’y attache. Nous vivons dans un régime de monarchie républicaine qui fait que la santé du président devient une affaire d’État et suscite des mensonges d’État fréquents. Dans le monde syndical, un délégué a toujours un suppléant, quand il est malade il est remplacé. On assume sa responsabilité en équipe, ce qui n’est malheureusement pas le cas pour la présidence. »

Même analyse de la part de Marine Le Pen : « En dehors de la limite liée à une pathologie grave, les questions de santé relèvent bien évidemment de la vie quotidienne et de la vie privée, pour le président de la République comme pour tout citoyen et elles sont protégées par le secret médical et le secret de la vie privée. »

On évolue donc sur une ligne de crête, un « en même temps » cher à Emmanuel Macron, qui nous l’explicite ainsi : « Bien sûr que la santé relève de la vie privée. Mais il est normal que les Français soient malgré tout informés, dans des proportions raisonnables, de la santé du président, qui doit être en capacité de remplir sa charge. Je pense donc qu’il faut être irréprochable dans son comportement, loyal vis-à-vis des Français, transparent sur tout ce qui peut avoir de l’importance, sans tomber bien sûr dans une forme de voyeurisme. »

Quels engagements formels ?

Compte tenu de la finesse de démarcation entre vie privée et vie publique, «Le Quotidien» a demandé à ceux et celles qui aspirent à nous gouverner, quels engagements ils peuvent prendre en termes de transparence.

Sur le principe, la plupart des candidats se montrent disposés à un engagement formel, à l’exception de Jean-Luc Mélenchon* qui se borne à considérer que « la transparence ne doit porter que sur les informations ayant un impact sur l’exercice de la fonction présidentielle », en s’abstenant de formuler un engagement de sa part. Philippe Poutou* est plus explicite à ce sujet : « Je ne participe pas au petit jeu des autres candidats qui vous font des promesses une main sur le cœur, à ce sujet comme sur tous les autres. »

« Je suis tout à fait conscient de l’importance des informations sur la santé du président je suis prêt à communiquer très ouvertement sur ce sujet », promet en revanche Jean Lassalle.

Fabien Roussel se montre quant à lui sibyllin, répondant à la question de l’engagement par un simple « oui ». « Je m’engage à informer tous nos concitoyens de mon état de santé dans une totale transparence tout au long de mon mandat », nous déclare Éric Zemmour.

« Je m’appliquerai le droit que je reconnais à chaque Français de bénéficier du secret médical, déclare Emmanuel Macron. Toutefois, je rendrai publique sans exception et sans hésitation toute information susceptible d’avoir des conséquences quant à ma capacité à diriger le pays. C’est une évidence pour moi. » Parole tenue lors de son quinquennat ? Plusieurs communiqués ont été publiés lorsque le président Macron a contracté la Covid, mais nous restons sur notre faim au sujet de la promesse qu’il nous avait faite en 2017 : « Je suis en parfaite santé et vous pourrez le vérifier en lisant mon premier bulletin de santé ! »

Travestissement de la réalité

« De nombreux candidats et présidents élus ont régulièrement promis d’être transparents en publiant des bulletins de santé, sans finalement s’y astreindre ou en travestissant la réalité, rappelle Valérie Pécresse. Pour ma part, je prendrai l'engagement devant les Français de rendre publique toute information sur ma santé qui pourrait avoir une répercussion sur la conduite du pays et la continuité de nos institutions. »

Plusieurs candidats ne se contentent pas de mettre une main sur le cœur pour promettre la transparence, ils font des avancées sur les modalités de leur suivi médical : « Je préconiserai que le suivi médical du président soit réalisé par un pool de médecins exerçant dans les hôpitaux publics » (Anne Hidalgo)

- « Je rendrai public, au moins une fois par an, un bulletin de santé du président de la République attestant sur la foi d’examens réalisés par des médecins indépendants, de ma capacité à exercer mes fonctions » (Yannick Jadot)

« Je m’engage à mettre en place un collège de médecins assermentés, nommés conjointement par le président du Sénat, le président de l’Assemblée nationale et le président du Conseil Constitutionnel, afin de réaliser, tous les six mois, un examen de ma santé pour s’assurer de mes capacités à exercer ma fonction. C’est à eux que les conclusions de ce rapport devront être communiquées. » (Nicolas Dupont-Aignan)

- « Pour garantir l’indépendance des médecins qui suivent la santé du président ou de la présidente, je propose qu’un collège de praticiens soit nommé sous la responsabilité du Conseil national de l’Ordre. Cela me semble être une bonne piste pour garantir un certain niveau de transparence. » (Marine Le Pen)

* Les engagements et commentaires de Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou et Emmanuel Macron ont été formulés lors de leur campagne de 2017. L'entourage de ce dernier précise que ses réponses de 2017 demeurent valables aujourd'hui.

Christian Delahaye