Alors que les Établissements pour personnes âgées se médicalisent de plus en plus, des tentatives attestent ces derniers temps que les pouvoirs publics et certaines Ehpad tentent de "normaliser" l’intervention des médecins de ville. Les règles du jeu libérales ont-elles encore droit de cité en établissement ? En tout cas, vos syndicats unanimes viennent de remporter une bataille sur les contrats-types entre Ehpad et médecins traitants. Mais ce n’est sans doute pas fini
Cette fois ils ont gagné la partie, mais pour combien de temps ? La dernière version des modèles de contrats-types « portant sur les conditions d’intervention des médecins libéraux en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes » (Ehpad), qu’ont reçue vos syndicats en toute fin de semaine dernière ne contient plus le motif de fâcherie initial. La première mouture du document présenté le 21 octobre au ministère des Aînés, avait en effet réussi à liguer contre elle l’ensemble des syndicats, de MG-France à la Csmf, en passant par le SML et la FMF. Tous s’étaient retrouvés vent debout contre la partie du texte qui sortait la rémunération des médecins généralistes libéraux du champ conventionnel. « Aujourd’hui, le ratio des Ehpad fonctionnant sous budget partiel (dans lesquels les médecins continuent à être payés à l’acte) et ceux obéissant à la logique du budget global (où c’est le directeur de l’Ehpad qui rémunère le médecin et non plus la Cpam) s’équilibrent à peu près à 80 % et 20 %. Mais avec ce nouveau projet de contrat-type, la rémunération des généralistes libéraux revient dans le giron de l’assurance-maladie, et ce, quel que soit le type de budget auquel obéit l’établissement », se réjouit le Dr Gérald Galliot, qui pilote le dossier pour la Csmf.
Selon la Csmf, le "deal" actuel serait plutôt bon à prendre : « notre message aux confrères est que, si les dispositions contenues dans ce projet de contrat-type ne sont pas entre-temps modifiées ? Signez-le », confirme ainsi le Dr Galliot. Avantage pour les généralistes : ces derniers seraient ainsi couverts en matière de responsabilité civile professionnelle, dans le cadre de leur intervention comme professionnel libéral. Autres points positifs liés à ce texte, la commission gériatrique de coordination, réclamée par les professionnels du secteur depuis années, devrait, enfin voir le jour. Les premières versions faisaient mention de deux réunions annuelles de trois heures. Le document - a priori final - n’en prévoit plus qu’une, obligatoire, pour une rémunération de 4C, contre 3 seulement comme prévu initialement.
Les médecins libéraux sortent donc plutôt gagnants de cette affaire de contrats-types. Mais ce n’est peut-être pas fini. Vu l’enjeu, la tendance à "normaliser" la participation des médecins libéraux dans les établissements pour personnes âgées de nouvelles tentatives ne sont pas à exclure de la part des pouvoirs publics. Depuis la loi de 2002 rendant obligatoire la fonction de médecin coordonnateur, l’étau se resserre pour les libéraux. L’Ordre s’est encore élevé fin octobre contre une pratique déjà en vigueur dans certaines institutions : « l’obligation pour le médecin libéral de signer un contrat avec l’établissement pour continuer à y exercer, alors même que ce dernier ne le rémunère pas et que l’Ehpad est le domicile du résident ». Dans le viseur du Cnom figurait un amendement des députés au PLFSS 2011 qui prévoyait de systématiser cette obligation de contrat. Objectif a priori atteint, puisque le gouvernement a retiré l’amendement en question, mais le feuilleton sera sans doute à suivre encore cette semaine lors du débat sur le "budget" de la Sécu au Sénat. Autre motif de levée de boucliers de la part du Cnom : « les pratiques de certains directeurs d’Ehpad qui interdisent l’accès de leur établissement aux médecins libéraux choisis par les résidents ». Et c’est pour ne rien dire des témoignages de médecins qui confirment que ces dernières années, certaines Ephad ont tenté de forfaitiser la rémunération des médecins de ville. Une option dont l’Union nationale des professions de santé (UNPS) ne veut à aucun prix : "généraliser le forfait global soins conduirait obligatoirement au rationnement des soins, ce que les professionnels de santé ne sauraient accepter", insiste ainsi le président de l’UNPS, Alain Bergeau.
Mais sur ce versant aussi, les discussions ne sont surement pas finies. « Maintenant que l’activité en Ehpad est revenue dans le champ conventionnel, cela est ouvert à négociation", explique le "Monsieur Ehpad" de la CSMF. "Depuis le temps qu’on parle de la CCAM clinique, nous proposerons d’y inclure, une rémunération spécifique de l’acte médical effectué en Ehpad ». Histoire à suivre donc. Pour l’heure, les délais annoncés pour l’entrée en vigueur de contrats-types liant les Ehpad et les professionnels de santé libéraux (généralistes et kinésithérapeutes dans un premier temps), soit le 1er janvier 2011, devraient ainsi bien être tenus. Et, comme le résume le président de la Csmf, le Dr Michel Chassang, « en l’état, cette proposition de texte ne nous pose plus de problèmes ».
Pour l’instant… Car les politiques que les Agences régionales de santé seront amenées à développer pourraient un jour modifier la donne. « Nous serons obligés de rester vigilants tout au long du processus », observe le secrétaire général du SML, Roger Rua. « Une fois que les ARS auront terminé leur cartographie dans le cadre de la définition des territoires de soins et de santé, -et à ce titre, la répartition des Ehpad fait partie de leur prérogatives- elles se pencheront très certainement sur la catégorisation des personnels qui y interviennent. Nous avons remis le statut et la participation de chacun sur les bons rails. Le paiement à l’acte et la rémunération conventionnelle ont été maintenus et les généralistes ne se verront pas contraints de signer un contrat de gré à gré avec le directeur de l’Ehpad dans lequel ils interviennent. Mais il est clair que la question se reposera dans un avenir, qui n’est peut-être pas si éloigné ».
Une mise en garde de bon sens. En effet, au regard du rapport réalisé et rendu public le mois dernier par la député UMP Bérangère Poletti au nom de la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, la quasi-totalité (99,6 %) des places des Ehpad, soit 551 893 places en 2009, est aujourd’hui médicalisée. Une généralisation qui bien sûr n’est pas sans incidence financière. Car, dans le même temps, relève l’élue de la première circonscription des Ardennes, « ce processus de médicalisation qui a permis de recruter davantage de personnel », a également « conduit à accroître de 30 % la part financée par l’assurance-maladie ».
Comme l’illustre le tableau ci-après, le montant des crédits dévolus à ces établissements par l’assurance maladie diminue depuis trois ans. Simple corollaire ? Le président du Syndicat des médecins intervenants en Ehpad (SNGIE) n’y croit pas. « Le souhait de développer une logique de budget global de la part de l’assurance-maladie obéit à une volonté de rebasculer la gestion de l’enveloppe financière à la charge du directeur de l’établissement. Le problème, outre le fait que cela revient à remettre en cause le paiement à l’acte pour les généralistes qui travaillent dans ces établissements, c’est que le montant des budgets dévolus aux Ehpad n’a pas été réactualisé depuis plusieurs années », analyse le Dr Philippe Marissal.
Ce généraliste de l’Ain parle en connaissance de cause, il fait partie des sept généralistes qui interviennent à l’Ehpad Fondation Costaz, à Champagne-en Valromey (voir reportage en page suivante). Et pour le Dr Marissal, il est urgent de clarifier une bonne fois pour toutes les missions des intervenants dans les Ehpad. Comme le statut du médecin coordonnateur par exemple. Une pierre dans le jardin de son homologue, présidente de la Fédération Française des Associations de Médecins Coordonnateurs en EHPAD (Ffamco), le Dr Nathalie Maubourguet-Aké. Cette généraliste d’Aquitaine, avait, en décembre dernier, remis un rapport en treize propositions au ministère chargé des aînés, qui insistait sur le role prépondérant dévolu au médecin coordonateur.
Une orientation qui paraît excessive au Dr Philippe Marissal : « peut-être que la mission de coordination serait mieux assurée par un personnel infirmier, formé, que par un généraliste », s’interroge ainsi le praticien qui distingue aujourd’hui deux types de médecins coordonnateurs. Ceux qui sont déjà médecins traitants au sein de l’établissement et qui connaissent bien les patients et les confrères. Et ceux, « qui se sont professionnalisés dans leur rôle de grand coordonnateur, en perdant de vue l’aspect libéral de l’exercice de la médecine générale. Une analyse qu’illustrent nos reportages réalisés à Marseille, dans l’Ain et en Auvergne et qui montre que le partenariat médecin coordonateur-médecins traitants se déroule avec un bonheur inégal.
Mais, pour l’heure, au-delà des polémiques, l’unité syndicale nationale est de mise pour maintenir les conditions d’intervention des médecins libéraux dans ces établissements. Reste que si les décrets relatifs à l’intervention des professionnels de santé dans les Ehpad devraient bien sortir au début de l’année prochaine, la question de leur mode de rémunération et de son montant devra, elle, attendre la prochaine convention. Pourtant l’heure presse. Selon l’Insee, 1 200 000 personnes seront dépendantes en 2040, contre 800 000 actuellement.