C’est sans doute l’événement de cette rentrée ! Deux experts de la HAS proposent à leurs confrères un audit de la sécurité des soins qu’ils dispensent. Leur livre dresse un état des lieux des risques en médecine de ville et des moyens de les éviter. Et le généraliste est parallèlement invité à faire son propre test en ligne à partir d’un questionnaire en 110 points. Vous êtes tentés ? Alors, suivez le guide !
Dossier médical ouvert au nom d’un homonyme, résultat de biologie laissé sans suite, compte rendu de radiologie introuvable, mauvais clic dans la prescription… L’erreur médicale, ça n’arrive vraiment pas qu’aux autres. Hier, jeudi, à Paris, un colloque, à l’invitation de « La Prévention Médicale », de la MACSF et de la HAS, a fait le point sur la question. Et les Drs Jean Brami et René Amalberti, dans un récent ouvrage, montrent que, en médecine générale aussi, méprise, inexactitude, étourderie ne sont pas si rares. Rarement graves, elles seraient néanmoins le lot d’à peu près tout praticien, disent les deux experts qui signent leur deuxième ouvrage sur le sujet. En soins primaires, il y aurait, selon la littérature internationale, entre 0,004 et 240 erreurs pour 1 000 consultations, le plus souvent liées au diagnostic ou au traitement, rapporte l’ouvrage. Vous en doutez ? Alors, regardez-vous un peu travailler et notez ce que vous faites pendant 72 heures, conseillent les auteurs de ce livre pas comme les autres : « Dès que l’on prend l’habitude de repérer les erreurs commises, mais rectifiées immédiatement, on constate que leur nombre est élevé », expliquent d’expérience Jean Brami et René Amalberti qui affirment qu’ainsi 60 à 83 % des erreurs pourraient être évitées en médecine générale. Lesquelles et comment faire pour les empêcher ? Cet
« Audit de sécurité des soins en médecine de ville » qui vient de paraître aux éditions Springer pose des constats et propose des recettes. Il s’agit de la première démarche systématique pour optimiser la sécurité des soins au cabinet. Trois ans après leur premier livre qui avait sonné comme une magistrale prise de conscience, les auteurs sont, en quelque sorte, passés aux travaux pratiques.
La gestion de son temps par le praticien souvent en cause
L’ouvrage s’apparente pourtant avant tout à un manuel de savoir-être pour le médecin. Les auteurs ont décortiqué toutes les dimensions du risque en médecine de ville sur lesquelles on peut achopper mais aussi agir préventivement. Un premier constat frappe le lecteur : nombre des bévues relevées ont un rapport étroit avec le surmenage du médecin et, d’une manière générale, la gestion de son temps. Il suffit de lire le chapitre sur le dossier médical et la gestion des prescriptions pour se faire une idée des risques que court un médecin débordé qui sera tenté de rédiger vite fait son ordonnance ou de classer prestement les retours des labos d’analyse. « Le mauvais suivi des examens complémentaires des patients est une source majeure d’événements indésirables », pointent les deux médecins, qui soulignent que les logiciels informatiques, en l’état actuel de la technologie, ne sont pas forcément la panacée pour les éviter. Au total, « 14 à 25 % de toutes les erreurs rapportées par les généralistes dans la littérature sont des erreurs en lien avec la prescription, la communication des résultats ou l’exploitation de résultats anormaux ».
Le livre consacre de longs développements sur la gestion du temps pour un médecin et ce jonglage permanent avec le calendrier si familier au généraliste : cette visite qui ne paraît pas si urgente et qu’on remet au lendemain, cette personne âgée qu’on ne prend pas le temps de faire déshabiller, cette ordonnance qu’on délivre entre deux portes et entre deux consultations… À chaque fois, c’est quelques minutes gagnées sur son agenda, cela permettra peut-être de prendre plus son temps pour s’occuper d’un cas complexe, mais c’est inévitablement prendre le risque d’un oubli ou d’une boulette… Même chose lorsqu’on doit arbitrer entre arrêter sa consultation pour une urgence ou un appel téléphonique et interrompre la consultation de l’autre, au risque de perdre le fil du colloque singulier…
Le couple médecin-patient pour le meilleur et pour le pire
La relation au patient est aussi pointée comme génératrice d’événements indésirables. « Laisser plus de temps pour s’exprimer au patient n’est pas une perte de temps », martèlent les auteurs qui citent des études américaines pour illustrer leur propos : seuls 23 % des patients parviendraient à exposer la totalité de leurs symptômes lors du colloque singulier, un délai très court de 23 secondes s’écoulant en moyenne avant que le patient soit interrompu par le médecin ! Et, pour le praticien peu écoutant, le risque existe alors de passer à côté du diagnostic.
Le « Brami-Amalberti » fait d’ailleurs un peu le même constat dérangeant concernant la compliance du malade. Non, le défaut d’observance du patient n’est pas une fatalité, explique-t-il, s’appuyant sur des études qui lient l’attitude de ce dernier à la plus ou moins grande communicabilité du médecin traitant. Comme quoi la qualité de relation au sein du « couple patient-médecin » entre aussi en ligne de compte pour expliquer les incidents.
Au cabinet ou en visite, les risques ne sont pas les mêmes
Question de personnes, mais aussi de lieu. Au risque de déplaire à certains confrères, les Drs Brami et Amalberti portent un regard sans complaisance sur l’hygiène et l’aménagement des cabinets médicaux, même s’ils concèdent que les années Sida ont bien changé la donne et les mentalités.
Hors les murs, c’est sur la visite à domicile que se concentre leur attention. Le saviez-vous ? Dans 14 % elle est l’occasion d’une perte d’informations, concernant, par exemple, examens de laboratoires, courriers, résultats d’examens ou médicaments pris par le patient. Un contretemps fâcheux évidemment, mais il y a plus préoccupant : une fois sur deux, cela se soldera par un incident susceptible d’affecter la sécurité du patient. Alors, faut-il regretter la visite à domicile si fréquente autrefois ? Nos deux experts ne nourrissent guère de nostalgie : « Elle constitue, disent-ils, le lieu où se concentrent tous les dangers d’une information insuffisante et d’une coordination des soins périlleuse ».
Indispensables NTIC… dont il faut pourtant se méfier !
Si la visite prend de moins en moins de place dans l’agenda de nombreux médecins, tel n’est pas le cas des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Indispensables NTIC ! Fax, messages téléphoniques, e-mails et SMS facilitent la vie de nombreux médecins, mais ne remplacent pas le colloque singulier. Les consultations virtuelles font de facto partie du quotidien de la plupart des médecins de famille. Et, en soi, ce n’est pas pour déplaire aux deux auteurs. Mais à condition pour le médecin d’en connaître les limites, soulignent-ils : attention, par exemple, à cet appel au secours qui pourrait moisir plusieurs jours sur votre répondeur ou sur votre boîte mail ! Et c’est pour ne rien dire de la confidentialité parfois toute
relative de ce dernier média si un peu naïvement vous lui confiez un diagnostic, un pronostic ou un conseil…
Au final, l’un des mérites du « Brami-Amalberti » est de montrer que le risque existe un peu partout en médecine générale, même s’il est, à ce jour, beaucoup moins documenté qu’en médecine hospitalière. Pour autant, le praticien ne refermera pas cet « Audit de sécurité des soins en médecine de ville » avec l’impression d’être submergé. Car le livre montre aussi que le zéro défaut n’existe pas en médecine.
Il fourmille, par ailleurs, de conseils pratiques pour éviter l’erreur, autant que faire se peut. Au plan méthodologique, on découvre les conseils de la Mayo Clinic de New York pour planifier son agenda. Et, à plusieurs reprises, l’ouvrage invite son lecteur à garder des traces écrites
de son activité, surtout quand elles sont impromptues : un conseil téléphonique, un renseignement glané en visite, un patient qu’on n’a pas fait déshabiller, etc.
Et si vous preniez le risque d’écouter un peu plus vos patients, suggèrent encore les auteurs, qui assurent que la « perte de temps » à laisser s’exprimer complètement un patient, dans la majorité des cas, ne rallonge pas la consultation de plus de deux minutes. Le conseil vaut pour le site Internet préféré de votre patient, sur lequel, on vous suggère de surfer avec lui, au moins une fois, pour discuter ensemble du contenu. La parade pour le médecin tient aussi dans l’anticipation (indispensable vérification de sa trousse d’urgence), mais aussi dans la formation (communiquer avec son patient, savoir domestiquer les nouveaux moyens de communication, ça n’est pas forcément inné…). Et s’il fallait ne retenir qu’un conseil de ce livre, ce pourrait être d’éviter de tout faire seul : en amont, la piste du triage téléphonique par des paramédicaux, fort peu pratiquée en France, a la faveur des deux auteurs ; en aval, ils conseillent de s’ouvrir à des confrères des incidents. Et pourquoi pas dans le cadre de groupe de pairs, suggèrent les deux hommes ? Quand on est conseiller à la HAS, on ne se refait pas !