Le Généraliste : Pourquoi ce deuxième ouvrage, trois ans après un premier sur la sécurité des soins ?
René Amalberti Le premier était une présentation générale du concept de sécurité des soins. Cette fois on essaie de descendre une marche, de se rapprocher des confrères et de leur proposer de décliner cette idée dans leur vie de tous les jours au cabinet.
Quand on évoque l’erreur médicale, on pense volontiers incompétence. Dans votre livre au contraire, vous insistez sur les vices de procédure. Pourquoi ?
R. A. Si l’on prend toutes les statistiques, ce qui cause le risque c’est l’organisation, beaucoup plus que l’incompétence technique. Donc, la cible de "l’Audit" porte surtout sur l’organisation et pratiquement pas sur les techniques médicales.
Le Généraliste : En vous lisant, on a l’impression que beaucoup d’incidents proviennent du surmenage du praticien. Le risque d’erreur en médecine générale vous semble-t-il accru par la crise démographique ?
Jean Brami C’est évident. Quand des confrères sont installés dans des zones où il y a peu de médecins, ils aimeraient travailler moins, mais ne le peuvent pas. Le temps est un outil de l’organisation : quand il n’est pas maîtrisé, il devient l’outil de la désorganisation. Ce lien au temps, si important, n’est pas quelque chose qui est enseigné. Certains médecins vont savoir gérer leur temps spontanément, mais ce n’est pas le cas de tous.
R. A. On enseigne la relation duelle avec le patient, mais pas le pilotage de la patientèle. Nous sommes le pays d’Europe où le temps de consultation est le plus long. Certaines consultations vont prendre le double de temps d’une consultation classique. Mais comme on n’apprend pas aux médecins à gérer leur temps, le vrai risque d’erreur survient plusieurs heures plus tard, lorsque le médecin se rend compte qu’il a pris du retard...
Vous relevez que les consultations les plus longues ne sont pas forcément les plus sûres. Comment expliquer ce paradoxe ?
J. B. Ce n’est pas du tout paradoxal ! Quand des gens viennent, ils présentent souvent trois ou quatre motifs de consultation. Parmi ces plaintes, le médecin va choisir, car il ne pourra pas toutes les traiter. Le patient va s’en rendre compte et conclure que les questions auxquelles il n’a pas obtenu de réponses n’intéressent pas son médecin. Du coup, il ne va pas lui en reparler lors des consultations suivantes. Et si jamais le problème s’aggrave, le patient aura beau jeu de dire : "Docteur, je vous en avais parlé il y a plusieurs mois et vous n’avez rien fait"… À l’inverse, en dessous de 8 minutes, c’est dangereux. Le patient n’a pas le temps de se déshabiller et le médecin n’a pas le temps de l’ausculter.
Et les nouveaux moyens de communication ? Sont-ils un « + » ou un danger pour le praticien ?
R.A. Ce n’est pas l’outil en lui-même qui est bon ou mauvais, mais la façon dont le médecin va s’en servir. Ces nouvelles technologies seront un "plus" quand elles seront maîtrisées. L’apprentissage de ces technologies est nécessaire.
J. B. Quand un patient envoie par e-mail une photo au médecin pour lui demander conseil, les clichés sont souvent de mauvaise qualité. Donc il y a un risque pour le patient. Cela dit, quand on aura domestiqué ces technologies, cela débouchera sur une médecine de meilleure qualité. On va recourir de plus en plus à ces nouveaux moyens de communication, c’est inévitable. Il est donc essentiel de savoir s’en servir à titre professionnel.
Pour une sécurité optimale des soins, la première qualité du praticien n’est-elle pas d’être obsessionnel ?
J. B. : Il faut que les médecins soient réflexifs, qu’ils arrivent à se regarder travailler. Le problème, c’est qu’ils n’ont plus le temps de le faire. Ils ne se rendent même pas compte qu’ils prennent des risques. Pour réfléchir à leurs pratiques, les groupes de pairs peuvent être utiles. Mais il faut des objectifs bien définis pour que l’échange ne parte pas dans toutes les directions.
Qu’allez-vous faire de cet audit en ligne ?
J.B. : On pense que cet audit est un outil important à la disposition de la profession. Et, si les praticiens font vraiment leur deuxième tour d’audit, ils auront accompli leur DPC. Pour le reste, c’est bien entendu une mine d’or en termes de recherche.
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