Le point de vue du Dr Claude Pigement

La Grande Sécu : une fausse bonne idée

Publié le 26/11/2021
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Il y a plus à perdre qu'à gagner dans le scénario du 100% Sécu, analyse ce connaisseur du monde de la santé et des politiques qui s'y rapportent, qui dépeint un système actuel «qui fonctionne plutôt bien» avec ses caisses et ses mutuelles. Ce gastroentérologue et homme de gauche rappelle que, pour faire la «Grande Sécu», une hausse de CSG serait inévitable et mal vécue par les Français. Et il redoute que ce chantier se fasse au détriment des réformes urgentes dont a besoin le système de soins.

Claude Pigement S. Toubon

Crédit photo : S. Toubon

Qui ne souscrirait pas à une promesse d’extension du remboursement des soins à 100 % par la sécurité sociale ? Le HCAAM dans un rapport commandé par le gouvernement le propose. Miroir aux alouettes ? En tout cas, cette réforme qui marginaliserait les complémentaires pose beaucoup de questions.

D’abord le panier de soins pour 100 % remboursés ? Le périmètre des soins pris en charge est un enjeu essentiel. Soit il réduit fortement la place des complémentaires, mais avec quel financement ? Soit il promeut un Yalta entre les soins remboursés à plus de 50 % et les autres : la médecine pour l’obligatoire, le dentaire, l’optique et l’audio pour les complémentaires ? Tout cela est flou, à l’aune du 100 % santé, avancée indéniable, qui est un succès pour le dentaire et un échec pour l’optique.

La complémentarité historique entre le régime de base et les mutuelles fonctionne plutôt bien. Certes les médecins râlent contre « la bureaucratie » de la sécurité sociale et la multiplicité des mutuelles. Les hausses annuelles des cotisations des complémentaires irritent les ménages, érodant leur pouvoir d’achat.

Les gouvernements successifs accusent les mutuelles d’être assises sur « un tas d’or ». Remettre en cause les deux étages de la solidarité est à haut risque mais demander aux complémentaires d’être plus transparentes, plus inventives, plus agiles est une nécessité. Agnès Buzyn avait pris prétexte des retards techniques en termes de logiciels fléchant le remboursement aux médecins du tiers payant généralisé pour le suspendre. La sécu était prête, les mutuelles moins !

Un mauvais coup pour les salariés du privé

Le financement de la Grande Sécu est un sujet essentiel pour sa construction. Si les ménages y gagnent en cotisations et frais de gestion en moins, il faudra bien que les finances publiques prennent en charge 22,4 milliards€, ce qui veut dire environ 1,5 point de CSG en plus. Deux perdants au moins dans ce transfert : les salariés du privé dont la moitié des cotisations est prise en charge par l’employeur. L’État qui verra ses prélèvements obligatoires augmenter avec la hausse de la CSG alors que les cotisations mutualistes volontaires en sont exclues. Sachant que les Français sont plus sensibles aux hausses qu’aux baisses, une CSG à plus 1,5 n’est-elle pas une mesure inflammable ?

Ce scénario créerait une médecine à deux vitesses ? On y est déjà ! Les mutuelles en remboursant les dépassements d’honoraires, certains actes dentaires, optiques et audios amortissent l’effet. Le risque d’une sécurité sociale omnipotente se discute mais l’espace ouvert aux sur-complémentaires est une évidence.

Enfin, le devenir de 100 000 emplois à la clé ne peut être occulté même si une partie de ces emplois pourrait être transférée au régime de base. Au-delà des doutes sur la faisabilité de cette réforme, n’est-il pas plus important dans cette campagne présidentielle de débattre des déserts médicaux pour sortir par le haut de ce conflit entre tenants de la coercition et de l’incitation par une conférence citoyenne avec tous les acteurs pour un meilleur accès aux soins ? De l’hôpital de demain après un Ségur de la santé en demi-teinte ? Des inégalités de santé dans un pays où la santé publique est le parent pauvre ? Les choix des postes d’internes à l’ECN en sont le révélateur. Ces thèmes valent mieux que celui de la Grande Sécu, l’arbre qui cache la forêt.

Dr Claude Pigement, Ancien responsable national santé du PS, Ancien vice-président de l’ANSM, Membre du conseil de surveillance de l’ARS-IDF

Source : Le Quotidien du médecin