Cela peut sembler paradoxal. Ces dernières années, l’incidence du cancer a tellement augmenté qu’il est devenu la cause numéro un de mortalité. Parallèlement, l’espérance de vie des malades ne cesse de progresser. Même si la prudence reste de mise dans bien des cas, les évolutions de ces dernières années permettent de parler de plus en plus souvent de guérison. Dans l’entretien que nous publions, Dominique Maraninchi avance pour la première fois le chiffre de 60%. Surfant sur cette dynamique, les pouvoirs publics organisent la sortie d’ALD pour certains patients et poussent assureurs et banquiers à intégrer la guérison dans les calculs des actuaires.
C’est au tournant des années 2000 que l’évolution a été radicale. Pour la première fois, le cancer devient la première cause de mortalité en 2004; et la même année une étude de la Cnamts rapporte que le nombre d’admissions pour cancer dans le régime ALD a augmenté de 84% sur dix ans ! On voit de plus en plus de cancers, mais on en guérit de plus en plus aussi. Alors qu’avant les médecins s’abritaient prudemment derrière le terme de rémission lorsque le pronostic favorable se confirmait, le mot de « guérison » est de plus en plus souvent apparu. Selon les chiffres que s’apprête à publier l’INCA à la fin du mois d’avril, 60% des cancers sont guérissables. En attendant, on continue à accoler à la maladie l’épithète de « chronique ». Et lorsqu’une maladie devient chronique, elle entre de plain-pied dans le champ de la médecine générale. Ce qui s’est d’ailleurs traduit de manière très concrète depuis 2005 par la déclaration d’ALD, « l’acte solennel d’entrée dans la maladie pour le généraliste » note le Pr Dominique Maraninchi, président de l’INCA.
Charge à eux prochainement de faire sortir leur patient du dispositif ALD. C’est en tout cas ce que prévoit le "budget" de la Sécu 2010, en cohérence avec le Plan Cancer. « Sortir du cancer était inimaginable il y a trente ans, c’est une réalité aujourd’hui, soulignait le président de la République en octobre dernier à Marseille en présentant le Plan Cancer II. La HAS propose de ne pas renouveler systématiquement le régime des ALD cancer au-delà de la durée initiale de cinq ans. Si l’on guérit du cancer, il n’y a aucune raison de penser que la sortie de l’ALD soit interdite. Je pense que c’est une bonne nouvelle de guérir d’un cancer et que nous devons en tirer les conséquences ».
En pratique, pour le patient, cela ne changera rien. Il est prévu qu’il continue à bénéficier d’une prise en charge à 100 % pour les examens de suivi. Seul son médecin traitant perdra le bénéfice du forfait ALD. Le ministère de la Santé a demandé à l’INCA d’étudier la faisabilité. Les premiers « guide-line » de l’après-cancer devraient être publiés en collaboration avec la HAS au courant de l’année 2011. L’après-cancer est justement la troisième priorité du plan cancer II, et deviendra sans doute pleinement l’apanage du généraliste. « Un programme personnalisé de l’après-cancer sera proposé aux patients, a précisé Nicolas Sarkozy en octobre. Il impliquera l’infirmière coordinatrice des soins et le médecin traitant. Il offrira le suivi nécessaire et l’évaluation du risque de rechute et de séquelle ». Au moins 50 % des patients devraient en bénéficier.
« L’objectif est de favoriser la réinsertion sociale de ces personnes » affirmait cet automne le gouvernement au sujet des sorties d’ALD. Dans le viseur, les assureurs qui se font toujours tirer l’oreille pour prendre en compte les évolutions de la médecine. « Nous n’intervenons pas dans le secteur assurantiel, mais les assurances doivent travailler sur ces données, plaide le Pr Maraninchi. Or nous publions des données scientifiques qui prouvent que ce risque est limité ». Malgré la convention Bellorgey de 2001, puis de la convention AERAS de 2007, il demeure toujours difficile pour un ancien malade du cancer de s’assurer pour faire un emprunt. Le chef de l’État a demandé de renouveler la convention pour « améliorer la couverture assurantielle et l’accès à l’emprunt des personnes qui sont sorties de la maladie ». Les négociations sont toujours en cours. Un des principaux défauts du dispositif est qu’il semble relativement peu connu. Selon un sondage publié par le CISS en mars, dans 55 % des cas, les potentiels bénéficiaires n’en étaient pas informés.