Non, les jeunes ne boudent pas tous l’exercice libéral. Simplement, ils attendent davantage. Et les règles qui régissaient l’exercice de papa ne leur conviennent plus. Etat des lieux, alors que les futurs généralistes de l’Isnar entrent aujourd’hui en congrès.
A trente-deux ans, le Dr Thomas Couadau vient de s’installer il y a tout juste trois mois dans le haut Montreuil, à la lisière du nord parisien. Seul. Un oiseau rare ? « Pas vraiment, répond-il. Il est vrai que sur ma promo dans laquelle nous n’étions, de mémoire, que soixante-dix à avoir choisi la médecine générale, je n’ai eu vent que de trois-quatre personnes à avoir ouvert leur cabinet, seuls. Mais je ne suis pas resté en contact avec tout le monde ».
Cela étant dit, c’est un peu le hasard allié à une bonne dose de pragmatisme, qui a conduit le Dr Couadau à se lancer dans l’aventure de l’exercice en solo. Après avoir terminé son cursus à la fac de médecine de Nice, puis de Paris, le jeune généraliste effectue un temps des remplacements sur Paris et sa proche banlieue. Au détour d’une conversation, un patient lui conseille de se tourner vers Montreuil, où, dans certains endroits, les généralistes font, semble-t-il, cruellement défaut. Un contact avec l’hôtel de ville est pris. « La mairie avait, en effet, un lieu à me proposer, qu’elle me loue, donc depuis trois mois ». Ouverture du cabinet, inscription au tableau de garde ? « ce qui ne me demande pas un rythme énorme, je ne dois faire que deux-trois gardes par an, idem pour les dimanches » ? le Dr Couadau commence à trouver son rythme de croisière. Mais il ne compte pas, si possible, continuer à exercer seul trop longtemps. « Comme il s’agissait d’une création de cabinet, c’était plus simple de le faire moi-même, mais à moyen terme, j’envisage de m’orienter vers un exercice de groupe », indique le jeune généraliste, fidèle, en cela aux desiderata majoritaires de ses confrères de la nouvelle génération.
Pour le Dr Marie-Laure Alby, présidente de la section généraliste de l’Urml d’Ile-de-France, la donne, en matière d’installation, a en effet changé. Depuis le milieu des années 1990 et la réforme des études de médecine générale qui instaure le stage de médecine générale de six mois durant le troisième cycle. Avec des effets qu’elle analyse comme étant plutôt bénéfiques. « Je ne suis pas encline au catastrophisme ambiant. Avec le développement des maîtres de stage, nous avons pu assister à une vraie évolution : la fin du choix de la médecine générale par défaut. Alors oui, les jeunes s’installent sans doute plus tard, en groupe, de préférence, mais ils ont tous la passion de leur métier. Le travail ne leur fait pas peur, et ils sont nombreux à plébisciter l’exercice en milieu rural, pour « faire de la vraie médecine ». Pour le Dr Alby, il s’agit d’une génération qui, en revanche, a déjà redéfinit de facto les modalités du métier. Une évolution qu’elle voit au moins aussi importante pour la profession que l’a été 1968. Avec pour corollaire, la nécessaire adaptation des textes. Certaines se sont déjà produites : création du statut de collaborateur libéral, puis salarié, développement des généralistes enseignants… « Nous assistons à la mise en œuvre de nouveaux modes de recrutement et de nouveaux processus d’installation. Le collaborateur libéral étant à mon sens LA méthode d’avenir, qui offre aux jeunes un mode d’activité intéressant et aux plus anciens une manière intelligente de passer la main ». Surtout dans un contexte où les clientèles ne se revendent presque plus.
Est-ce à dire que les maisons de santé du ministère de la Santé et, demain, la création possible d’un exercice salarié rejoignant les statuts de collaborateur libéral et salarié ouverts par l’Ordre il y a deux ans constitueront l’exercice de demain ? Le Dr Virginie Muller, auteur d’une thèse sur le désir d’installation des jeunes généralistes franciliens (voir entretien), ne le pense pas.
« Ces options ne répondent qu’à une faible partie des souhaits des jeunes médecins. Globalement, il n’y a environ que 5 % de chaque promotion qui refusent catégoriquement de s’installer en libéral pour raisons idéologiques. Ceux-là auront peut-être envie de s’installer en salariat en ville si cela leur est possible. Mais, même en créant ces postes salariés en ville, cela ne changera pas grand-chose au problème. Les jeunes généralistes les prendront pour répondre à un déficit de médecins et se retrouveront confrontés aux même problèmes de pénurie : difficulté de prendre un congé maladie, difficulté pour les femmes de partir en congé maternité parce qu’on perd une bonne partie de ses patients. Encore une fois, à tout prendre, l’hôpital, lui offre toutes ces garanties ».
Pour la Csmf jeunes médecins, l’une des réponses à la crise démographique passe par la création d’un vrai statut du remplaçant. Comme l’analyse le président de ce jeune syndicat, « le remplacement devient aujourd’hui un mode d’exercice à part entière, que l’on pratique pendant près de dix ans en moyenne ». Et, de l’avis du Dr François-Charles Cuisignez, il est donc urgent de « repenser les contours de cette activité, le seul exercice en lieu et place d’un médecin installé devenant trop limité et archaïque ». Avantage de la formule proposée : clarifier, entre autres, avec ce nouveau statut, les engagements réciproques des remplaçants et de l’assurance-maladie.
Une assurance-maladie qui, aux dires de nombreux jeunes confrères, apparaît continuer à ignorer certains aspects de la réforme du médecin traitant. En l’occurrence, le moratoire dont sont censés disposer, pendant cinq ans, les nouveaux installés. « Les caisses ne sont absolument pas au courant, j’ai dû rassurer mes nouveaux patients pour leur dire qu’ils ne seront pas pénalisés financièrement même si je ne suis pas leur médecin traitant », confirme, en souriant, le tout nouveau généraliste du haut Montreuil, le Dr Couadau. Ce « dysfonctionnement », véritable difficulté pour les primo-installés avait pourtant été directement adressée, il y a déjà deux ans, à Frédéric Van Roeckghem, par un jeune généraliste du Sud de la France. Le directeur de l’Uncam avait alors promis d’y sensibiliser les driecteurs de Cpam. A l’évidence, une piqûre de rappel apparaît nécessaire dans certains départements.