« Le premier médecin à qui j’en ai parlé, c’était une généraliste, se souvient Sébastien, qui souhaite rester anonyme (1). Je l’ai sentie un peu gênée au début, mais elle m’a orienté rapidement vers un spécialiste. » C’est le début d’une prise en charge au long cours, qui permettra à ce Niçois de mettre des mots sur sa souffrance, ses traumas d’enfance et d’en finir avec la dépression qui s’était installée à ses 17 ans. « Pendant des années, j’ai manifesté le premier symptôme de ce mal, qui est de ne pas vouloir le reconnaître ni en guérir, affirme le trentenaire. Cette généraliste en me rassurant et m’orientant rapidement a fait la différence. »
Chaque année en France, 9 000 personnes mettent fin à leurs jours, soit 25 par jour. « On ne se trompe jamais en demandant : Est-ce que vous avez des idées suicidaires ? souligne le Dr Jean-Marc Henry, psychiatre responsable médical du centre régional de prévention du suicide (CRPS) Paca. C'est même souvent un soulagement pour les personnes qui sentent que vous êtes à l'aise avec cela, et qui vont pouvoir déposer ces idées auprès de vous. Les changements de comportement, le repli, l'inhibition, l'isolement sont toujours des signes d'alerte. Les troubles du sommeil également : on sait que les insomnies peuvent favoriser le passage à l'acte. »
Près de 650 personnes accompagnées par Asma en 2024
« En 2002, nous avons créé Asma (2), pour suivre et accompagner les jeunes ayant fait une tentative de suicide ou traversant une crise suicidaire », rappelle le Dr Jean-Marc Henry. Ce modèle pionnier fonctionne sur une veille active de 9 mois, alliant appels, SMS, cartes postales et coordination ville-hôpital. Il est aujourd’hui articulé avec VigilanS, le service de recontact des suicidants, généralisé sur tout le territoire. En 2024, Asma a accompagné 647 adolescents et permis de réduire le taux de réitération suicidaire à 6,7 % contre 11,1 % en 2023. Selon Santé publique France, de manière globale, « le nombre de décès par suicide en Paca en 2021 s’élevait à 650 cas, soit 12,4 décès pour 100 000 habitants, légèrement inférieur à celui de la France entière (13,3 pour 100 000 habitants), plaçant la région Paca au 9e rang des régions françaises ».
Autre exemple d’actions menées en région Paca vers les jeunes, un jeu de société de prévention a été distribué dans les collèges et lycées en 2023. L’objectif est de sensibiliser élèves, enseignants et professionnels de santé de l’éducation nationale, et de les doter d’un outil simple de repérage, pour orienter les jeunes qui en auraient besoin. En France, le suicide est la deuxième cause de mortalité évitable chez les 18-25 ans. Le nombre d’hospitalisations pour gestes auto-infligés chez les 10-14 ans a augmenté de 70 % entre 2017 et 2023. Les concepteurs du jeu aimeraient sa diffusion à l’échelle nationale, mais le contexte actuel n’aide pas.
« Si les jeunes sont particulièrement touchés, avec une hausse alarmante au niveau national des tentatives de suicide (+ 50 % chez les 18-24 ans par rapport à 2017) et des hospitalisations pour gestes auto-infligés chez les adolescentes, le suicide des personnes âgées est plus important rapporté à la taille de la population concernée », avertit le psychiatre Jean-Marc Henry. Parmi les facteurs de risques : l’isolement, qui multiplie par 5 le risque, et le fait d’être un homme.
« Chez les hommes, les 65 ans et plus et les 45-64 ans étaient les tranches d’âge présentant les taux les plus élevés avec respectivement 37 et 26,9 décès pour 100 000 hommes en Paca (38,7 et 29,5 au niveau national) en 2021, précise SPF. Chez les femmes, les mêmes classes d’âge étaient les plus représentées avec respectivement 9,7 et 9,4 décès pour 100 000 femmes (9,7 et 9,5 au niveau national). »
La formation des professionnels, un défi
Grâce au regroupement du dispositif national 3114, de VigilanS et d’Asma au sein du CRPS inauguré le 3 février 2023, les indicateurs régionaux sont bons, s’est félicité Yann Bubien, directeur général de l’agence régionale de santé Paca, très mobilisée sur ce thème.
Mais d’importants défis demeurent, à commencer par l’augmentation du nombre de spécialistes formés et des ressources et le renforcement de la formation des généralistes en matière de psychiatrie et d’addiction. « On a en France une sous-prescription d’antidépresseurs pour des gens qui en ont besoin et une surprescription d’anxiolytiques, illustre notamment le Dr Henry. Il ne faut pas hésiter à contacter le 3114, même quand on est médecin, pour un simple avis de confrères. »
(1) Témoignage recueilli dans le cadre du programme Papageno, en collaboration avec le collectif « Les Ulysses » qui veut faire entendre la voix de personnes concernées
(2) Association pour la prévention du suicide et mal-être des adolescents
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024