Quelle peut être la place du numérique en santé mentale ? Alors que la psychiatrie est en crise, le nombre de nouvelles applications ne cesse de se multiplier : de l'accompagnement de l'arrêt du tabac à la gestion du stress, en passant par les jeux virtuels pour lutter contre les phobies ou des outils d'aide au suivi des pathologies, sans parler des conseils bien-être.
« Le traitement médicamenteux n'est pas une finalité en soi : ce qui aide les patients, c'est le lien social, le fait de retrouver une activité. Et les applis peuvent aider à cela », considère la psychiatre Déborah Sebbane, directrice du Centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la recherche et la formation en santé mentale.
« Aujourd'hui, le numérique se retrouve dans le domaine du soin, du dossier patient, des outils de "self help", de la recherche d'informations sur internet. Il y a plus de 10 000 applis au monde », énumère-t-elle, notant « une volonté des tutelles très forte pour enclencher le numérique en santé ».
Ainsi, le gouvernement a lancé en octobre la stratégie d'accélération Santé numérique, dotée de 650 millions d'euros. Le secteur a commencé à se structurer. En janvier 2021, la région Île-de-France et la Fondation FondaMental avaient organisé le colloque « Psytech ». En mars 2022, le collectif MentalTech, qui regroupe sept start-up dans la santé mentale, s'est lancé avec la volonté de guider les utilisateurs dans une offre pléthorique. Et parfois déroutante.
Une chance
Face aux listes d'attente à rallonge avant d'obtenir un rendez-vous chez le psy, « il y a urgence à trouver de nouvelles solutions », explique la psychiatre Fanny Jacq, directrice santé mentale pour l'entreprise de téléconsultation Qare, à l'initiative du collectif.
Tout en se défendant de vouloir remplacer le soignant par des machines, « le numérique est une chance, l'idée est de déployer des solutions éthiques et de les mettre en avant », déclare la cofondatrice de l'appli de soutien psychologique Mon Sherpa, après avoir travaillé en 2017 au lancement d'une plateforme de visioconsultation pour la psychiatrie.
« Ces initiatives vont avoir de la valeur si elles s'inscrivent dans une approche globale », considère de son côté le Pr Antoine Tesnières, directeur général de Parisanté Campus, lieu qui vise à réunir dans la capitale divers acteurs de la recherche en santé, dont des start-up du secteur de la santé mentale.
Parmi les jeunes pousses hébergées, on trouve notamment ResilEyes Therapeutics, qui développe des solutions pour les victimes de stress post-traumatique. Son dirigeant, Yannick Trescos, se veut réaliste : « Le numérique ne résoudra pas tout, il est hors de question de remplacer un psychologue ou un professionnel de santé ». La start-up travaille sur des programmes thérapeutiques, adossés à du suivi plus classique, et vise à terme un remboursement par la Sécurité sociale.
Opacité sur la qualité
Ombre au tableau, la qualité des applis n'est pas toujours au rendez-vous. « Il y a une grosse opacité sur ce sujet, souligne Yannick Trescos. Peu d'applis ont une validité clinique ». Pour se démarquer, le dirigeant entend mener des essais cliniques dès cette année, au sein de son entreprise ResilEyes Therapeutics.
Se posent aussi des questions éthiques. Les applis peuvent-elles diagnostiquer, voire prévenir des troubles psychiques ? En effet, des recherches sont en cours sur le phénotypage numérique en santé mentale. L'objectif : que nos ordinateurs puissent déduire notre état mental présent et futur, à partir de nos clics sur le web, ou en utilisant les données relevées par nos objets connectés. Mais « qu'arrivera-t-il à quelqu’un dont les données suggèrent qu’il recevra un diagnostic de psychose à 90 % de certitude au cours des six prochains mois ? », interroge le professeur de psychiatrie allemand Gerhard Gründer sur le site Mind.
Enfin, demeure le problème de la confidentialité des données. Si les données de santé doivent être hébergées par un organisme dûment certifié, ce n'est pas le cas des données « émotionnelles », relève Yannick Trescos. Une question majeure, selon les spécialistes interrogés, qui plaident pour une meilleure information des patients usagers.
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