Le pilotage de précision des grossesses sous immunosuppresseurs

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Publié le 18/09/2025
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Le risque, pour le fœtus ou l’enfant, d’un traitement immunosuppresseur pendant la grossesse, doit être mis en balance avec celui induit par une maladie maternelle non traitée ou sous-traitée. Quelques médicaments sont absolument contre-indiqués, beaucoup d’autres peuvent être utilisés si nécessaire. Une concertation pluridisciplinaire est recommandée.

En France, 60 % des médicaments affichent un pictogramme dissuadant les femmes enceintes de les prendre

En France, 60 % des médicaments affichent un pictogramme dissuadant les femmes enceintes de les prendre
Crédit photo : PHANIE

Plus de 95 % des femmes enceintes consomment au moins un médicament. L’âge de la première grossesse avançant, les comorbidités sont plus fréquentes. En moyenne, quatre médicaments sont prescrits par grossesse ; sans oublier une automédication, non négligeable.

De plus, un tiers des grossesses ne sont pas planifiées, donc susceptibles d’être exposées par mégarde à des médicaments, notamment ceux ayant une longue demi-vie, tels les anticorps monoclonaux (quinze jours d’élimination plasmatique en moyenne). Le risque est donc réel.

Les recommandations Eular pour l’utilisation des médicaments antirhumatismaux pendant la période préconceptionnelle, la grossesse et l’allaitement ont récemment été actualisées, au vu des nouvelles données scientifiques (1). L’approche thérapeutique a évolué vers le concept de traitement ciblé, afin d’éviter l’impact négatif d’une maladie active sur la fonction reproductive et l’issue de la grossesse. La décision d’utiliser un médicament pendant la grossesse doit être prise en fonction du contexte clinique, des risques associés à chaque molécule et de l’âge gestationnel. Le conseil inclut les périodes précédant et suivant la grossesse. La prise en charge repose sur un bon contrôle de l’activité de la maladie tout en limitant la iatrogénie sur la fertilité et la grossesse.

Dans tous les cas, les femmes doivent bénéficier de conseils précoces et réguliers sur la santé reproductive et la nécessité d’ajuster les traitements à l’arrivée d’une grossesse.

L’erreur serait de tout interdire

Pr Fleur Cohen-Aubart

Éviter la perte de chance

« Il convient de faire une analyse rigoureuse de la balance bénéfice/risque pour chaque produit et pour chaque patiente. L’erreur serait de tout interdire. Il faut soigner les femmes enceintes malades et leur éviter une perte de chance. Le traitement immunosuppresseur, avant, pendant et après la grossesse, doit viser la rémission ou une faible activité de la maladie, tout en protégeant au maximum l’embryon, le fœtus et le nouveau-né », explique la Pr Fleur Cohen-Aubart (Hôpital Pitié-Salpêtrière, AP-HP). Il est indispensable, dans ce cas, de bien différencier médicament « à risque » et contre-indiqué.

L’évaluation du risque repose sur la littérature (cas, séries, études épidémiologiques prospectives ou rétrospectives), registres, données animales… En gardant à l’esprit que la plus dangereuse des expositions ne provoque jamais 100 % de malformations (au pire de 20 à 30 %). Par ailleurs, certains médicaments disposent de nombreuses données, alors qu’elles sont très limitées pour d’autres, ce qui est primordial à prendre en compte pour bien évaluer le risque.

Des pictogrammes source de confusions

Aujourd’hui, 60 % des médicaments disponibles en France sont concernés par l’apposition d’un pictogramme relatif à la grossesse : un tiers indique « Interdit (ne pas utiliser) » et deux tiers « Danger (ne pas utiliser sauf en l’absence d’alternative thérapeutique) ».

« Cela peut créer de la confusion, chez les patientes comme chez les médecins, voire empêcher la prescription de traitements indispensables, déplore la Pr Cohen-Aubart (Paris). Beaucoup de médicaments courants peuvent être utilisés pendant la grossesse, sans complication. Il est recommandé de se référer au Crat, une base de données régulièrement mise à jour, plutôt qu’au Vidal ! »

À noter que la plupart des médicaments qui ne sont pas contre-indiqués pendant la grossesse sont aussi utilisables pendant l’allaitement.

Des traitements ciblés

En pratique, le cyclophosphamide, le mycophénolate et le méthotrexate sont tératogènes, et doivent être arrêtés avant la grossesse.

Les données actuelles indiquent que les traitements de fond synthétiques tels que l’hydroxychloroquine, l’azathioprine, la cyclosporine ou le tacrolimus sont compatibles avec la gestation. Il appartient alors au praticien d’expliquer à la patiente le bénéfice de la prescription, malgré le risque théorique affiché sur le RCP (lire encadré), notamment avec l’hydroxychloroquine au cours du lupus. « Quant à l’azathioprine, s’il n’existe pas de risque de tératogénicité, elle accroît les accouchements prématurés et les retards de croissance fœtale lorsqu’elle est poursuivie pendant la grossesse », souligne la Pr Cohen-Aubart.

Restrictions pour les corticoïdes

Selon les dernières recommandations de l’Eular, les AINS, la prednisone et la prednisolone peuvent être envisagés pendant la grossesse, si nécessaire, pour contrôler l’activité de la maladie. « Des données abondantes montrent que les corticoïdes ne présentent pas de tératogénicité. Ils peuvent donc être utilisés, en raison de leur conversion en formes relativement inactives par la 11b-hydroxystéroïde déshydrogénase, présente en abondance dans le placenta humain », explique la spécialiste.

La prednisone et la prednisolone doivent cependant être réduites progressivement, jusqu’à une dose d’entretien ≤ 5 mg/j et si possible arrêtées. En cas de traitement prolongé ou de doses plus élevées, il existe des risques d’hypertension, de prééclampsie, de prise de poids, d’hyperglycémie, d’immunosuppression, d’ulcération gastro-intestinale, de rupture prématurée des membranes et de retard de croissance intra-utérin.

L’ajout ou le remplacement de médicaments antirhumatismaux synthétiques (csDMARDs) ou biologiques (bDMARDs) compatibles avec la grossesse doit alors être envisagé pour contrôler la maladie.

De même, les AINS ne doivent être utilisés que de manière précautionneuse dès la préconception et pendant la grossesse. Ils doivent être arrêtés après vingt-huit semaines de gestation.

Feu vert si besoin pour les anti-TNF

En ce qui concerne les biothérapies, l’efficacité individuelle du médicament et le transfert transplacentaire doivent être pris en considération. Les anti-TNF sont tout à fait compatibles avec la grossesse : les données sont de plus en plus nombreuses et rassurantes. « Tous les anti-TNF (adalimumab, certolizumab, etanercept, golimumab, infliximab) peuvent être utilisés pendant la grossesse. Le syndrome fœtal Vacterl, suspecté au début, n’a pas été confirmé par les grands essais observationnels ultérieurs », relate la Pr Cohen-Aubart. L’utilisation des anti-TNF au 3e trimestre est discutée au cas par cas. Seul le certolizumab (sans portion Fc) ne traverse pas le placenta.

D’autres biologiques ne peuvent être utilisés que si nécessaire : abatacept, anakinra, belimumab, canakinumab, ixekizumab, rituximab, sarilumab, sécukinumab, tocilizumab et ustekinumab.

Les anti-CD20 (rituximab, ocrelizumab, ofatumumab) doivent être arrêtés six à douze mois avant la grossesse.

Pour les autres biothérapies, les données de sécurité sont insuffisantes. Elles doivent être évitées pendant la grossesse jusqu’à ce que des preuves supplémentaires soient disponibles : apremilast, JAKi, bosentan, avacopan, voclosporine, leflunomide (l’interrompre trois mois et demi avant la grossesse). « Il est très important de planifier les grossesses et de déclarer les grossesses sous traitement, même quand tout se passe bien, afin d’accumuler les données », insiste la spécialiste.

Communication de la Pr Fleur Cohen-Aubart (Hôpital Pitié-Salpêtrière, APHP)
(1) Rüegg L. et al. 2025 Apr 15:S0003-4967(25)00814-3

Dr Christine Fallet

Source : Le Quotidien du Médecin