En 2023, 11 658 nouveaux cas de cancer primitif du foie, dont 90 % de carcinomes hépatocellulaires (CHC) ont été recensés en France. Soit une incidence stable chez les hommes, mais en hausse de 2,2 % par an chez les femmes, portée par la progression de l’obésité et du diabète. « La survie médiane a gagné près de trois mois en dix ans, remarque la Pr Charlotte Costentin (CHU Grenoble Alpes), co-coordinatrice du document, avec les Prs Éric Assenat et Jean-Frédéric Blanc, mais avec seulement 18 % de patients vivants à cinq ans. »
L’immunothérapie a rebattu les cartes
Compte tenu de ses enjeux diagnostiques, pronostiques et théranostiques, une analyse histologique est recommandée devant toute suspicion de tumeur maligne hépatique. Alors qu’elle est indispensable en l’absence de cirrhose, en contexte cirrhotique, des critères radiologiques non invasifs (sur un scanner injecté multiphasique ou une IRM hépatique multiphasique avec injection de gadolinium extracellulaire) peuvent suffire au diagnostic. « Avec la diversification des traitements disponibles, pour le CHC mais aussi le cholangiocarcinome, le besoin de confirmation histologique prend tout son sens lorsqu’une chimiothérapie ou une immunothérapie est envisagée », commente la Pr Charlotte Costentin.
Les progrès récents en immunothérapie — inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (anti-PD1, anti-PDL1) — disponibles depuis 2021, ont en effet profondément modifié les perspectives. Plusieurs associations thérapeutiques sont désormais disponibles et induisent des réponses objectives jusqu’à présent inédites à ce stade de la maladie.
« Certains patients, initialement considérés comme non éligibles à un traitement curatif, peuvent désormais accéder à une résection hépatique, une destruction percutanée, une radiothérapie externe stéréotaxique voire une transplantation, après une réponse favorable au traitement systémique, signale la Pr Costentin. Ce changement de paradigme impose une réévaluation systématique après chaque cycle d’immunothérapie. Historiquement, la stratégie suivait une trajectoire descendante : si le patient n’était pas éligible à un traitement curatif, il recevait un traitement locorégional de radiologie interventionnelle, puis un traitement systémique, avant d’épuiser les options. »
Une réévaluation est nécessaire après chaque cycle d’immunothérapie
Pr Charlotte Costentin
Des options thérapeutiques de plus en plus nombreuses
En pratique, un traitement systémique de première ligne s’adresse aux patients atteints de CHC avancé (avec extension vasculaire et/ou extra-hépatique), présentant une fonction hépatique préservée (Child-Pugh A) et un bon état général (échelle Ecog-PS 0 ou 1). Il concerne également les patients non éligibles à un traitement curatif, et non plus à un traitement intra-artériel (chimioembolisation, radiothérapie interne sélective), ou en cas d’échec de ce dernier, sous réserve d’une fonction hépatique conservée et d’un bon état général.
À date, la recommandation porte sur l’une des trois associations à base d’immunothérapie en première ligne : atezolizumab-bevacizumab, durvalumab-tremelimumab ou nivolumab-ipilimumab, sans biomarqueur validé pour choisir une option en particulier. Les situations de contre-indications sont rares. Dans ce cas, le choix se porte sur les inhibiteurs de tyrosine kinase (sorafenib ou lenvatinib, avec la limite en France que ce dernier n’est pas remboursé dans l’indication CHC).
« Ce qui a profondément changé ces toutes dernières années, insiste la Pr Costentin, c’est la situation des patients atteints d’un CHC à un stade avancé. Autrefois, avec le sorafenib, la médiane de survie était de dix à douze mois, avec très peu de réponses objectives et, par conséquent, peu d’espoir d’accéder ensuite à une option plus efficace. Avec l’arrivée de l’immunothérapie, grâce à un taux de réponse objective situé entre 20 et 30 %, certains patients initialement classés comme stade avancé peuvent désormais être reconsidérés comme potentiellement éligibles à des traitements curatifs, avec une amélioration significative de leur espérance de vie. »
Dépistage ciblé chez les cirrhotiques
Un dépistage du CHC tous les six mois est recommandé chez les patients atteints de cirrhose (Child-Pugh A, B, ou C en attente de greffe), à condition qu’aucune comorbidité sévère ne compromette leur survie à court terme. Il utilise l’échographie-Doppler hépatique, idéalement associée à un dosage de l’alpha-fœtoprotéine. Si l’échographie est de qualité insuffisante (ce qui est fréquent chez les patients en surpoids), une IRM ou un scanner multiphasique est préconisé.
Hors cirrhose, un dépistage périodique est aussi conseillé chez les patients caucasiens porteurs du VHB (score PAGE-B ≥ 10, antécédent familial de CHC au 1er degré).
Le dépistage systématique du CHC n’est probablement pas justifié chez les patients atteints de stéatopathie métabolique sans cirrhose. Mais une évaluation au cas par cas tenant compte des cofacteurs de risque de CHC (diabète, consommation de tabac, consommation d’alcool) est néanmoins souhaitable en cas de fibrose hépatique avancée (F3).
Entretien avec la Pr Charlotte Costentin (Grenoble)
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