LE QUOTIDIEN : Pourquoi ce thème de la première ligne s’est-il imposé pour ce 16e congrès de la SFT ?
Dr JEAN-LOUP DUROS : Le congrès de la SFT (CSFT) se déroule cette année à Dijon, en Bourgogne-Franche-Comté. C’est donc à notre région qu’il incombait de réfléchir à la thématique de cet événement. Le sujet de la première ligne s’est imposé à nous car c’est notre spécialité, au sein du réseau Tab’agir. Ce réseau monothématique « tabac », multipartenaires, fédère de nombreux professionnels de première ligne dans une approche globale à l’arrêt du tabac. Cette expérience nous confirme chaque jour que la première ligne permet d’être au plus proche des patients et constitue une réponse pertinente pour les aider à arrêter de fumer.
Comment ce fil rouge se décline-t-il au CSFT ?
La première ligne est un fil rouge. Bien entendu, d’autres volets de la tabacologie sont au programme du CSFT. Cela dit, afin de développer ce thème, des professionnels de santé impliqués sur cette question vont présenter leurs initiatives. Il sera notamment intéressant de découvrir ce qui se fait en matière de prévention primaire. En Saône-et-Loire, des actions de prévention sont menées sur le soutien aux familles et à la parentalité. Objectif ? Intervenir auprès des parents pour que leurs enfants ne commencent pas le tabac. Dans l’Yonne et la Nièvre, la prévention par les pairs est à l’honneur. Et, à La Réunion, le dispositif Lib’sans tabac permet de former infirmiers diplômés d’état (IDE), kinésithérapeutes et dentistes à la prescription.
Lors du congrès, vous allez présenter Tab’agir. Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce réseau ?
Au départ, Tab’agir est une association créée par différents partenaires, en 1999. Quatre médecins tabacologues et un pneumologue résidant à Auxerre sont à l’origine du projet. Dès 2003, notre équipe se structure et nos missions se précisent, ce qui va nous permettre de devenir un véritable réseau, mandaté par l’Agence régionale de santé (ARS) pour réunir des professionnels de santé formés à la tabacologie.
Nous formons des professionnels de premiers recours prescripteurs (médecins généralistes, infirmiers, infirmiers Asalée, sages-femmes) et de deuxième ligne : diététiciens, psychologues formés aux outils de thérapie cognitivocomportementale (TCC). La formation en tabacologie se déroule sur deux jours et elle est suivie d’une formation continue semestrielle départementale. Nous n’avons pas vocation à nous substituer aux spécialistes (pneumologues, psychiatres, addictologues). L’objectif est de pouvoir proposer une réponse non complexe pour une « tabacologie du quotidien ». Notre programme s’appuie sur des critères « qualité » et sur les recommandations de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM) et de la Haute autorité de santé (HAS), avec un double objectif : l’exploitation du conseil minimal et une aide à l’arrêt.
Concrètement, quel est l’impact de l’exploitation du conseil minimal ?
Lorsqu’un professionnel de premier recours évoque le sujet du tabac avec ses patients fumeurs, 65 % d’entre eux se disent sensibilisés et 2,5 % arrêtent de fumer dans l’année qui suit. 2,5 %, en santé publique, ce n’est pas rien. C’est la preuve que la première ligne est bien placée en termes de rentabilité et d’efficacité pour l’arrêt du tabac car il s’agit de seulement trente secondes, qui peuvent donner des résultats, à condition d’être un minimum formé. D’autres diront que le chiffre de 2,5 % n’est pas très élevé. Cependant, la première ligne étant composée de nombreux professionnels, cela peut vite augmenter. La formation distribuée permet d’aller plus loin dans l’acquisition des compétences, afin de réaliser des consultations.
Votre mission consiste donc à former des partenaires multiples pour proposer une réponse globale aux patients sur le territoire. D’ailleurs, ils sont invités à composer un seul et même numéro.
Le réseau propose en effet un numéro unique. Chaque personne qui appelle en Bourgogne-Franche-Comté peut être orientée vers un professionnel formé à moins de 30 kilomètres de chez elle. Ces éléments constituent notre force : une bonne couverture territoriale, un médecin coordonnateur, des partenaires, un réseau qui ne cesse de se renforcer. Tab’agir rassemble aujourd’hui 400 professionnels actifs formés, dont 110 médecins généralistes, 98 infirmiers Asalée, 49 sages-femmes, 65 diététiciens, 62 psychologues formés TCC, et un certain nombre de salariés partenaires. Notre concept concerne la médecine ambulatoire mais nous créons aussi des passerelles avec des centres, pour gagner en efficacité et privilégier la logique partenariale. Au sein des maisons de santé pluridisciplinaires, on aimerait pouvoir afficher le panneau « Ici, on vous aide à arrêter de fumer », une carotte verte hypothétique (à l’inverse de la carotte rouge des cigarettiers), qui voudrait dire que tous les professionnels du site (médecins, infirmiers, etc.) peuvent donner une réponse aux patients fumeurs qui le souhaitent.
Avez-vous des données chiffrées sur les résultats du réseau ?
Depuis 2005, près de 8 500 personnes ont été reçues par Tab’agir. Parmi elles, 5 085 ont vu un seul prescripteur de premier recours : un an après, 17 % avaient arrêté de fumer. Même si ce n’est pas colossal, cela reste plus important que le résultat observé pour les tentatives « isolées » : lorsqu’un fumeur essaye d’arrêter de fumer sans aucune aide, le taux de réussite un an après est de 3 à 5 %. Nous constatons par ailleurs de très bons résultats quand la consultation classique est assortie d’une consultation en diététique. Dans le détail, 565 personnes ont vu un prescripteur et une diététicienne : il y avait 40,7 % d’arrêts à 6 mois et 33,8 % à 12 mois. Enfin, une consultation avec un psychologue formé TCC augmente aussi les chances d’arrêt. Dans tous les cas, l’exemple de Tab’agir montre bien qu’avec la première ligne, il y a tout un champ d’action pour être efficace dans l’accompagnement à l’arrêt du tabac. Si chaque acteur du monde de la santé était formé pour faire passer un simple message d’arrêt — une « thérapie cognitive a minima » —, cela ferait la différence en santé publique.
Exergue 1 : « Nous n’avons pas vocation à nous substituer aux spécialistes »
Exergue 2 : Si chaque acteur du monde de la santé était formé pour faire passer un simple message d’arrêt, cela ferait la différence en santé publique
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