L’existence des lieux de santé sans tabac (LSST) s’inscrit dans une démarche internationale. Elle découle de la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac, adoptée en 2003, qui encourage les États à développer des environnements entièrement sans tabac (lire encadré). En France, cette orientation a été reprise dans les différents plans nationaux de lutte contre le tabagisme, dont le plan 2023-2027, qui insiste sur le soutien et la promotion des espaces, lieux et campus santé sans tabac. « Le principe est simple, explique le Pr Vincent Durlach, vice-président de la Société francophone de tabacologie (SFT) : impliquer à la fois les professionnels de santé (médecins, tabacologues, infirmiers, sages-femmes, kinésithérapeutes, pharmaciens, chirurgiens-dentistes), tous pouvant désormais prescrire des substituts nicotiniques, et les acteurs de la formation, avec les campus santé sans tabac. »
Un travail en réseaux
Un réseau international de support aux lieux de santé sans tabac (LSST), le Global network for tobacco-free healthcare services (GNTH), contribue à ce que les lieux de soins soient exemplaires vis-à-vis de la prise en charge de l’addiction au tabac. « La France reste en retrait par rapport à d’autres pays, pointe le Pr Durlach. Les pays nord-américains, l’Australie ou encore la Catalogne, sont les plus avancés dans ce domaine. »
Le GNTH fédère des réseaux nationaux, comme le Respadd pour la France, qui sont le relai des bonnes pratiques internationales en matière de stratégie des LSST. Successeur du réseau « Hôpital sans tabac », le Respadd coordonne l’ensemble du dispositif dans les établissements de santé. Impossible de développer un LSST sans l’appui de ce réseau, qui fournit un accompagnement méthodologique et des outils pédagogiques.
Soigner, prévenir, accompagner
La philosophie des LSST repose sur une exigence de cohérence et de bon sens. « Dans un lieu de soins où l’on prend en charge chaque jour des patients atteints de pathologies liées au tabac, ou dont l’état de santé est aggravé par le tabagisme, il serait paradoxal que cette consommation délétère reste visible ou tolérée », souligne le Pr Durlach. La démarche LSST vise donc à aligner les pratiques avec la mission de soin et de prévention. Elle repose sur deux piliers : l’exemplarité (les soignants doivent incarner la promotion de la santé) et la pédagogie (aider patients et professionnels à sortir de la dépendance). L’objectif est de faire disparaître le tabac des lieux de soins, non seulement à l’intérieur des bâtiments — où il est désormais interdit — mais aussi dans les espaces extérieurs.
En ce qui concerne les campus santé sans tabac, la philosophie est identique, explique le spécialiste : « elle consiste à sensibiliser, dès la formation les futurs professionnels de santé à l’importance de l’exemplarité et de la prévention. » Le modèle historique français des campus santé sans tabac est celui de l’École des hautes études en santé publique (EHESP), à Rennes. La Pr Karine Gallopel-Morvan, spécialiste de marketing social, y a lancé le premier projet de ce type, en 1998. Il s’est structuré en un programme, ProDevCampus, qui accompagne la mise en place des campus santé sans tabac partout en France ; il vient tout juste d’être reconduit, ce qui permet d’espérer une montée en charge.
Faciliter les démarches
Cependant, aujourd’hui, mettre en place un Lieu de santé sans tabac reste complexe. « Sans le soutien explicite de la direction générale d’un hôpital, ou du doyen pour un campus santé, les démarches restent symboliques et énergivores », souligne le Pr Durlach. Les porteurs de projets doivent convaincre, négocier, et souvent se heurtent à des résistances institutionnelles. « C’est pour contrer cette inertie que nous avons créé un groupe de travail dédié aux LSST à la SFT début 2025, explique-t-il. L’absence de cadre réglementaire national reste un frein majeur : aucun texte n’interdit formellement de fumer dans les espaces extérieurs des hôpitaux. Ce vide juridique crée une incohérence : les plages, parcs ou bibliothèques publiques font désormais l’objet d’arrêtés d’interdiction de fumer, mais pas les hôpitaux, où l’on soigne justement les conséquences du tabagisme. »
Nous voulons obtenir un cadre réglementaire clair avant l’été 2026
Pr Vincent Durlach
Lors d’une réunion au ministère de la Santé à l’automne 2024, « nous avons alerté la DGS sur cette contradiction. Il n’est pas possible de se voir opposer la “liberté des fumeurs”, regrette-t-il. Cette position illustre la frilosité persistante des décideurs, qui hésitent à imposer des règles claires au nom d’une conception mal comprise de la liberté individuelle, quand il s’agit d’addiction pour la majorité des consommateurs de tabac. Tant qu’aucun texte national n’établira cette règle, les initiatives locales resteront fragiles. Le groupe de travail de la SFT a donc pour objectif d’obtenir, d’ici l’été 2026, un cadre réglementaire clair permettant de généraliser les LSST. » Une condition indispensable pour que ces espaces deviennent réellement cohérents avec la mission de santé publique qu’ils incarnent.
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