Effroi et émoi de toute une profession après le drame de Pouzauges qui a coûté la vie à un généraliste et à sa famille. Même s’il est difficile d’en tirer des conclusions définitives, la piste de l’épuisement professionnel a été encore une fois évoquée. Dans ce contexte, il nous a semblé utile de rouvrir ce dossier. Face au burn-out – tous les spécialistes le soulignent – il faut savoir dire stop à temps. Des initiatives se mettent en place pour aider les confrères. Notre dossier passe en revue conseils, adresses et contacts pour les praticiens.
Dimanche 30 mai, six corps, ceux d’un couple, le Dr Emmanuel Bécaud, un médecin généraliste de 34 ans, de son épouse, et de leurs quatre enfants, une fillette de 9 ans, et quatre garçons de 3, 5, 7 et 9 ans, sont découverts par le grand-père maternel à leur domicile, à Pouzauges (Vendée). Corps tuméfiés, coups de couteau… La scène des meurtres laisse percevoir la violence des actes commis sur le corps des victimes. Rapidement, les enquêteurs, emmenés par le procureur de la République de La Roche-sur-Yon, privilégient la thèse du drame familial. Le mari, retrouvé pendu dans son salon, serait à l’origine des cinq autres morts. Ce dernier avait « depuis quelques jours ou quelques semaines, affiché un certain état de fatigue ou de tension, peut-être lié à un stress professionnel important », déclarait, sur la foi des premiers témoignages, le Procureur Xavier Pavageau, au lendemain du drame.
À Pouzauges, dix jours après le drame, l’incompréhension et la stupeur sont toujours présentes ; le silence, de mise. Mais vaille que vaille, les médecins généralistes de la commune, bien qu’eux-mêmes sous le choc, commencent à s’organiser pour répondre aux besoins des patients du Dr Bécaud et le maire de la commune de Montournais, la commune voisine où exerçait le Dr Bécaud, s’affaire à trouver remplaçant (voir article en page suivante).
Un numéro vert "de plus en plus sollicité"
L’hypothèse du burn-out suivie par les enquêteurs n’explique, sans doute, pas tout de la tragédie du 30 mai. Comme le rappelle le Dr Éric Galam, médecin coordonnateur de l’Association d’aide professionnelle aux médecins libéraux (AAPML), « il ne faut pas tout mettre à la sauce du burn-out et de l’épuisement professionnel ». Il n’empêche, le praticien reconnaît que son association, qui a mis sur pied, entre autres, un numéro vert accessible 24h sur 24 et 7 jours sur 7 « est de plus en plus sollicitée » par des praticiens qui se sentent dépassés par les conditions d’exercice de leur métier. Elle reçoit en moyenne, depuis sa création en 2005, quelque 600 appels chaque année (voir entretien en page suivante).
Car on le sait, les médecins, plus que toute autre profession, négligent leur santé. Ce constat a été mis en évidence l’année dernière lors d’une enquête, inédite alors, réalisée par l’Ordre de la Seine maritime et de l’Eure auprès de plus de 550 médecins libéraux (dont 65 % de médecins généralistes). Un médecin sur deux avouait avoir des périodes d’épuisement professionnel (voir Le Généraliste n° 2475). « Un soignant éprouve d’une part, une grande difficulté à s’admettre lui-même malade, et d’autre part cette réalité est aggravée par le fait qu’il doit continuer à gérer son activité libérale, » poursuit le Dr Galam. En effet, épuisés ou non, les libéraux ont un cabinet à faire tourner…
Enrayer le cercle vicieux
Des solutions, imaginées par des médecins eux-mêmes commencent, malgré tout à se mettre sur pied pour enrayer ce cercle vicieux. C’est ce que propose l’Association pour les soins aux soignants, emmenée par le Dr Yves Léopold. « L’APSS a été montée, en partenariat avec la Carmf, le conseil de l’Ordre et le groupe Pasteur Mutualité », explique ce médecin généraliste avignonnais. L’idée de départ est simple. « Un soignant qui souffre de burn-out ou de dépression doit pouvoir s’arrêter et être traité à temps. Sinon, il se retrouve rapidement victime de ce que j’appelle la double peine ».
Imaginons ainsi un généraliste, travaillant 60 heures hebdomadaires. Un événement familial douloureux survient, par exemple, sa femme le quitte. Il continue à travailler, de plus en plus pour s’occuper, et se met à boire. D’abord un peu, puis de plus en plus. A côté de son alcoolisation progressive, il s’auto-médique pour tenir le coup. Les patients, à un moment donné, s’aperçoivent que le « docteur n’est pas comme d’habitude ». Soit qu’il devienne agressif envers ces derniers, soit, pire, qu’il commette une erreur de diagnostic, entraînant une plainte devant le conseil de l’Ordre. La sentence tombe, 90 jours de suspension. « Ce qui équivaut désormais, en plus, à une mort sociale », conclut le Dr Léopold.
Structure de soins anonyme en Ile-de-France
Ce que propose l’APSS ? Des structures, hospitalières, anonymes, avec des professionnels spécialement formés aux soins aux soignants. Et qui obéissent à la première règle : l’anonymat garanti aux patients.
Quatre établissements existent aujourd’hui. L’une en Ile-de-France la plus importante, compte une vingtaine de lits. Les trois autres, dans le sud-est, le sud-ouest et l’ouest de l’Hexagone sont des unités de 7 à 10 lits. « Les praticiens s’engagent en signant un contrat thérapeutique écrit. Je n’ai pas le culte du secret, explique le Dr Léopold, mais si les lieux de soins restent inconnus, cela offre l’assurance aux médecins qui y sont traités de ne pas risquer de tomber sur un de leurs patients ou sur un confrère en sortant de la clinique ». Autre avantage, le soignant, au sortir de l’établissement bénéficie d’un suivi thérapeutique.
Enfin, il est un dernier aspect du dispositif qui réjouit le Dr Léopold : l’attribution immédiate (pour peu que le dossier soit accepté par la Carmf) des indemnités journalières au praticien qui accepte d’être soigné. « Je me suis battu pour y parvenir, explique le praticien, par ailleurs vice-président de la Carmf. Les collègues m’ayant reproché de créer un statut privilégié pour les soignants en détresse psychique par rapport à ceux qui sont atteints d’un cancer par exemple ». Mais le généraliste d’Avignon rappelle que les invalidités pour motif psychiatrique représentent le troisième motif d’entrée dans les arrêts de travail de moins de trois ans à la Carmf. « Et qu’un médecin malade, lui, va se soigner, alors qu’un médecin souffrant de burn-out ou atteint d’alcoolisme va avoir pour premier réflexe de continuer à travailler malgré tout ». Bref, la caisse de retraite fait le pari, financier, que la prise en charge en amont sera aussi, à terme, source d’économies, en tout cas sur le poste des invalidités.
Bien sûr, l’idéal serait de parvenir à trouver également un remplaçant au généraliste qui entre dans cette démarche de soins. « Des choses se mettent en place petit à petit, notamment à travers certains conseils de l’Ordre, mais un praticien qui présente déjà des symptômes de burn-out avéré (épuisement émotionnel, perte d’accomplissement personnel, dépersonnalisation du patient perçu non plus comme un être humain mais comme une maladie) n’a pas comme réflexe immédiat de faire directement appel à l’institution ordinale ». La litote se comprend aisément. Mais elle n’empêche pas l’Ordre d’être présent et d’intervenir, parfois financièrement comme partenaire.
Ligne directe et consultations à Toulouse
Comme à Toulouse où les locaux de l’association MOTS (*) pour Médecine Organisation Travail Santé, ont ouverts leur porte voici un mois. « Cela nous a pris deux ans de réflexion pour savoir quel moyens de prévention nous pouvions offrir aux médecins atteints en termes de burn-out », se souvient le Dr Jean-Jacques Ornières, médecin généraliste en Haute-Garonne. A l’arrivée, le choix d’un service ergonomique et socio-professionnel a été préféré à celui de l’approche psycho-comportementale. « 70 % à 80 % des erreurs médicales dues à des cas d’épuisement professionnel, sont liées à des problèmes d’organisation du travail », analyse le fondateur de MOTS. Depuis un mois, les praticiens peuvent contacter la ligne directe (*), confidentialité et neutralité assurées, et demander une consultation.
Ils recevront, dans un premier temps, un guide en quatre chapitres. Le premier est un questionnaire d’auto-évaluation, validé, qui leur permet de mesurer leur degré de burn-out ; le deuxième ausculte l’organisation de leur cabinet ; le troisième traite des questions de santé et de prévoyance ; et le dernier les conduit à décrire la manière dont ils vivent la relation médecin-patient.
Ensuite, si le médecin le souhaite, il prend rendez-vous avec un confrère spécialisé tant dans le domaine ergonomique que psycho-social. Les problèmes peuvent être résolus par le seul biais de l’organisation du travail ? Le praticien bénéficiera d’une assistance dans la recherche de ressources externes : secrétaire, confrère remplaçant, juriste. Une orientation médicale est-elle demandée ? Le professionnel de santé sera redirigé vers la ligne de conseil psychologique de l’AAPML ou vers l’AAPS pour un médical.
« Depuis quelques années, nous sommes en train de mettre sur pied un véritable dispositif de prise en charge de la prévention au traitement, pour les confrères atteints de burn-out. Il souffre, pour l’heure d’un manque de notoriété », expliquent en substance les Drs Léopold, Galam et Ornières. « Diffusez les numéros, les contacts, pour que les soignants sachent vers qui se tourner, que des réponses existent. Ce n’est que le début, même si la pérennisation de ce que nous mettons sur pied, et le développement d’autres structures vont aussi désormais dépendre des Agences régionales de santé »...
• Association d’aide professionnelle aux médecins libéraux 0826 004 580 (12cts d’euros par mn). H24 7J/7.
• Médecine organisation travail santé (MOTS) tel : (j’ai l’info dans l’A-M)