À 20h28, jeudi 8 février, la nomination de Frédéric Valletoux à la tête du ministère de la Santé tombe. Ébruitée plus d’une heure avant par la presse, la nouvelle arrive aux oreilles des syndicats de médecins libéraux, qui sortent de quatre heures de négociations conventionnelles. La Dr Sophie Bauer n’en revient pas : « C’est catastrophique », confie-t-elle au Quotidien en quittant les locaux de l’Assurance-maladie.
La réaction à chaud de la présidente du SML est à l’image de la palanquée de communiqués de presse et de réactions sur les réseaux sociaux qui ont suivi l’annonce gouvernementale, du moins venant de la médecine de ville. « Le président de la République choisit de déclarer la guerre à la médecine libérale », jette le Dr Franck Devulder (CSMF) ; « Sans faire de mauvais procès […], il est permis de se demander : à quoi joue Gabriel Attal, à quoi joue Emmanuel Macron ? » questionne le Dr Jérôme Marty (UFML-S). « Le déconventionnement va venir », menace le Dr Jean-Paul Hamon (FMF), mécontent de la nomination d’un homme « aux méninges bloquées sur le prétendu individualisme des médecins libéraux ».
Spécialiste de la proposition modérément irritante
Mais le cerveau de Frédéric Valletoux est-il réellement anti-médecine de ville ? C’est vrai : l’ancien président de la Fédération hospitalière de France (FHF) n’a jamais été tendre avec le secteur, même s’il a poli son discours avec le temps. C’est un spécialiste de la proposition modérément irritante. Une pique, une caresse. Une attaque, un compliment. Ses discours d’inauguration du congrès SantExpo (ex-Paris Healthcare Week, ex-Hôpital Expo) en sont truffés. « En relançant le débat sur la liberté d’installation, la FHF n’entend pas s’en prendre aux médecins libéraux. Bien au contraire » (28 mai 2013) ; « Nous avons fait les groupements hospitaliers de territoire qui étaient obligatoires, il n'y a aucune raison que nos amis libéraux ne réussissent pas à se structurer brillamment autour des communautés professionnelles territoriales de santé » (21 mai 2019) ; « Il y a les 40 % de médecins généralistes qui participent aux gardes […], 60 % qui ne participent pas aux gardes. Évoquer cet état de fait irrite parfois, mais pourquoi ? Dire que nous devons avoir une réflexion collective sur la participation aux gardes et sur la reconnaissance qui va avec, sur la question du non programmé en ville, est une évidence » (17 mai 2022).
Les médecins et lui, « une vieille histoire »
L’ancien maire de Fontainebleau est bien trop fin politique pour ignorer que chacune de ses déclarations a certes l’inconvénient d’indisposer la médecine de ville, mais également l’avantage d’attirer à lui la lumière médiatique. « La profession et moi, c'est une vieille histoire, confessait-il au Quotidien en octobre 2023. Ça ne me dérange pas. Les médecins comprendront un jour que je ne suis pas l’ennemi. »
Et de fait, entre ses premières prises de position très tranchées en tant que représentant des hôpitaux publics et celles, plus récentes, en sa qualité de député Horizons, Frédéric Valletoux a modulé de façon notable son discours sur la médecine libérale, qu’il souhaite « davantage » impliquée dans l’organisation du système de santé mais sans forcément subir de nouvelles contraintes imposées.
Il existe une revanche une constante chez lui : la volonté de dépasser les frontières tracées entre la ville et l’hôpital, de casser les silos. « Je veux faire partager ma conviction profonde de la nécessité de créer un partenariat solide, évident et de bon sens entre les hospitaliers et les médecins de ville, […] L'hôpital a besoin des médecins libéraux comme eux-mêmes ont besoin de l'engagement, à leurs côtés, des médecins hospitaliers. Les oppositions ont vécu et sont stériles. » C’était dans l’une de ses premières adresses aux libéraux, le 10 avril 2012, dans les colonnes du Quotidien.
Décalage
Au final, ce sont sans doute davantage les syndicats plutôt que les médecins de terrain qui crispent Frédéric Valletoux. Au Quotidien, il confiait récemment que la radicalisation de certains leaders syndicaux sur les fondamentaux de la médecine libérale (volontariat des gardes, liberté d’installation, travail uniquement entre médecins) ne répondait ni aux attentes sociétales, ni à celles des jeunes générations de soignants. « J’entends des généralistes qui se demandent : “quelle est notre place dans le système de santé ?” C’est un vrai sujet, expliquait-il au Généraliste en mai 2023. Mais ils ne sont pas aidés par leurs représentants qui n’ont pas toujours un discours qui éclaire l’avenir. » Et d’ajouter : « La question de la rémunération de la consultation aurait dû être posée depuis longtemps, mais je ne suis pas ministre de la Santé ». C’est désormais chose faite.
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