Un rapport Charges et produits « plus structurel et plus offensif sur le principe de rente économique » : c’est ce que le directeur général de la Cnam Thomas Fatôme a présenté à la presse mardi 24 juin. Cette année, cet épais document qui concentre les pistes d’économies sur la santé que l’Assurance-maladie met à la disposition des pouvoirs publics pour l’année suivante a été élaboré pour la première fois en lien direct avec le conseil de l’Uncam, qui rendra son avis le 3 juillet sur l’ensemble des propositions de la Cnam.
Il faut dire que l’Assurance-maladie fait face à une augmentation « significative » de son déficit, désormais « à un niveau inédit » depuis la crise sanitaire, a admis le DG. En 2025, le déficit global de l’Assurance maladie atteint 16 milliards d’euros, et le risque est d’aboutir à 41 milliards d’euros en 2030 si rien n’est fait…
Alors que le comité d’alerte a identifié un « risque sérieux » de dérapage des dépenses maladie en 2025, la caisse propose un plan d’économies sur cinq ans, structuré en 60 propositions et dix chantiers, afin « d’arrêter cette mécanique d’augmentation annuelle du déficit et avec lui d’augmentation de la dette », a expliqué Thomas Fatôme.
L’exercice 2026 est la première étape de ce plan. Pour cette seule année, la Cnam vise un effort « inédit » de 3,9 milliards d’euros, soit plus du double de l’effort visé pour 2025 (1,56 milliard). Si le patron de la Cnam appelle à une mobilisation générale autour de trois objectifs (prévention, coordination des soins et « juste soin au juste coût »), sa stratégie générale reste inchangée pour les médecins. Au menu : des efforts sur l’efficience et la pertinence des soins, sur la prescription d’arrêts de travail au regard de la forte croissance des indemnités journalières (IJ), sur la lutte contre les fraudes ou sur l’organisation du parcours de soins en ville et à l’hôpital.

- 800 millions d’euros sur l’efficience et la pertinence des soins
La Cnam a identifié des gisements en matière de pertinence des soins liés à un mésusage, voire à un gaspillage sur plusieurs champs de prescription. La caisse veut rendre le recours au numérique « obligatoire » pour les médecins en « conditionnant » le niveau de tarifs à l'alimentation de l’appli Mon espace santé de leur patient. « Cela ne doit pas être une option, on doit passer la seconde », prévient Marguerite Cazeneuve, directrice générale adjointe de la Cnam. Autre cap, l’ordonnance numérique devra être généralisée à tous les champs de prescription (soins paramédicaux, imagerie, biologie). Idem pour l’usage des logiciels d’aide à la prescription, d’aide à la décision médicale et d’aide à la délivrance : les médecins devront opter pour les plus performants, ceux qui fonctionnent avec l’intelligence artificielle. À l’hôpital, cette généralisation de l’ordonnance numérique pourra s’accompagner d’un mécanisme incitatif à la maîtrise des prescriptions hospitalières réalisées en ville.
La Cnam a par ailleurs émis le souhait de voir « conditionner le conventionnement des professionnels de santé » à leur maîtrise des règles de facturation et de l’état de l’art en matière de qualité et de pertinence des soins.
- 300 millions d’euros sur les IJ
C’est un dossier sensible pour la Cnam. Les dépenses d’indemnités journalières ont progressé de 27,9 % entre 2019 et 2023. Pour Thomas Fatôme, si 60 % de ces arrêts de travail sont expliqués par des facteurs structurels (vieillissement, hausse des salaires), les 40 % qui restent méritent d’être examinés avec attention. D’autant que, contrairement à ce qu’on croit, ce ne sont pas les patients en ALD qui contribuent à ces arrêts longs qui « interrogent beaucoup » Thomas Fatôme, mais des cas qui ne suivent pas les référentiels scientifiques, en particulier sur les syndromes dépressifs et anxiodépressifs mineurs, la lombalgie commune et la sciatique. Pour ce dernier exemple, la durée recommandée est de 35 jours maximum. Or 600 professionnels de santé ont prescrit des arrêts de plus de 124 jours. C’est la raison pour laquelle la Cnam réclame une « refonte » du dispositif des ALD non-exonérantes.
Pour enrayer cette dynamique, l’Assurance-maladie veut également encadrer davantage la prescription. « On doit éviter des prescriptions de deux mois voire de trois mois », s’agace Thomas Fatôme. Dans ce cadre, la caisse suggère de rendre les motifs d’arrêt obligatoires et de limiter la durée de travail pouvant être prescrit (1 mois en primo-prescription en post-hospitalisation et 15 jours en ville, puis par tranche de deux mois maximum) afin de garantir un vrai suivi médical de la personne arrêtée.
- Radiologues, biologistes et anapaths sous pression pour 400 millions d’euros
Pour « prévenir les phénomènes de rentes et d’optimisation financière », la Cnam place sans surprise plusieurs secteurs sous surveillance : radiothérapie, anapath, dialyse, audioprothèses, et prestataires de services et distributeurs de matériel (PSDM) pourraient être concernés par de nouvelles baisses tarifaires en 2026.

Des secteurs qui présentaient en 2022 une rentabilité opérationnelle moyenne supérieure à 15 %, avec des pics à plus de 20 % pour la biologie et la radiothérapie – les discussions ayant déjà commencé avec les représentants de l’imagerie.
- 400 millions d’euros sur les fraudes
En 2024, la lutte contre les fraudes à l’Assurance-maladie a franchi un cap, avec près de 628 millions d’euros de préjudice financier détecté et stoppé, soit une hausse de 34 % par rapport à 2023. Pour continuer sur cette lancée, la caisse identifie de nouvelles pistes. Côté médecins, elle entend élargir les motifs existant (dépôts de plainte, récidive de fraude) permettant d’allonger le délai de sept jours impartis à l’Assurance Maladie pour régler les professionnels en contrepartie de la pratique du tiers payant, afin de pouvoir réaliser davantage de contrôles a priori avant paiement (procédures ordinales, actes fraudogènes). Côté assurés pris la main dans le sac, il s’agira de leur suspendre le bénéfice du tiers payant.
- 1,2 milliard d’euros attendu sur le médicament, très sollicité
Là aussi, la Cnam resserre fortement la vis. Ayant constaté que le coût moyen des innovations progresse sans cesse, y compris pour des médicaments apportant un progrès thérapeutique mineur (ceux en ASMR IV ont augmenté de 55 % en 7 ans) voire nul (ASMR V), l’Assurance-maladie préconise de baisser les prix de ces deux catégories « pour retrouver une hiérarchie des prix cohérente avec l’apport thérapeutique ».
- 600 millions sur le plafonnement à 80 % du remboursement AMO
Ne parlez pas à Thomas Fatôme de « désengagement » du régime obligatoire sur le remboursement des dépenses de santé ! La Cnam revendique le plus haut niveau de couverture publique « au monde » (à hauteur de 80 %), avec une hausse de quatre points sur la dernière décennie. Pour éviter les dérives, le DG réclame une « refondation » de l’articulation entre l’Assurance-maladie obligatoire (AMO) et les complémentaires santé (AMC). La Cnam suggère que ces dernières « s’impliquent » (financent) davantage dans la lutte contre la fraude et le déploiement de la prévention.
Certaines mesures avancées risquent toutefois de faire débat, comme réfléchir à une sortie du dispositif ALD pour des « personnes en situation de guérison ou de rémission de certaines pathologies », comme des cancers en phase de rémission. Le rapport recommande encore de ne plus permettre la prise en charge à 100 % des prestations ou des produits de santé dont l'efficacité ne justifie pas un tel niveau de remboursement – ou qui ne présentent pas de lien avec une ALD, par exemple les cures thermales.
- 200 millions sur l’organisation et le parcours de soins en ville et à l’hôpital
Marguerite Cazeneuve l’affirme : à la Cnam, on croit beaucoup au « métier d’avenir » de l’infirmière de coordination dans toutes les structures d’exercice regroupé. L’objectif de la caisse est de contribuer à la montée en puissance et en compétence de ces soignantes, chargées de suivre le parcours des patients chroniques, d’assurer leur suivi et leur surveillance/télésurveillance médicale, d’organiser le lien avec les structures hospitalières et médico-sociales (entrées comme sorties) et de proposer de l’éducation thérapeutique.
Autre constat : la chirurgie ambulatoire « stagne » à 64 % après une hausse de 20 points entre 2010 et 2020. Il serait bon de lancer une 2e vague pour atteindre le potentiel évalué à 80 % en France – et réduire un peu plus les hospitalisations conventionnelles, onéreuses.
Il est également suggéré de médicaliser les Ehpad, alors que 32 % des résidents connaissent un passage aux urgences et que seulement la moitié d'entre eux sont ensuite hospitalisés.
Last but not least, la Cnam espère améliorer l’accès aux soins spécialisés en travaillant sur la régulation des dépassements d’honoraires. Concernant les actes en lien avec les dépistages organisés (mammographie, échographie, coloscopie), elle souhaite tout simplement les « interdire ».
Par ailleurs, la caisse ambitionne de mieux cerner l’activité non-conventionnée des médecins en secteur 3. « Sur ce point, que ce soit sur l’activité de médecine esthétique ou en sophrologie, on doit avoir une réflexion avec les premiers concernés, à savoir les médecins qui sont encore conventionnés, avance Marguerite Cazeneuve. Car nous sommes inquiets ».
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