C’est une déflagration mais aussi une prise de conscience sur l’ampleur des violences sexistes et sexuelles (VSS) dans la profession. Qu’il s’agisse d’outrage sexiste et sexuel, de harcèlement sexuel, d’agression sexuelle voire de viol, les résultats de l’enquête inédite présentée par l’Ordre des médecins (Cnom) ce mercredi sont accablants : le monde médical apparaît comme un univers professionnel où ces actes sont monnaie courante, en particulier durant les études hospitalières – des faits commis de manière très importante par des confrères inscrits à l’Ordre.
Pour parvenir à ces résultats édifiants, l’Ordre a recensé les réponses de 21 000 médecins* sondés en ligne sur leur rapport à ces violences, qu’ils en aient été victimes ou non, leur connaissance des sanctions mais aussi des aides existantes. Premier enseignement : deux médecins sur trois (65 %) ont eu connaissance de VSS dans le monde médical (et même trois quarts chez les moins de 40 ans). Mais surtout, près d’un praticien sur trois (29 %) a déjà lui-même été victime de ces violences. Si l’outrage sexiste et sexuel (26 %) est le plus répandu, 5 % des sondés ont subi une agression sexuelle et 1 % des médecins disent avoir subi un viol.
Univers hospitalier hiérarchisé et patriarcal
Quels que soient les types d’agressions, la dichotomie entre les femmes et les hommes est extrêmement frappante. Ainsi 54 % des médecins femmes déclarent avoir subi une violence sexuelle, en majorité pendant leur parcours étudiant, et dans une moindre mesure dans leur milieu professionnel, contre 5 % de leurs confrères. Si l’échantillon est réduit (61 personnes), 40 % des médecins non binaires ont eux aussi éprouvé ces VSS.
Dans un univers hospitalier ultra-codé et hiérarchisé, encore trop souvent patriarcal et machiste, où le pouvoir médical se concentre souvent entre les mains de quelques-uns, la moitié des femmes médecins victimes (49 %) ont été agressées par un autre médecin inscrit à l’Ordre, le plus souvent lors de leur formation initiale. Là encore, la comparaison avec les hommes victimes d’un confrère (3 %) ne souffre d’aucune ambiguïté.
Ce constat pose évidemment la question de la banalisation de ces VSS au sein même des hôpitaux et des lieux de stages, ce que suggérait déjà le mouvement Metoo Hôpital. « Les chiffres sont alarmants, en particulier pour les femmes médecins, principalement victimes de confrères, souligne la Dr Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi, vice-présidente du Cnom. Nous allons devoir nous retrousser les manches. »
Connaissance variable des sanctions pénales
Au-delà de la documentation sur les violences au sein du corps médical, l’enquête ordinale apporte un éclairage précieux sur la connaissance de ces violences par la profession elle-même et sur les suites données. Les résultats montrent d’abord que les médecins ne peuvent plaider l’ignorance puisqu’ils déclarent connaître globalement toutes les notions de VSS (sexisme, harcèlement, agression, viol) à plus de 95 %. Seul l’outrage sexiste et sexuel semble plus flou, cerné néanmoins par 86 % des hommes et 80 % des femmes. En revanche, mis à part pour le viol (70 %) et les agressions sexuelles (60 %), les sanctions pénales restent mal connues (en cas de harcèlement et d’outrages, par moins d’un praticien sur deux).
Les chiffres sont alarmants, en particulier pour les femmes médecins, principalement victimes de confrères. Nous allons devoir nous retrousser les manches
Dr Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi, vice-présidente du Cnom
Pire, seul un gros quart des médecins (28 %) connaissent l'existence d’aides pour les victimes de VSS (alors que trois quarts d’entre eux déclarent avoir besoin de cette information). Les plus éclairés ont bénéficié d’une formation sur le sujet ou ont pris connaissance des dispositifs existants par une campagne de communication ou une association. Donnée loin d’être anodine, un médecin sur cinq a appréhendé la notion de VSS par une expérience personnelle.
Freins nombreux au signalement
L’enquête met également en lumière l’extrême difficulté pour les victimes à se faire reconnaître, à cause de l’ancrage de ces violences et d’une forme de fatalisme, même si la nouvelle génération semble nettement plus sensibilisée à cette problématique.
De façon générale, les médecins sont massivement convaincus (92 %) que les victimes rencontrent des difficultés à se faire reconnaître (écoute, prise en charge poursuite). Deux médecins sur trois (66 %) estiment que « le manque de soutien » est la raison principale pour laquelle les victimes ont du mal à être entendues et reconnues. Mais un gros tiers des sondés (39 %) citent aussi la banalisation des VSS dans le monde médical depuis des décennies. Actes « minimisés », crainte des répercussions sur la carrière, hiérarchie qui ferme les yeux pour « protéger » les auteurs, mais aussi société patriarcale et même culture du viol (2 % de citations) : autant de raisons qui empêchent la reconnaissance des victimes. Finalement, seuls 6 % des médecins jugent que c’est « l’omerta » qui verrouille la parole.
Cette situation délétère a un impact significatif sur le dépôt de plainte, que ce soit auprès des supérieurs hiérarchiques, de l’Ordre ou de la justice. Interrogés librement sur les freins au signalement (question ouverte), les médecins citent d’abord la peur de ne pas être cru (45 %), l’impact sur la vie professionnelle (20 %), la honte (13 %) ou encore la pression de la hiérarchie davantage que le tabou des VSS. Le manque de transparence sur les démarches n’aide pas : seules 3 % des victimes sont en mesure d’affirmer que l’Ordre a été informé. L’inefficacité perçue de l’institution ordinale revient aussi dans 12 % des réponses.
Autre signe du chemin qui reste à parcourir : 69 % des médecins considèrent que les victimes de VSS s’exposent à des discriminations professionnelles (obstacles dans l’avancement, stigmatisation, placardisation, moqueries, etc.). Les termes « personnes à problèmes », « fauteurs de troubles », femmes « procédurières » et « aguicheuses » reviennent dans les témoignages cités. Dans le monde médical, briser l’omerta est une première étape mais en finir avec le sexisme en est une autre.
* Enquête pilotée par les Drs Marie-Pierre Glaviano-Ceccaldi et Jean-Marcel Mourgues, vice-présidents du Cnom, effectuée en ligne du 23 septembre au 14 octobre auprès de 21 140 médecins (19 104 docteurs juniors et médecins en activité régulière, remplaçants ou retraités actifs et 2 036 médecins non actifs).
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