Quelle médecine d'après ?

Publié le 25/09/2020
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Dans « le monde d’après », l’exercice de la médecine est-il appelé à se repenser ? L’opinion a salué l’engagement des médecins et de l’hôpital dans la crise du Covid-19, mais les critiques abondent à présent sur les lacunes d’un système inadapté aux crises.

Crédit photo : AFP

Les Français les applaudissaient tous les soirs pendant le confinement. « Les médecins ont été souvent héroïques, reconnaît Patrick Lagadec, mais nous ne pourrons indéfiniment nous reposer sur leur héroïsme de dernière minute et leur engagement acrobatique pour payer les insuffisances du système. » « Déjà après le choc subi avec la canicule de 2003, un premier pas a été franchi pour une refondation de la médecine, avec le repérage et le suivi des personnes vulnérables, rappelle le Dr Philippe Leduc (think tank Economie Santé). Cette fois, c’est une vraie révolution culturelle qui attend les professionnels de santé, autour de tout un arsenal de dispositifs (ESP, CPTS, PTA, CLIC, MAIA, PAERPA), qui manque cruellement de connexion et de cohérence ».

Les leçons n’ont pas été tirées.

Ce manque est pointé du doigt dans tous les domaines. A commencer par les services en première ligne que sont les urgences. « Nous n’avons pas tiré les leçons de la crise, dénonce franchement le Dr François Braun, président du syndicat AMUF (urgences de France) et chef du pôle urgences au CHR de Metz-Thionville, qui pronostique sans ambages : «  sous-effectifs, manque de lits, administration sourde aux revendications des soignants, bref régime général d’austérité. Nous ne tiendrons pas longtemps si l’hôpital continue de fonctionner comme avant la crise  »

En chirurgie aussi, le système a montré ses limites face à la crise : « l’hyperspécialisation des professionnels de santé, notamment des chirurgiens, associée au mode de fonctionnement contraint de nos hôpitaux, font qu’il est licite de se poser la question de notre état de préparation face à la survenue d’afflux saturants de patients », estime le Pr Paul Balandraud (HIA Ste-Anne de Toulon), qui déplore une « préparation des établissements français encore hétérogène ».

Dans ce contexte, l’enjeu des formations est bien sûr crucial. « La formation des professionnels de santé chargés d’organiser la réponse aux crises sanitaires est maintenant déclinée dans les facultés avec la capacité de médecine de catastrophe ou la formation de directeur médical de crise, celle des équipes SMUR s’enrichit avec l’expérience des militaires et le damage control », observe le Dr Braun. « Les cours MRMI (medical response to major incidents) recourent à des serious games sur écran qui font participer davantage de professionnels (chirurgiens, anesthésistes, pharmaciens, cadres infirmiers, bed managers) à davantage d’exercices de simulation », se félicite le Pr Balandraud.

La culture trans-disciplinaire de la catastrophe fait encore défaut.

« Avec le DU et la capacité de médecine de catastrophe, nous formons en premier lieu des urgentistes et des réanimateurs, ce sont eux qui ont la main lors des crises sanitaires, mais, insiste le Pr Pierre-Yves Gueugniaud, patron du SAMU Edouard Herriot (Lyon) c’est toute une culture de la catastrophe, une culture trans-disciplinaire et trans-spécialités qui fait encore défaut qu’il faut aujourd’hui diffuser. »

« Le système de gestion de crise ne saurait en effet être que transdisciplinaire, confirme le Dr Henri Julien, président de la SFMC (Société française de médeceine de catastrophe), il implique les ministères de l’intérieur, de la défense, de la santé, de l’économie, les pompiers, les SAMU. Tout le monde doit apprendre à travailler ensemble. Or, tel n’est pas le cas aujourd’hui : le conseil scientifique ne compte dans ses membres aucun spécialiste de la médecine de catastrophe, c’est tout de même regrettable. »

Et ce conseil scientifique fait lui-même objet de contestations, exprimées notamment par des chercheurs et des médecins qui ont publié une tribune dans le Parisien pour demander sa suppression, ou du moins sa refonte. C’est bien le symptôme d’un malaise sur la place de la médecine dans la gestion des catastrophes sanitaires et, au-delà de la crise actuelle, sur la nécessité d’une réforme d’ampleur du système de santé. « Une réforme intégrale », comme n’hésite pas à le demander le Pr Guy Vallancien, membre de l'Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, président-fondateur de la Convention on Health Analysis and Management. : nouveau cadre juridique associant publique et privé, responsabilités confiées aux personnels soignants et non plus aux administratifs, décentralisation, mutation numérique, avec un cloud sanitaire connectant les bases de données, réduction drastique des agences, conseils et directions centrales qui se chevauchent… L’heure de la médecine d’après va-t-elle enfin sonner après la crise du Covid-19 ?


Source : Le Quotidien du médecin