Nous documentons régulièrement les dérives de la recherche, conséquences de la pression pour publier que subissent les chercheurs. Ils utilisent des pratiques discutables pour embellir des articles, et rarement fraudent. Des chercheurs sculptent des résultats pour raconter des contes de fées. Les rédacteurs en chef acceptent des manuscrits apportant des résultats convaincants, innovants avec une signification statistique sans pertinence clinique. Ces articles devraient être corrigés. Seule une rétractation invalide un article que ce soit pour fraude, pour des biais méthodologiques sévères, ou pour des erreurs honnêtes.
Qui devrait dépolluer la science ?
Normalement, les pollueurs doivent nettoyer leurs déchets. En science, ce n’est pas clair. La dépollution de la science est peut-être en marche, mais à un train qui est plus lent que celui des pollueurs. Les cas où des chercheurs ont eux-mêmes demandé de rétracter un article sont rares.
Les établissements de recherche, en première ligne pour dépolluer, veulent préserver leur image ; les référents intégrité scientifique ont peu de moyens ; tandis que des organismes financent des équipes dont les méconduites sont suspectées.
Les rédacteurs et les éditeurs de revues scientifiques n’ont ni les moyens ni la légitimité pour enquêter sur un laboratoire s’ils suspectent des méconduites. Ils peuvent seulement demander aux institutions de le faire.
Or, décideurs politiques et publics ne sont pas assez formés ni informés sur l’état de la recherche. Ils n’ont pas la mission de vérifier si les méthodes de recherche mises en œuvre sont correctes, éthiques et intègres. Ils propagent alors ces articles faux. On ne peut que déplorer qu’ils n’aient pas un meilleur esprit critique.
Des détectives et lanceurs d’alerte se mobilisent
Des experts isolés dénoncent des pratiques déviantes. Ce n’est pas facile car ils ont peu de soutien et mettent en péril leur propre carrière. Détecter des méconduites nécessite une expertise et ces détectives sont spécialisés dans un domaine précis. Voici quelques exemples de ces personnes engagées.
Elisabeth Bik, chercheuse néerlandaise qui vit en Californie, a montré en 2016 que près de 4 % de 20 000 articles contenaient des images questionnables, soupçonnant des manipulations délibérées pour la moitié. En décembre 2024, elle était à l’origine de 1 331 rétractations d’articles, 215 mises en garde et 1 074 corrections.
Ben Goldacre, journaliste scientifique et médecin, se bat depuis longtemps pour que les résultats des essais cliniques soient diffusés : enregistrement obligatoire, publication systématique des résultats, libre accès à ces résultats, etc.
John Carlisle, anesthésiste anglais, a décrit des méthodes pour débusquer les analyses statistiques fausses ou trompeuses dans les essais contrôlés randomisés, dits « essais zombis ». Ce ne sont pas forcément des essais cliniques frauduleux, mais ils ont des caractéristiques qui les rendent peu fiables.
La chercheuse australienne Jennifer Byrne a mis en évidence des séquences de nucléotides différentes dans des gènes et lignées cellulaires publiés. Elle a pu automatiser ces détections avec l’aide des chercheurs français Guillaume Cabanac et Cyril Labbé.
Anna Abalkina, chercheuse russe qui vit à Berlin, décrit régulièrement des paper mills, sociétés de rédaction identifiées en Chine, Russie, Ukraine, Kazakhstan, Inde, Iran, Iraq, Lettonie et Pérou. Ces sociétés rédigent des manuscrits et vendent des « positions d’auteurs » avant de les soumettre à une revue. Quelques milliers d’articles ont été rétractés de la littérature.
Cités précédemment, Guillaume Cabanac et Cyril Labbé ont développé un logiciel qui identifie des « phrases torturées », indice en faveur de l’utilisation cachée de l’IA (par exemple « tumeur de la conscience » au lieu de « tumeur cérébrale »).
Cette lutte contre les fraudes scientifiques agit pour renforcer la confiance que les citoyens accordent à la science
Des journalistes d’investigation font aussi un travail remarquable. Brian Deer, journaliste du Sunday Times, a décrit la fraude organisée par le chirurgien anglais Andrew Wakefield. Il prétendait avoir établi un lien entre la vaccination rougeole-oreillons-rubéole (ROR) et l’autisme. Charles Piller, journaliste américain a décrit les fraudes et méconduites dans le domaine de la maladie d’Alzheimer.
Les enjeux vont au-delà de la simple production scientifique : cette lutte contre les fraudes scientifiques agit pour renforcer la confiance que les citoyens accordent à la science, mais aussi pour éviter les gaspillages de ressources.
C’est vous qui le dites
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