« Ah docteur je vous vois à la télé ! ». Jeanne, une patiente résidente en établissement d'hébergement pour personnes âgées (EHPAD) effectue à 96 ans sa première téléconsultation avec un généraliste. Depuis quelques années déjà, les 40 résidents de la maison de retraite « Le Manoir », à Gerstheim (Alsace), bénéficient d'un suivi médical avec des praticiens libéraux grâce à des consultations à distance.
Les projets émanent d'habitude du milieu hospitalier. « La télémédecine entre un EHPAD et les libéraux, il n'y en a quasi-pas en France. Le meilleur exemple reste Gerstheim », souligne le Dr Claude Bronner, généraliste à Strasbourg, président de la branche MG de la FMF.
Au premier étage de l'EHPAD, le « chariot » à roulette de télémédecine, doté d'un ordinateur avec un écran aussi large qu'une télévision, trône dans la salle de soins. Neuf aides-soignantes et deux infirmières travaillent dans la structure mais seule l'infirmière coordinatrice en EHPAD (IDEC) est habilitée à réaliser une téléconsultation.
« On fonctionne au besoin du patient, commente Céline Folmar, l'IDEC de la structure de soins, en tapotant sur l'écran. On peut prévoir une téléconsultation dans la journée quand le médecin est disponible. Dès que le rendez-vous est fixé, je prépare le patient et je lui explique la démarche ». L'image apparaît en haute définition, l'écran tactile est relié à un stéthoscope et un dermatoscope. Un lecteur de carte Vitale est intégré à la machine.
Lutter contre le renoncement aux soins
Dans cette petite commune, à 30 km au sud de Strasbourg, le Dr Pascal Meyvaert, généraliste et médecin coordonnateur de l'EHPAD, a sauté le pas dès 2010, année de la publication du décret télémédecine. « Nous constations une augmentation des consultations par téléphone qui donnaient lieu à des prescriptions par toujours adaptées, explique-t-il. Parfois le médecin traitant manquait de temps pour passer voir les patients de la structure. Il y avait une perte de chance ». Autre handicap : des transports sanitaires coûteux, source de stress pour les personnes âgées, conduisant parfois au renoncement aux soins.
Quatre années ont été nécessaires pour amorcer la dynamique en février 2014. « Nous étions les premiers libéraux à réaliser de la téléconsultation ! Il y a eu une longue phase préparatoire pour l'obtention du matériel et la mobilisation des praticiens », précise le Dr Meyvaert. En quelques mois, 20 généralistes, un dermatologue, un psychiatre ou encore un pneumologue – tous de la région – se lancent dans l'aventure. « Un cardiologue allait démarrer aussi mais, en juin 2015, l'ARS [agence régionale de santé] craignant un surcoût nous a annoncé la fermeture de l'expérimentation », reprend-il, amer. « J'ai dû me battre pour que les libéraux soient intégrés ».
La nomenclature en renfort
Fin 2016, l'EHPAD bénéficie d'un nouveau financement pour redémarrer l'activité. Cette fois-ci, le Dr Meyvaert a plus de mal à mobiliser les troupes. Trois généralistes utilisent ce dispositif ainsi qu'un psychiatre. Depuis le 1er novembre 2017, grâce à l'inscription dans la nomenclature, la téléconsultation entre un résident en EHPAD et le médecin traitant (TTE) est officiellement valorisée à hauteur d'une consultation classique (voir ci-dessous). Pour le médecin coordonnateur, il aurait été judicieux de lancer cette activité avec un montant plus alléchant pour inciter les praticiens libéraux à y aller… « Lors de l'expérimentation, le tarif de cet acte était de 45 euros pour 15 minutes », précise le Dr Meyvaert.
Réduire les complications et hospitalisations
Le médecin coordonnateur et l'infirmière coordinatrice sont sur la même longueur d'ondes : la télémédecine est une solution d'avenir d'autant que les personnes âgées acceptent facilement le matériel. Jeanne par exemple s'est dite satisfaite à l'issue de son rendez-vous.
De fait, la téléconsultation se déroule comme une consultation classique. En fonction de la demande du patient, le médecin donne des consignes à l'IDEC – se munir du stéthoscope, le placer dans le dos de la patiente au niveau des bronches. « Respirez fort », dit le Dr Meyvaert à Jeanne. La patiente s'exécute. Le généraliste peut bouger à distance l'orientation de la caméra grâce à son clavier d'ordinateur et « zoomer » si nécessaire.
À 3 km de l'EHPAD, dans son cabinet, le Dr Meyvaert, micro et casque audio sur les oreilles, utilise un logiciel spécifique que lui a fourni l'établissement gracieusement. « Il faut que l'utilisation du logiciel soit facile », insiste-t-il. Il accède directement au dossier médical de Jeanne, peut délivrer des prescriptions et noter des observations. « Il y a une diminution des complications et des hospitalisations, explique-t-il, conquis. Et les professionnels, eux, gagnent du temps », en commençant par le trajet.
Prochaine priorité : intégrer les autres EHPAD de la région. Une dizaine de structures se sont montrées très intéressées. Le Dr Meyvaert souhaite aussi relancer les cardiologues, dermatologues et gastro-entérologues libéraux. Il projette d'équiper le chariot d'une caméra intra-buccale (en vue de consultations avec un chirurgien-dentiste) et de matériel pour réaliser des échographies et des ECG.
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